"La France ne pourra surmonter cette terrible crise de confiance que par des rassemblements nouveaux"
Retrouvez ici l'interview accordée par François Bayrou au quotidien Sud Ouest.
Sud Ouest - Entre le vote de confiance mardi et la conférence de presse du président jeudi, l'exécutif a-t-il repris la main ?
François Bayrou - Nous venons de vivre une séquence complètement baroque. Normalement, le président parle en premier, et le Premier ministre ensuite. Là, on a fait le contraire, avec, en plus, entre les deux interventions, le parasitage d'une annonce impréparée et improvisée sur la suppression d'une tranche d'impôt sur le revenu. Tout cela n'est ni convaincant ni très crédible.
Cette mesure fiscale se fera-t-elle au détriment des classes moyennes ?
À partir de cette décision, il y aura en France moins d'un foyer fiscal sur deux qui paiera l'impôt sur le revenu. Au lieu d'avoir des impôts légers répartis sur le plus grand nombre, on fait l'inverse : on concentre l'impôt sur les mêmes. À terme, il y aura une augmentation inéluctable des prélèvements sur les classes moyennes. C'est décourageant pour elles.
Manuel Valls peut-il encore gouverner ?
Il n'a pas vraiment eu la confiance. La majorité absolue étant de 289 voix, il en a eu 269, ce vote traduit donc le doute et la défiance. Il faut ajouter un mode de gouvernement à la godille : un coup d'un côté, un coup de l'autre. On nous annonce la suppression des Conseils généraux, je suis pour, et, au final, qu'y a-t-il ? Les Conseils généraux restent, mais ils seront de trois formes différentes. Comment voulez-vous qu'on s'y retrouve ?
Craignez-vous une dégradation de la note de la France par les agences de notation ?
Les agences de notation, ce n'est que le médecin qui prend la tension. Mais ce n'est pas le médecin qui fait monter la tension. Le chemin pour s'en sortir existe à partir du moment où l'on comprendra que nos problèmes ne viennent pas de l'Europe, de la mondialisation, de l'Allemagne. Nos problèmes viennent de chez nous.
Si vous étiez au pouvoir, que feriez-vous ?
Je commencerais par faire une Éducation nationale qui apprenne les outils fondamentaux à chaque enfant : la lecture, des éléments de culture générale, le calcul mental. Une culture générale qui vous permet de vous débrouiller dans la jungle d'Internet. Car Internet est un outil fantastique, mais à condition d'avoir la carte et la boussole. C'est la culture générale qui émancipe. Je continuerais par la formation professionnelle, qui doit servir en priorité à ceux qui n'ont plus d'emploi. Or, c'est une jungle, un maquis, dont tout le monde soupçonne qu'il sert à bien d'autres fins qu'à la formation. Enfin, j'insisterais sur la nécessaire stabilité et sur la clarté des règles. Dans l'apprentissage, par exemple, qui s'effondre parce que les règles sont tellement contraignantes que plus personne ne veut prendre d'apprentis. Mais aussi sur la fiscalité : que la règle soit la même, par exemple, pour les parlementaires que pour les autres contribuables. Il faut aussi simplifier le millefeuille territorial, élaborer une loi électorale juste. Voilà quelques réformes qui ne demandent pas d'investissements financiers, mais qui nécessitent un pouvoir solide.
François Hollande espère obtenir des résultats avant 2017. Est-ce illusoire ?
Je crains qu'il n'y ait pas de résultats, faute de soutien dans le pays, et parce qu'on n'a pas vu à temps que le projet du PS était une illusion. En 2012, la majorité des Français, comme moi, a voulu l'alternance. Il fallait qu'un certain nombre de dérives s'arrêtent et que la gauche soit placée au pied du mur pour que se dissipent les illusions. Mais François Hollande n'a pas su se saisir de cette exigence historique.
Le retour de Nicolas Sarkozy est-il une bonne nouvelle pour l'opposition ?
J'ignore sur quels thèmes il va revenir. La question est de savoir si les hommes changent. En général, ils ne changent pas dans leur nature profonde. Mais on verra. Je sais, en tout cas, que la France a besoin d'une ligne claire et d'une volonté forte, et elle a aussi besoin d'apaisement. Or, pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, on n'a pas vu de ligne forte, et le moins que l'on puisse dire, c'est que l'apaisement n'était pas à l'ordre du jour.
La présidence de l'UMP va le replacer au coeur du jeu politique…
Sans aucun doute, et c'est bien sa stratégie. Il faut ajouter que, s'il y avait dissolution, l'élection du président de l'UMP, ce serait aussi l'élection du Premier ministre de la cohabitation. Car, s'il y a dissolution, il y aura cohabitation, et s'il y cohabitation, le Premier ministre désigné ne peut être que le chef du premier parti de la majorité.
Nicolas Sarkozy aurait l'intention de fusionner l'UMP et l'UDI. Qu'en pensez-vous ?
Si le centre veut compter en France, il faut qu'il soit uni et indépendant. Toute tentative pour le capter est contre-productive et sera vouée à l'échec. Le centre que j'aime et dont j'ai porté le drapeau, il est inaliénable. Je me porte garant que le centre dont la France a besoin pour sa reconstruction et son renouvellement ne se laissera ni soumettre ni absorber.
Soutiendrez-vous Alain Juppé lors de sa candidature à la primaire de l'UMP ?
Je considère Alain Juppé comme un homme responsable et rassembleur, avec qui nous devons faire du bon travail pour la France. Je suis prêt à l'aider de manière désintéressée, parce qu'il peut apporter à notre pays.
Vous ferez un ticket ?
Il n'y a pas de ticket en Ve République, pas de ticket dans une élection présidentielle.
Quand on vous écoute, il semble que vous ayez toujours des ambitions nationales. Pensez-vous à 2017 ?
J'ai deux responsabilités. Je suis maire de Pau, pleinement engagé dans ce mandat. Et je suis à la tête d'un courant politique du centre, avec la confiance de beaucoup de Français. Cela compte beaucoup pour moi. Je crois depuis longtemps que la France ne pourra surmonter cette terrible crise de confiance que par des rassemblements nouveaux. J'y travaille, et j'y travaillerai.