"Ce voyage de Manuel Valls est un signe très choquant pour l'opinion"
François Bayrou, président du MoDem, était l’invité de Nicolas Beytout sur le plateau de l’Opinion. Il est revenu sur le voyage polémique de Manuel Valls à Berlin rappelant que « politiquement c'est un signe choquant pour l'opinion ». Il s'est également exprimé l'influence du Qatar sur la politique française et les dernières mesures du gouvernement en faveur de la reprise de l'emploi.
Ce n'est certes pas de la grande politique mais, c'est le sujet qui occupe toute la classe politique et une partie des médias, je veux parler bien entendu du voyage en avion de Manuel Valls pour aller assister à un match de football, avec ses enfants. François Bayrou bonjour.
Bonjour.
Vous êtes président du MoDem, maire de Pau, vous êtes souvent l'une des personnalités françaises qui en appelle le plus souvent à la morale. Manuel Valls a-t-il commis une faute morale ?
Non, je ne mets pas cela sur le plan de la moral. Pourquoi ce voyage choque-t-il ? Parce que toute la société française est obligée de faire des efforts, du moins 95 % des Français, obligés de prendre sur leur train de vie pour payer leurs impôts ou encore simplement pour les dépenses de la vie de tous les jours. Dépenses par ailleurs que le gouvernement accroît. Avec ce geste, le gouvernement s'est laissé aller à un geste qui est un geste de privilégié. Prendre l'avion de la République pour aller à Berlin …
C'est donc une faute politique ?
En tous cas c'est politiquement un signe très choquant pour l'opinion. Vous connaissez bien ce monde d'événements sportifs, de Roland Garros, et autres : c'est un monde de l’entre-soi. C'est un monde de l'entre-soi dans lequel vivent ensemble des gens qui se présentent comme l'univers des privilégiés. "The place to be", l'endroit où il faut être. Or, quand on est à la tête d'un gouvernement dans un pays en crise qui demande des efforts, il me semble qu'en effet un tel geste est un signal très troublant pour l'opinion.
Vous avez dit hier qu'il fallait qu'il rembourse les billets. Cela effacerait-il le fait qu'il l'ait fait ? C'est sûrement bien pour les deniers de la République.
C'est surtout une manière de tirer un trait. Rembourser c'est une façon de dire : « Je n'ai pas été compris, j'ai cru que … mais je m’aperçois que les Français ne pensent pas cela... ». C'est une manière de tirer un trait et de prendre une part de cette responsabilité.
La gauche, Claude Bartolone encore ce matin, défend beaucoup Manuel Valls en disant qu'il fallait y aller…
Tout le monde sait ce qu'il en est. Il avait envie d'aller voir le match de son club favori, il y est allé avec ses enfants et ne s'est pas rendu compte de ce que ce geste pouvait avoir de troublant parce qu''il y a un danger et un risque dans l'univers du pouvoir, c'est de le vivre comme si les privilèges étaient normaux, étaient un dû. Il est vrai que le pouvoir a vécu pendant des décennies comme cela, mais aujourd'hui, ce n'est plus possible.
Dans les petites choses qui aujourd'hui posent question, il y a la révélation du fait que le Président de la République a décoré de la Légion d'Honneur le Président de Qatar Airways. C'est le Qatar qui révèle cela. Doit-on se poser des questions ?
Je l'ai souvent dit. L'influence du Qatar sur la politique française, de tous bords, comme l'influence de tout autre État, influence directe avec des privilèges – le fait que le France ait voté une exemption fiscale pour le Qatar en prenant un texte pour dire que, sous Nicolas Sarkozy, les plus values immobilières du Qatar ne seraient pas taxées – est quelque chose qui interroge. Les liens d'un certain nombre de responsables politiques français avec le Qatar sont pour moi et beaucoup de Français, une question.
Quand vous dites « responsables politiques », vous incluez le Président de la République justement ?
En tous cas, ces temps-ci, il y a eu de sa part – on le comprend, il faut vendre un certain nombre d'armes, d'avions – une intimité entre la politique du Qatar et la politique étrangère de la France qui est, pour moi, une interrogation.
Vous parleriez d'influence ?
Oui, il y a une prise d'influence, une forme d'influence de la part du Qatar très marquée sur la politique française. C'était le cas sous Nicolas Sarkozy et on le découvre aujourd'hui sous François Hollande.
Tout cela masque, malheureusement d'ailleurs, un certain nombre de faits politiques ou de décisions du gouvernement …
Je veux rajouter quelque chose. Je ne dis pas que les liens sont du même ordre. Je ne dis pas que les liens de François Hollande avec le Qatar et les liens de Nicolas Sarkozy avec le Qatar soient du même ordre. Sous François Hollande ils sont plus politiques qu'intimes, comme c'était le cas avec Nicolas Sarkozy.
Précision enregistrée. Je disais justement que tout cela masquait malheureusement des décisions bénéfiques, par exemple pour l'emploi. Que pensez-vous du plan annoncé par Manuel Valls hier pour l'emploi dans les TPE et les PME ?
Je pense qu'il va dans le bon sens. Les propositions principales sont bonnes mais certaines sont cependant beaucoup trop usine à gaz à mes yeux, comme le fait que l'on verse une prime en deux annuités pour un premier emploi. J'avais proposé deux emplois sans charge pour les entreprises. Un emploi ça aurait déjà était bien. Cela aurait été un bon pas. Ce plan vaut facilitation mais pour moi ne vaut pas prime.
Ça va dans le bon sens tout de même ?
Oui ça va dans le bon sens.
On recrée des seuils au passage dans cette simplification, c'est un peu étrange non ?
Ces seuils, présentés comme tels, vont dans le bon sens. Cela mérite qu'on le dise.
Les syndicats n'ont pas été consultés, ce plan n'est pas le fruit d'une négociation, d'un accord signé au petit matin entre le patronat et les syndicats. Est-ce une bonne façon de faire ? Avec des syndicats qui bloquent ?
Est-ce que les syndicats bloquent, c'est une autre question.
La forfaitisation des indemnités de licenciement est quelque chose que les syndicats refusent absolument. C'est une bonne méthode de contourner le dialogue social sur ces sujets ?
Il y a deux questions. Sur le contrat de travail, je défends – d'ailleurs depuis longtemps – un CDI, un contrat de travail à durée indéterminée unique, avec des droits progressifs. C'est-à-dire, que l'on sait depuis le début quelles vont être les charges imposées en cas de rupture du contrat de travail. Ces charges sont donc progressives.
Sur le fait de modifier la règle sociale en France sans la négocier avec les syndicats ?
Vous voyez bien, le gouvernement est dans l'urgence. La situation de l'emploi est cataclysmique, catastrophique en tous cas. Peut-être faudra-t-il réserver ces superlatifs pour un peu plus tard, mais c'est une situation très inquiétante. Le gouvernement est dans l'urgence, il sait bien qu'il faut faire quelque chose et il essaie de le faire. Il est vrai que l'on n'a pas le temps de se lancer dans des procédures qui vont prendre beaucoup de temps.
Pas le temps non plus de se lancer dans un travail de conviction de sa gauche à lui. Est-ce une preuve pour vous qu'une partie de la gauche n'est pas accessible à la modernité ou à l'ouverture ?
La gauche n'existe plus. Il y a deux visions, deux conceptions en confrontation l'une avec l'autre. Il y a la vision de ceux qui pensent qu'il faut en revenir à la distribution d'argent public pour faire repartir la machine, et la vision de ceux qui pensent au contraire qu'il faut restaurer l'appareil économique pour que l'on se porte mieux. C'est évidemment une confrontation brutale entre les deux.
Qui fracture le PS ?
Qui fracture le PS et la gauche.
Et qui vous donne quelques chances ?
Je n'examine pas la situation à travers ma propre situation.
Non mais vous expliquez depuis longtemps que l'avenir est ailleurs qu'au sein de deux grandes forces politiques.
Voilà. Je vais vous le dire autrement, la question principale pour la France aujourd'hui, c'est la possibilité de faire naître une majorité réformiste.
Majorité différente des trois blocs que sont le Parti socialiste, le Front national et les Républicains.
Oui tout à fait.
Une possibilité que l'on verra peut être se dessiner dans les mois à venir, jusqu'en 2017. Merci François Bayrou.
Merci à vous.