"Bernard Tapie n’a pas été trompé, c’est une légende qu’il a fabriquée"
Jean Peyrelevade, patron du Crédit Lyonnais de 1993 à 2003 et proche de François Bayrou, a réagi sur France Info à la défense de Bernard Tapie en dénonçant la "fabrication d'une légende" démentie par les "conclusions de la Cour de Cassation".
France Info – Jean Peyrelevade, vous avez été président du Crédit Lyonnais de 1993 à 2003. Vous avez vu Bernard Tapie s’exprimer hier pour la première fois depuis sa mise en examen dans l’affaire de l’arbitrage de son litige avec le Crédit Lyonnais. Quelle impression globale vous a-t-il faite ?
Jean Peyrelevade – Je l’ai trouvé peu convaincant. Je ne pense pas que les cris, la fureur, les emportements puissent tenir lieu d’argumentation.
Peu convaincant. L’avez-vous trouvé sincère dans sa défense ?
L’histoire qu’il raconte est toujours la même. Je ne parle pas de l’arbitrage qui est postérieur à ma propre connaissance du dossier.
Vous parlez de la revente d’Adidas ?
Oui. Y a-t-il eu des fautes de la part de la SDBO et du Crédit Lyonnais ? A-t-il été volé ? A-t-il été trompé ? Non, la réponse est non. J’ajoute que je ne suis pas l’auteur du montage, je suis arrivé après cette vente. Pourquoi suis-je à peu près sûr ? Je vous suggère d’aller voir le site de la Cour de Cassation sur lequel elle présente en résumé sa propre décision de 2006.
Que Bernard Tapie a citée hier soir.
Oui, mais moi je vais vous citer les conclusions de la Cour de Cassation telles qu’expliquées par la Cour de Cassation sur son propre site.
Je vais peut-être citer Bernard Tapie d’abord, puisque vous aurez la réponse à cette citation. Il citait donc cet arrêt selon ces termes : "réticence et dissimulation intentionnelles du Crédit Lyonnais à l’encontre de la société de Bernard Tapie".
Allez voir le site de la Cour de Cassation, présentant sa propre décision de 2006, les deux dernières lignes de conclusion sont : "En l’état, aucune faute constituée ne peut être reprochée ni à la SDBO ni au Crédit Lyonnais. Donc, l’arrêt est cassé." Donc, le dernier état du droit, c’est qu’il n’y a pas de faute à reprocher, ni au Crédit Lyonnais, ni à la SDBO.
Ce que dit Bernard Tapie est donc un mensonge ?
C’est un mensonge, je n’arrête pas de le dire depuis le premier jour où j’ai eu à m’occuper de cette affaire et je continuerai, parce que le mythe originel est là. L’histoire, la légende fabriquée par M. Tapie et ses avocats, c’est une très belle légende : un homme d’affaires, prospère, réussissant tout ce qu’il touchait, qui s’est retiré des affaires parce qu’il voulait faire de la politique et qui aurait été roulé par le Crédit Lyonnais. Tout ceci, je le répète, avant mon arrivée. Or, quand on reconstitue la situation, que j’ai eu à vivre à partir de la fin de l’année 1993, on s’aperçoit qu’au moment de la cession d’Adidas, M. Tapie est en fait incapable de rembourser ses dettes. Ni sur Adidas, qu’il a acheté deux ans avant, ni sur l’ensemble de ses autres participations industrielles sur lesquelles il était en fait en état de cessation de paiement. Donc, loin de quitter les affaires pour pouvoir rejoindre la politique, il se sert de la politique pour se protéger dans une situation dans laquelle il n’avait pas la capacité de payer ses dettes.
Il charge également le Crédit Lyonnais sur un autre point, à propos de la revente d’Adidas toujours. Je cite Bernard Tapie : "Entre Dreyfus et moi, il y a le Crédit Lyonnais caché dans des paradis fiscaux et des sociétés offshores". Est-ce que ça aussi c’est un mensonge ?
C’est également, à mes yeux, un mensonge.
À vos yeux, c’est-à-dire ?
C’est-à-dire que j’ai des éléments de preuve qui me laissent penser que c’est un mensonge et les éléments de preuve que j’ai sont, à mes yeux, très supérieurs aux éléments de preuve qu’amène M. Tapie à l’appui de sa soi-disant démonstration. Les sociétés en question, qui ne détiennent que 35% d’Adidas, ne sont pas des sociétés fabriquées par le Crédit Lyonnais, ce sont des filiales contrôlées de deux grandes banques internationales, la Citybank et Warburg. Quand j’ai demandé, en 1998 si je me souviens bien, aux deux banques en question, par écrit, si le Crédit Lyonnais, d’une manière ou d’une autre, était derrière ces deux filiales, la réponse dans les deux cas a été non, et de la part de la Citybank, et de la part de Warburg. Le Crédit Lyonnais n’est ni de près, ni de loin, derrière les deux filiales en question.
Finalement Jean Peyrelevade, vous continuez à dire que le Crédit Lyonnais, d’abord, n’a jamais volé Bernard Tapie, mais qu’il l’a au contraire aidé, à l’époque ?
Oui. Je pense que le Crédit Lyonnais aurait dû faire plus tôt ce que j’ai fait vers le milieu de l’année 1994, c’est-à-dire prendre acte du fait que Bernard Tapie n’était pas capable de rembourser ses dettes et, comme on doit le faire toujours quand on a un débiteur douteux qui a un actif net négatif, saisir le tribunal de commerce. J’ajoute d’ailleurs que la première décision de justice à l’encontre de M. Tapie, c’est le tribunal de commerce qui l’a prononcée fin 1994 et qui l’a mis en faillite personnelle. Ce n’est pas mon fait, c’est celui du tribunal de commerce. Donc, on aurait dû faire ça dès le début de l’année 1993. Au lieu de ça on a habillé la vente d’Adidas pour sauver le soldat Tapie et on l’a habillée dans des conditions telles que, oui, le Crédit Lyonnais gardait tous les risques.
Sur l’arbitrage lui-même, c’est une des informations que Bernard Tapie a données hier soir, il dit : "Nicolas Sarkozy a forcément donné son feu vert mais c’est Christine Lagarde seule qui a pris la décision". Est-ce que cela vous semble cohérent ?
Ça ne fait pas beaucoup de différence à mes yeux. Personnellement, je ne fais pas de politique dans cette affaire. Ce qui me choque profondément c’est que, que ce soit Christine Lagarde ou Nicolas Sarkozy, c’est l’État qui est engagé. Ce sont deux personnages d’État, dans les deux cas. Que ce soit le Président le République ou que ce soit la ministre des finances, ça ne change pas à mes yeux la faute commise par l’État dans la défense de ses propres intérêts.
Quand Bernard Tapie se dit victime d’un complot, il vise la presse, il parle aussi – je le cite encore une fois – de "quelques copains qui imposent à l’opinion publique des contre-vérités". Est-ce que vous vous sentez visé, Jean Peyrelevade ?
Absolument pas. D’ailleurs je constate que, parmi les journalistes, il y en a beaucoup qui défendent avec acharnement les thèses de M. Tapie sans ne m’avoir jamais donné l’occasion de leur répondre directement.
Vous dites à peu près la même chose de lui finalement, c’était dans Les Échos il y a quelques jours, je vous cite : "Il a réussi à installer sa vérité dans l’opinion publique, chez certains politiques et journalistes". Il y a une guerre de communication dans cette affaire ?
De ce point de vue, il est beaucoup plus fort que moi, depuis beaucoup plus longtemps.
Bernard Tapie dit également qu’il n’a jamais fait de lobbying auprès de Nicolas Sarkozy. "Je peux voir trente fois Nicolas Sarkozy, je ne lui parlerai pas de l’arbitrage, c’est une question de principe." Est-ce que vous y croyez, Jean Peyrelevade ?
Quand on voit trente fois une personne, que l’on a des soucis et que l’on se prévaut d’une relation amicale avec la personne en question, en général on lui parle de ses soucis.
Donc là aussi selon vous, mensonge de Bernard Tapie ?
Je ne vais pas jusque là, je ne peux pas prouver. Donc, je donne mon impression.