"La tâche de reconstruction exige non pas un soutien partisan, mais une adhésion large de l'opinion"

Au matin de notre Université de rentrée à Guidel, François Bayrou se livre dans une grande interview au journal Ouest France. "Le monde politique est victime d'une explosion généralisée (...) les modèles anciens ne sont plus adaptés", alerte-t-il.
Diriez-vous que François Hollande a déjà perdu 2017 ?
Mon impression est que les Français ont tiré un trait. En raison de l’incroyable contradiction entre ses promesses et la réalité - prenez la tirade « moi, président de la République » et voyez ce qu’il en reste… - et en raison du sentiment qu’ont les Français qu’il navigue à la godille alors que la mission d’un président de la République c’est de définir le cap.
Trouvez-vous l’opposition lisible et convaincante ?
Le monde politique est victime d’une explosion généralisée. À l’extrême gauche, il y a au moins trois courants. Le Parti socialiste est en voie d’explosion. Les écologistes sont en quatre ou cinq morceaux. Le centre n’est pas uni. L’UMP est dans une guerre tous azimuts. Et au Front national, on sait ce qu’il en est de la guerre de famille. C’est le symptôme de la difficulté des temps. Les modèles anciens ne sont plus adaptés. Quant à l’opposition, elle est obnubilée par les primaires et n’a plus qu’un seul discours : « c’est la faute des autres ! » Or, elle a évidemment sa part de responsabilité.
En tirant le débat vers la droite, le FN ne vous ouvre-t-il pas un espace ?
Les scores du Front national changent le centre de gravité de la vie politique et poussent aux discours les plus durs, les plus agressifs. Et ce n’est rien par rapport à ce qui risque de venir dans les semaines qui viennent. Mais la seule question importante est de comprendre pourquoi l’extrême droite atteint ces scores ! Et c’est évidemment le sentiment d’impuissance donné par les deux partis principaux qui se sont succédé au pouvoir.
Si le FN est en passe de conquérir une Région en décembre, en dernier recours, que faudra-t-il faire ?
On connaît le choix des états-majors : c’est de ne pas faire de « front républicain », d’abord pour continuer à avoir des élus et ensuite pour ne pas donner raison à l’accusation d’UMPS. Il faudra donc s’adresser non pas aux états-majors mais aux électeurs en leur disant que quelles que soient les décisions d’appareils, le vrai choix, c’est eux qui l’ont entre les mains. C’est à ce moment que les voix qui comptent devront se faire entendre. J’en serai.
Entre les deux, il y a vous, le Sisyphe de la présidentielle. Que pèse le Modem aujourd’hui ?
Toutes les enquêtes sur la présidentielle nous donnent un socle entre 10 et 14 %. Mais je ne suis pas en campagne, ni dans l’idée d’une campagne.
Vous situez-vous clairement dans l’opposition à la politique menée ?
Oui ! Il faut sanctionner le non-respect des promesses, l’absence de cap et de style, bref l’impuissance dans laquelle le pays est plongé.
Quand on voit le succès de certaines surenchères, croyez-vous les Français réceptifs à un discours raisonnable et consensuel ?
À un discours équilibré, oui ! Mais on ne gagne pas une élection sur la seule raison et le consensuel. Ça ne suffit pas. Il faut y ajouter l’engagement, la passion, et la sensibilité que l’on est capable de montrer. Car on peut être passionnément équilibré. Si on montre un chemin attractif, alors on peut être entendu.
On peut être attractif pour combattre les déficits ?
Aucun responsable politique ne pourra désormais se moquer des déficits. Regardez ce qui vient d’arriver à Tsipras ! La situation d’un pays comme la France, qui doit emprunter tous les jours pour vivre, interdit de laisser planer l’idée que l’on ne remboursera pas.
Comment oxygéner l’économie sans alourdir les déficits ?
Très simplement : un droit du travail lisible, un contrat de travail qui permette de ne plus avoir peur d’embaucher, une fiscalité équilibrée, des collectivités locales simplifiées, alléger les charges indues, donner de la sécurité et de la formation aux salariés… On ne peut faire participer le pays à cet effort qu’en renonçant au sectarisme.
Pour cela, il faut se faire élire ! L’idée vous est-elle venue de concourir à une primaire ouverte de la droite et du centre ?
Non. Une telle primaire suppose que l’on accepte qu’il n’y ait que deux camps, droite contre gauche, et qu’on s’inscrit dans l’un de ces camps. Or, le message du centre, c’est de refuser la guerre perpétuelle entre ces camps. Et puis qu’est-ce que ça veut dire la « droite » quand le FN est à 30 % ? Et comment redresser un pays perpétuellement coupé en deux, en trois, en quatre ? C’était tout le message du général de Gaulle ! C’est paradoxal que je doive, moi, le rappeler ! La tâche de reconstruction exige que l’on puisse obtenir non pas un soutien partisan, mais une adhésion large de l’opinion.
Si Alain Juppé va au bout de son parcours, vous ne lui mettrez pas de bâtons dans les roues ?
Si Alain Juppé est choisi comme candidat au terme de cette compétition, je serai avec lui et je l’aiderai.
Et si Nicolas Sarkozy était le candidat de la droite et du centre ?
Alors, je me reposerai la question.
Comment vous projetez-vous dans l’avenir ?
J’ai la chance d’avoir entre les mains une responsabilité heureuse pour moi qui est la mairie de la capitale du pays où je suis né, où j’ai grandi, et que j’aime. Deuxièmement, un des objectifs de ma vie, c’est de faire vivre un centre uni et indépendant. On n’y est pas ! Le démon de la division a saisi ce camp avant les autres. Mais peut-être en sortira-t-il avant les autres ! L’échéance de 2017 sera le rendez-vous de la reconstruction de cette famille politique. Et j’y travaillerai de toutes mes forces pour lui donner le poids et l’audience qu’elle mérite.
La crise grecque a ébranlé l’Europe. Vous avez peur qu’elle se fracasse ?
Au contraire : même si cela n’a pas été assez dit, la crise grecque a d’une certaine manière consolidé l’Europe. Car la preuve a été faite que les discours de facilité n’ont pas résisté à la réalité. Tsipras a dû sacrifier ses promesses et a gardé le pouvoir. Varoufakis qui prétendait porter le flambeau du « refus de l’austérité » est tombé à moins de 2 % ! Cette élimination de ceux qui prétendaient qu’on pouvait échapper à l’effort est incroyablement démonstrative.
Mais quand on voit Daech, les réfugiés, la guerre…
Aucun pays ne peut s’en sortir tout seul. Regardez les réfugiés ! Que pourrait la France seule ? Autre chose est de savoir si nous savons faire marcher harmonieusement cet ensemble européen : non, on ne sait pas ! On n’a pas d’organe de décision équilibré et on n’a surtout pas la transparence que l’opinion attend. Tout se passe derrière le rideau. Nous devons exiger efficacité de la décision et transparence. Il faut que nous soyons en Europe comme les agriculteurs dans une coopérative, les ouvriers dans une Scop, des gens attachés à leur indépendance, mais qui comprennent qu’ils ne peuvent pas être seuls. Ce modèle mutualiste ou coopératif, si l’on y réfléchit, c’est un modèle pour l’Europe.