Europe : "François Hollande ne porte pas une vision de l'avenir"

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Dans son bureau du siège du Modem, rue de l'Université, François Bayrou a reçu L'Opinion pour évoquer la crise grecque et donner sa vision du Vieux Continent. Le maire de Pau veut ouvrir grand les portes des institutions européennes. Sans quoi, « l'Europe se brisera sur le rejet de peuples ».

L'accord trouvé entre l’Eurogroupe et la Grèce est-il selon vous humiliant pour le peuple grec ?

Sans doute. Le texte descend à un degré de pointillisme, de décisions imposées et prises à la place des Grecs, qui est évidemment difficile à vivre. En lisant le texte, je me suis dit, comme citoyen français, que si nous avions dû subir la même contrainte, cela aurait été pour nous aussi difficile à vivre. La culture du FMI, au sein des créanciers, a évidemment accentué ce genre d’exigences.

Un Grexit a été évité mais de nouvelles mesures d’austérité ont été votées par le parlement. Les Grecs sont-ils de toutes façons condamnés?

Je ne crois pas du tout que la crise soit finie et je redoute de nouveaux accidents. Mais que faire ? Quand vous devez emprunter pour vivre tous les jours, la seule chose qui soit impossible, c’est d’aller voir le banquier pour lui dire ‘j’aimerais que vous me prêtiez quelques milliards mais je vous préviens, je ne vous rembourserai pas’. C’est pourquoi je n’ai jamais cru que les promesses d’effacement de la dette conduiraient à une fin heureuse.

Valéry Giscard d’Estaing s’est prononcé pour une sortie de la Grèce la zone euro. Le Grexit aurait-il pu être une solution ?

Je suis assez peu souvent en désaccord avec Giscard mais sur ce point, je l’ai été. On n’imagine pas le chaos qui aurait suivi pour la Grèce, et d’abord pour les banques grecques. Elles auraient été dans l’incapacité de continuer à fournir du crédit et même des espèces. Et à partir du moment où il serait apparu qu’un pays membre de la zone euro pouvait faire faillite, alors ce sont tous les pays de l’Euro qui auraient été l’objet du soupçon. Et particulièrement le nôtre ! Le risque de contagion était énorme. Notre intérêt et celui des Grecs, conjointement, c’était donc bien de ne pas abandonner un des pays membres de la zone euro.

L’ancien patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn a dénoncé le « diktat » des créanciers, imposé à la Grèce. Que pensez-vous de son analyse ?

Le terme de diktat surfe sur une certaine germanophobie assez largement répandue aujourd’hui dans la vie politique française, à laquelle je ne participe en aucune manière.

Plusieurs autres personnalités politiques françaises ont eu des mots assez durs à l’encontre de l'Allemagne. Comprenez-vous les ressorts de cette germanophobie ?

Je suis en radical désaccord avec la politique du ciblage de l’Allemagne. Les ressorts, hélas, sont peu avouables et remontent à très loin. Il m’est arrivé de le dire à Jean-Luc Mélenchon. En vérité, le destin de l’Allemagne, c’est le nôtre, c’est une part de notre destin de Français. Nos deux peuples sont liés comme les doigts de la main. Par exemple, contrairement à ce qu’on croit, l’Allemagne est l’un des pays qui aurait le plus à perdre de la rupture de l’euro. La jalousie et l’envie ne sont pas fondées. Dans un temps dominé par l’impératif de mondialisation, l’Allemagne a montré qu’un pays avec un projet de société proche du nôtre pouvait s’en sortir et s’affirmer. Alors qu’il y a 15 ans exactement, le pays était à la ramasse. Quand un pays se redresse ainsi, je n’ai pas tendance à le critiquer mais à regarder comment il a fait. Car contrairement à ce qui est si souvent soutenu, les racines de nos difficultés nationales ne sont pas de l’autre côté du Rhin ! Elles viennent de nous ! Ce n’est pas la faute de l’Allemagne si notre éducation est en crise, notre formation professionnelle dramatiquement insuffisante, si nos codes et nos normes sont illisibles, notre dépense publique immaîtrisée. C’est notre responsabilité. Ça ne veut pas dire que je suis d’accord avec tout. L’Allemagne se trompe en croyant que ses choix doivent être égoïstes. Les choix doivent au contraire être communautaires.

François Hollande a-t-il été, selon vous, à la hauteur de la situation ?

Il a occupé un rôle qu’il affectionne, celui d’entremetteur, de go-between. Il a agi, nous dit-on, dans les coulisses. Or l’Europe meurt que ses débats et ses rapports de force se déroulent dans les coulisses. Pendant toute cette crise, les gens parlaient de la Grèce dans les entreprises, en famille, avec un degré d’inquiétude justifié. Le seul qui ne s’exprimait pas, c’était le président de la République française. Les peuples ont le droit de savoir ce qui se prépare et se décide en leur nom. Une part essentielle de la responsabilité politique est de faire entendre une position qui soit compréhensible par l’opinion publique pour l’éclairer et l’entraîner.

Vous reprochez donc à François Hollande son silence ?

Je lui reproche de n’avoir pas porté, au nom de la France, publiquement, une position d’influence, une vision de l’avenir. Dans cette période, il n’a pas éclairé la situation pour les Français, et pas davantage pour les autres citoyens européens. Or, c’est la mission du président de la République que d’éclairer et de porter les grands choix historiques, et de faire entendre la voix de la France. Imaginez de Gaulle dans une crise comme celle-là. J’ai au moins une certitude : il aurait dit quelque chose ! On aurait su très tôt quelle était l’orientation de la France. De même qu’on sait par exemple quelle a été la position du ministre des Finances allemand, Wolfgang Schaüble. Qu’il ait tort ou raison, il a été entendu, sans avoir besoin d’élever la voix.

Est ce normal que le vote du parlement français sur l’accord européen ne soit que consultatif ? La crise grecque nous oblige-t-elle à revoir nos institutions ?

Tout cela, c’est une mise en scène pour sauver à peine les apparences. Le Parlement français n’a pas été associé. En vérité, il n’a même pas été informé pendant la période critique.

Qu’auriez-vous fait à la place de François Hollande ?

Si j’avais été Président de la République, j’aurais très tôt convoqué le congrès à Versailles. Institutionnellement, c’est le seul lieu où le chef de l’Etat peut parler à l’ensemble de la représentation parlementaire. J’aurais, devant les députés et sénateurs, proposé une analyse de la crise et assumé les positions de notre pays. Les Français auraient été associés à cette réflexion, et les Européens auraient entendu la voix de la France.

Les négociations entre dirigeants européens se sont déroulées à huis clos, laissant place à toutes les interprétations politiques possibles. Faut-il revoir le fonctionnement des institutions européennes ?

La crise grecque pose la question non pas du fonctionnement, mais de la nature même des institutions européennes. La vraie question est celle-ci : l’union européenne est-elle une construction de nature diplomatique, ou bel et bien de nature politique ? Si nous sommes dans une construction politique, destinée à faire en commun de grands choix au nom de grands peuples, alors il y a un impératif démocratique de clarté devant les citoyens. À l’encontre d’un fonctionnement dans les coulisses, il faut un débat assumé et des orientations affirmées. Il s’agit de donner une lisibilité, une visibilité aux réunions décisives, celles du Conseil européen. Il doit devenir un lieu où s’affirment des positions publiques, puisque c’est au nom des citoyens et des peuples, et en principe pour eux que l’on agit ! Sans cela, l’Europe se brisera sur le rejet des peuples.

L'idée de mettre en place un gouvernement et un parlement de la zone euro, proposée par François Hollande, est-elle pertinente ?

Un parlement de la zone euro, il y en a déjà un, c’est le Parlement européen, qui pourrait parfaitement se réunir dans une formation plus restreinte. Mais ce qui manque cruellement, c’est le débat politique. Et le débat décisif, c’est au Conseil qu’il se tient !

Pour mieux incarner le Vieux Contient, ne faudrait-il pas un président de l’Europe ?

Au milieu de cette évanescence des dirigeants européens, je trouve que Jean-Claude Junker fait bien son travail. Il a un rôle délicat, il doit harmoniser les positions. Mais il n’est pas élu au suffrage universel direct. Peut-être un jour la question se posera-t-elle…

Que dit cette crise la construction européenne ? L'Union européenne n'est-elle pas utopiste ?

Les grandes choses de l’humanité ont été faites par des gens qui avaient une vision plutôt utopiste des choses. La démocratie est une utopie. L’Union européenne est une utopie fondatrice qui nous fait avancer. Le chacun pour soi serait dérisoire et mortel.

Jacques Delors a été nommé citoyen d'honneur de l’Europe. Cette reconnaissance est-elle légitime ?

J’éprouve pour lui une affection et une admiration qui ne se sont jamais démenties. Jacques Delors a porté une certaine idée de l’Europe, il a incarné un idéal et une pratique. J’aurais voté des deux mains pour cette distinction.

La montée des extrémismes en Europe favorise-t-elle un espace politique au centre ?

Il est obligatoire que tous ceux qui partagent une certaine idée de l’Europe et de la société française, une volonté de ne pas livrer le pays aux diviseurs, soient capables de débattre ensemble et un jour d’agir ensemble. C’est bien pour cela qu’il faudra une approche politique différente de celle que nous connaissons depuis des années.

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