"Construisons une économie coopérative à l'échelle européenne"

Sur BFM Business, Robert Rochefort a appelé les chefs d'États et de gouvernements européens à accompagner le développement de "géants industriels", en renforçant notamment "les fonds sur des investissements d'avenir".
Edwige Chevrillon - La question, pour faire de la croissance, c’est le choc de confiance, vous l’avez souligné, notamment auprès des entrepreneurs, des PME… Pour l’instant, il n’y a pas beaucoup de choc de confiance. Vous dites "Là où nous pourrions l’avoir, c’est au niveau européen".
Robert Rochefort - Non, je pense qu’il faut les deux. Les trois, même. Au niveau des entreprises et des PME, je fais trois propositions extrêmement concrètes. Premièrement, il faut que les seuils sociaux soient au moins expérimentés en progression de 50%. C’est-à-dire qu’il faut dire que cette espèce de couperet à dix ou cinquante salariés qui bloque les embauches, c’est quelque chose qui n’a effectivement pas de sens.
On s’éloigne un petit peu.
Non, li faut donner une boîte à outils pour de vrai. Deuxièmement, quand on parle du choc de simplification, je pense qu’il faut désigner dans toutes les administrations un correspondant administratif unique vis-à-vis des PME. Vous verrez qu’à ce moment-là, il y a plein de paperasseries et de formalités redondantes qui disparaitront. Il faut aussi qu’il y ait une mesure au niveau de l’embauche, ça peut être une façon d’ouvrir beaucoup plus massivement les emplois d’avenir aux entreprises. Deuxièmement, il faut impérativement que l’Etat fasse des économies. Mais pour que l’Etat fasse des économies, il faut un mode d’emploi, il faut un management des dépenses publiques. Je vous donne juste une idée, en France par exemple, les dépenses de santé coûtent parfois 30% moins cher, dans une région par rapport à une autre, et les gens sont aussi bien soignés. Il faut que cette région serve de modèle et que la région où ça coûte plus cher soit une région qui travaille comme la région où ça coûte moins cher. Et au niveau européen, parce que c’est fondamental, il faut une économie coopérative.
C’est quoi une économie coopérative ?
C’est-à-dire que, par exemple, on arrête de dire qu’il faut absolument empêcher des géants européens de se construire parce que la concurrence est le maître-mot. Il faut que Siemens et Alstom soient incités à travailler ensemble pour gagner des marchés et non pas être en concurrence.
Déjà que nous n’y arrivons pas en France…
C’est cela que nous devons faire, avec en même temps, lorsque nous aurons la capacité de le faire, des fonds européens plus importants sur des investissements pour l’avenir. Par exemple, pour une nouvelle voiture pour le XXIème siècle pensée en Europe, je vous ai aussi parlé du train à grande vitesse, des énergies nouvelles... Cela aussi c’est la responsabilité de Bruxelles. Et Bruxelles, c’est nous. Maintenant je connais très bien Bruxelles, ce n’est pas une sorte de chose abstraite qui n’existerait pas, c’est l’ensemble des chefs d’Etat. Si on prend la zone Euro, ce sont des ministres de l’économie qui sont côte-à-côte et qui sont conscients.
Enfin souvenez-vous, il y a un an il y avait un pacte de croissance au niveau européen, on l’attend toujours. Je voudrais que nous parlions aussi pouvoir d’achat, il en a pris un sacré coup et cela ne risque pas de s’arranger.
Précisons que, quand nous avons des chiffres qui sont à zéro sur le pouvoir d’achat, comme en France nous avons une démographie qui progresse, cela veut dire que par tête et par ménage il diminue, c’est important de le rappeler. Ce qui aujourd’hui me préoccupe énormément, c’est la montée des inégalités. Regardez, on a annoncé la semaine dernière que les salaires continuaient à progresser en France. C’est-à-dire que les gens qui sont en CDI ont un salaire qui continue à augmenter. De l’autre côté, on nous annonce tous les mois 30 ou 40.000 chômeurs de plus. Mais est-ce que vous savez que, tous les mois, il y a 80 ou 90.000 chômeurs qui arrivent en fin de droit ? Donc, ils passent de la situation où ils avaient leur assurance Assedic à une situation où on ne leur donne plus d’argent, ou des minima sociaux de type RSA, ASS, etc. Ce sont 80 à 90.000 personnes, c’est-à-dire plus de deux fois plus que le nombre de nouveaux chômeurs. Cela, c’est extrêmement préoccupant.
Donc vous êtes assez d’accord avec François Hollande qui déclare que pour parler d’unité nationale, il faut au moins se retrouver sur l’emploi, sur la lutte contre le chômage…
Oui. Vous savez, les gens, nous trois par exemple, si notre pouvoir d’achat baisse de 1 ou 2% pendant trois ans, nous vivrons bien quand même. Il faut avoir l’honnêteté de dire que c’est vrai heureusement pour une majorité de Français. En revanche, pour une minorité de Français très significative, ce n’est pas du tout la même chose. Pour eux, ce n’est pas une diminution de 1 ou 2% mais de 5 à 10%.
Est-ce que vous seriez favorable, par exemple, à un revenu minimum qui agrègerait les minima sociaux et différentes aides ?
Je suis favorable, effectivement, à ce que l’on rouvre le dossier qui est : comment l’assistance d’un côté et l’insertion professionnelle de l’autre doivent être recombinées ensemble ? C’est pour cela que tout à l’heure je vous parlais des emplois d’avenir. Si les emplois d’avenir restent confinés à l’administration, aux associations, aux collectivités territoriales, c’est relativement une impasse. Mais sur des jeunes qui sont aujourd’hui sans qualification et qui ont besoin d’avoir le pied à l’étrier, ce que nous devons faire c’est arriver à combiner quelque chose de cette nature qui passe par des coûts sociaux plus faibles, sinon nous n’y arriverons pas, il faut le reconnaître. La cohésion sociale est énorme. Ce n’est probablement pas le moment pour parler de la montée de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon mais ça a un rapport avec ce sujet.
Cela a forcément un rapport. Puisque nous voyons bien que, comme le disait Laurent Berger le secrétaire général de la CFDT, la crise pousse au populisme.
Voilà, et je voudrais dire qu’il y a une alternative à regarder les bras croisés monter les extrêmes en se disant qu’on ne peut rien faire d’autre. C’est d’ailleurs pour cela que vous avez vu ce sondage la semaine dernière qui montrait le désir d’unité nationale – je préfère "unité nationale" à "union nationale" – et de solutions politiques innovantes. Je vous assure que les Français sont beaucoup plus prêts à les entendre qu’on ne le pense.
En même temps, on peut se dire que l’unité nationale n’a pas vraiment de sens.
Si, cela a du sens !
Ça a du sens pour vous parce que vous être vice-président du MoDem et qu’on parlait de François Bayrou.
Non, sur l’exemple dont on vient de parler, ça a du sens. Si vous avez la droite qui dit "Je veux que les gens sans insertion se retrouvent dans l’entreprise", aussitôt, cela s’est d’ailleurs produit dans les mois passés, il y a la gauche et les syndicats qui disent "Ça y est, ils veulent casser le SMIC, le droit social". Si à l’inverse la gauche toute seule essaie de faire cela, elle n’a pas le rapport de force politique pour le faire.
Vous avez raison.
C’est très concret ce que je vous dis, ce n’est pas du baratin pro-Bayrou. Je sens que vous pensiez cela donc j’ai devancé…
Non, pas du tout. Je disais juste que comme ce sondage donnait un score écrasant pour François Bayrou, je me permettais de sourire. Une dernière question sur la consommation et pouvoir d’achat, parce que je pense que c’est effectivement le nœud du problème. Est-ce que cette loi Hamon, sur les class actions, sur la résiliation des contrats d’assurance, va dans le bon sens ? Est-ce qu’elle peut aider ?
D’abord, permettez-moi de vous dire, en tant que député européen, que c’est aussi la transposition d’une directive européenne sur laquelle j’ai travaillé et sur laquelle j’étais rapporteur il y a un an et demi.
Oui, vous avez raison de le rappeler.
Quand l’Europe fait des choses, il faut aussi le dire. Alors, je suis favorable aux actions de groupe, et je trouve que le compromis Hamon est grosso modo acceptable. En revanche, je regrette qu’il n’y ait pas dans cette loi une ambition plus grande, comprenant que la consommation est aujourd’hui en crise et qu’il faut changer de modèle de consommation.
C’est-à-dire ?
Par exemple, je suis favorable à ce qu’on augmente la durée de garantie obligatoire. Vous savez, c’est ce à quoi Jean-Vincent Placé et EELV avaient un peu réfléchi. Je suis favorable à ce que nous essayons de comprendre les nouvelles formes de consommation qui sont les ventes d’occasion, le fait à la maison… Et je suis favorable à ce que nous ayons un ministre qui ait une vision sur cela et qui regarde la consommation comme elle est aujourd’hui, en train de se transformer. Parce que le pouvoir d’achat va rester mauvais, en baisse pour un grand nombre, voire en plat pour beaucoup d’autres, et je voudrais à cet égard que l’on apporte les bonnes réponses et pas les mauvaises. La mauvaise, c’est comme cela avait été fait par le précédent gouvernement, c’est de dire que les Français n’ont qu’à acheter du low-cost ou du hard-discount parce que ça coûtera moins cher et comme ça ils sauveront leur pouvoir d’achat. Mais en faisant cela, ils plantent encore plus les emplois, donc c’est une catastrophe.
Est-ce qu’il y a assez de concurrence en France ?
Ça dépend des secteurs. Il faut qu’il y ait plus de concurrence, mais en même temps, c’est d’ailleurs dans le projet de loi Hamon, je suis pour les inscriptions géographiques sur les produits industriels dans la foulée des produits alimentaires. Parce que je crois que la concurrence n’est pas contradictoire avec l’origine de fabrication et la promotion du Fabriqué en France qui me semble utile, indispensable même.
Le Made in France, cela a un sens, vous qui avez travaillé sur la question ?
Bien sûr que ça a un sens ! Parce que le Made in Europe a aussi un sens. Un TGV Made in France tout seul n’a pas de sens, mais sur un certain nombre de choses, oui ça a du sens.