Crise politique: "La solution, ce n'est pas la révolution, c'est l'union nationale"
Robert Rochefort a appelé à construire "une union nationale" pour que notre société sorte enfin "de l'impasse de ses peurs", vendredi sur France Culture.
France Culture - On progresse apparemment sur la transparence mais le monde entier demande à l’Europe de ne pas se laisser enfoncer dans la spirale de l’austérité. Est-ce que vous entendez ces appels des Etats-Unis et du Canada notamment mais aussi des autres pays émergents.
Robert Rochefort - Oui mais il y a deux sujets. Permettez-moi d’abord de dire que c’est une excellente nouvelle que cette lutte contre les paradis fiscaux et pour la transparence. Je pense que cela va être un des combats majeurs des années à venir. Ce combat commence, malheureusement la France et l’Europe qui en parlaient depuis plus longtemps que les Etats-Unis viennent de se faire doubler malgré tout par les Américains, mais c’est une bonne chose. Evidemment en Europe, comme toujours, nous nous heurtons au fait que nous ne sommes pas tous d’accord. Vous savez que le Luxembourg et l’Autriche, pour prendre ces deux pays, ne sont pas favorables pour l’instant à la transparence. Mais je pense que c’est un combat que nous devons continuer à mener.
Vous m’avez posé une deuxième question. Cette deuxième question c’est, pour la France, faut-il changer de politique économique ? Je vous dis non, il ne faut pas changer de politique économique. Je vous dis que ce combat, cette espèce de dialogue de sourds entre ceux qui prônent la rigueur et ceux qui prônent la relance est un faux débat. Parce qu’il faut de la rigueur de façon à permettre la relance demain.
Demain, c’est quand ?
Demain, c’est dès que nous aurons fait les efforts qu’il faut pour retrouver une dépense publique qui ne continue pas à s’emballer. Vous voyez bien que si, aujourd’hui, lâcher la pédale de la rigueur voulait dire continuer à faire enfler notre dépense publique, ce serait une impasse. En revanche, je crois que l’Europe est quasiment le seul endroit où il est possible aujourd’hui de faire de la relance, pour relancer des industries, de grands projets. C’est vrai à condition que chaque pays, en fonction de sa nature, fasse les efforts qu’il faut. Mais, l’Europe doit aussi arrêter de vouloir faire payer les plus petits. Quand les pays sont faibles, parce que ce sont des petits pays, parce qu’ils sont englués dans des erreurs qu’ils ont pu faire dans le passé - c’est le cas de la Grèce, du Portugal ou de Chypre - il y a une façon de la part des grands pays européens de se dire que ceux-là, on peut les écrabouiller parce qu’ils sont tout petits, qui est insupportable.
Comment regardez-vous, jugez-vous la tournure du débat politique en général ? Et nous parlerons de ce qu’il s’est passé cette nuit ensuite.
Je la juge sévèrement et je crois que nous vivons la fin d’une période, la fin d’un cycle. Je crois que la façon la plus spectaculaire d’en être conscients et de le voir, ce sont les sondages qui démontrent chaque mois comment les Français ne se retrouvent plus du tout dans ce jeu politique. Et comment, on le dit assez souvent, entre la montée de l’abstention et la montée des extrêmes, on a le sentiment qu’il n’y a pas à choisir, et moi je ne veux pas ne pas avoir à choisir ou n’avoir à choisir qu’entre l’un et l’autre de ces mauvais compromis ou de ces mauvaises solutions
Vous voulez parler du cycle RPR et maintenant UMP puis PS, PS puis UMP etc. De fait, vous le dites tout le temps, mais vous n’avez pas de place.
Attendez c’est un autre sujet. Simplement, dans la vie, parfois, il y a des choses dont vous savez que vous ne pouvez pas les faire ou que vous ne les ferez pas. Nous sommes dans cette situation. Cela ne veut pas dire que vous avez tout de suite trouvé la piste sur ce que vous allez faire ensuite. Si vous me dites qu’effectivement l’alternative politique est en ébauche actuellement, qu’elle n’est pas complètement réalisée, vous avez complètement raison. En même temps, je vois quelques commentaires, quelques déclarations qui disent qu’il est temps qu’il y ait quelque chose qui ressemble à une union nationale qui se fabrique.
Vous attendez la Révolution finalement ?
Non, pas la Révolution. Ce n’est pas 1789 ou 1968. Je crois qu’en 68, la société était plombée par ses pesanteurs. Je crois qu’aujourd’hui elle est dans l’impasse de ses peurs. Ce n’est pas du tout la même chose. Aujourd’hui, ce qui caractérise notre société c’est la peur, y compris dans ce que vous venez de dire. La peur de tester quelque chose de politiquement différent, la peur de se dire qu’il y a peut-être quelque chose qui consisterait à dire que l’alternance droite/gauche a atteint ses limites.
Mais pour le tester, il faut faire une révolution institutionnelle.
Non.
Avec le scrutin majoritaire, vous ne vous en sortirez pas.
Le scrutin majoritaire est à l’œuvre depuis extrêmement longtemps. Vous croyez que ceux qui ont aujourd’hui le pouvoir s’en tirent bien ? Personne ne conteste la légitimité de François Hollande et du gouvernement, de la majorité et de ses députés. Pourtant tout le monde constate l’inefficacité de sa politique.
Vous avez dit tout à l’heure qu’il ne fallait pas changer de politique.
Je vous ai dit qu’en tout cas il fallait la clarifier et qu’il fallait sortir des ambiguïtés par rapport à cette politique. Parce que la politique du gouvernement, a priori elle est claire depuis que François Hollande a fait sa conférence de presse de novembre. Mais vous voyez bien qu’elle n’est pas complètement affirmée, qu’elle est parfois remise en cause. Et puis malheureusement, depuis deux à trois semaines, à l’intérieur même du gouvernement elle est contestée. Vous avez M. Montebourg ou M. Hamon qui font des pleines pages d’interview dans la presse pour dire en gros qu’ils ne sont pas d’accord, et ces mêmes ministres ne sont d’ailleurs pas rappelés réellement à l’ordre, vous voyez bien qu’il y a une situation qui ne peut pas continuer.
Par rapport à ce qu’il s’est passé cette nuit, le débat maintenant est clos mais nous avons vu comment il s’est terminé. Quand les députés, comme Jacques Myard par exemple, parlent de coup de force à propos du débat sur le mariage, en appellent à la résistance de la rue par un communiqué ce matin, quelle est votre réaction ?
Nous sommes sur France Culture, nous avons le droit de dire des choses un tout petit peu plus fines que les réponses classiques. C’est triste ce qu’il se passe, mais ce n’est pas complètement anormal. Je trouve que la caricature dans laquelle nous sommes rentrés, qui fait que les gens qui sont contre le mariage gay disent que c’est la fin du monde, et que les gens qui sont pour disent que c’est normal, banal et que c’est un truc qui doit passer comme une lettre à la poste, ce n’est pas possible. Je vais vous répondre en sociologue, je crois que le mariage pour tous, le mariage gay, est inscrit dans l’histoire. Je crois qu’il se fera dans tous les pays occidentaux et que c’est d’une certaine façon mener un combat rétrograde que de s’y opposer. En revanche, considérer quelque part que le mariage gay n’est pas quelque chose qui bouleverse beaucoup de traces culturelles, qui pose la question des identités dans une société qui aujourd’hui n’est plus à l’aise et est en crise avec la question des identités, ce serait erroné. Je vous dis les choses de cette façon-là. La société aujourd’hui est une société fragile, marquée par ses peurs, et d’une certaine façon ce qu’il se passe là, au-delà d’un jeu politicien exécrable, c’est aussi tout simplement cela. Pourquoi y a-t-il autant de gens qui sincèrement, je le pense pour certains cas, se mobilisent contre ce mariage, pourquoi y-a-t-il des débordements de cette nature ? Il y a un jeu politicien qui est détestable, mais il y a aussi des peurs qui sont beaucoup plus profondes.