"Affrontons l'erreur criminelle de cette paroi de verre qui s'est bâtie entre ceux qui se sentent peuple et les responsables politiques et médiatiques"

François Bayrou, a estimé ce matin sur BFM TV que la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne était "une onde de choc terrible" qui "appelle des réactions d'homme d'Etat".

Bonjour François Bayrou.

Bonjour.
 
Aujourd’hui c’est une émission consacrée à la Grande-Bretagne, le « non » l’a emporté, la Grande-Bretagne dit non à l’Union Européenne, quelle est votre première réaction ?
 
C’est une onde de choc terrible pour la Grande-Bretagne et qui va tout naturellement se propager en Europe. C’est une onde de choc qui appelle des réactions d’hommes d’Etat, pas des gens qui veulent suivre l’opinion, mais des gens qui regardant les choses en face, qui proposent un chemin et un projet.
 
Quelles sont les conséquences pour la Grande-Bretagne, pour la France et pour l’Europe ?
 
La Grande-Bretagne est entrée dans une décennie qui va être pour elle très dangereuse : il va y avoir dislocation à l’intérieur même du Royaume-Uni. Vous avez déjà vu la réaction de la Première Ministre d’Ecosse qui dit qu’ils veulent rester dans l’Union Européenne, c’est-à-dire qu’ils veulent se séparer du reste du Royaume-Uni qui a fait ce choix. Vous savez que l’Ecosse a voté pour rester dans le Royaume-Uni d’un cheveu. Puis en Irlande aussi, ce vote signifie qu’à l’intérieur de l’Irlande, entre Dublin et Belfast, on va devoir remettre des frontières avec des gardes et il faudra un passeport pour aller d’un coin à l’autre de l’Irlande. Ce matin, « Sinn Fein » dit « faisons un référendum de réunification de l’Irlande ». Vous mesurez à quel point les forces de dislocation ne s’appliquent pas seulement à l’Union Européenne, elle s’applique à l’intérieur même du Royaume-Uni et même à l’intérieur de chaque pays, vous voyez ce qui se passe à l’intérieur de l’Espagne et dans d’autres pays européens.
 
L’avenir de David Cameron n’est pas ce qui nous intéresse le plus…
 
Cameron doit démissionner. J’entends des échos disant qu’il allait rester mais à mes yeux ce n’est même pas imaginable : conduire votre pays à un jour aussi dangereux, entraîner les gens avec une espèce de légèreté à ce choix-là, vous ne pouvez pas rester.
 
Les sondages se sont trompés et les élites sont désavouées en Grande-Bretagne, comme cela se passe partout en Europe.
 
Comme cela se passe partout dans le monde ! Il faut que vous mesuriez que ce que nous croyons être limité à l’intérieur de nos propres frontières est en fait une vague qui balaie la planète. Si vous regardez ce qui se passe en Inde avec la victoire du parti nationaliste dans un rejet aussi d’un certain nombre d’autres expressions, notamment religieuses, quand vous voyez ce qui se passe au Moyen-Orient avec la revendication fondamentaliste du côté de l’islam. Tout cela est une même vague, elle donne ici ou là des fruits légèrement différents, mais c’est la vague de la mondialisation que les anglais appellent la "globalisation". Cette vague-là perturbe profondément l’aspiration d’identité et l’aspiration de maîtrise de ses propres choix auxquels les peuples aspirent et sont habitués. Ce n’est pas un petit événement qui se limite au Royaume-Uni. C’est un événement d’importance continentale et peut-être même mondial parce que les soubresauts sur l’économie vont être très importants.
 
Et les soubresauts chez nous ? Nous avons une élection présidentielle dans moins d’un an maintenant. Déjà ce matin, le Front National, Marine Le Pen demande le même référendum en France et à gauche aussi on commence à demander un tel référendum, chez Mélenchon et chez d’autres.
 
Moi je n’ai pas peur de l’expression du peuple, il y a beaucoup de gens qui craignent le peuple, moi non. C’est simplement parce que l’on n’a pas su lui parler, on n’a pas su s’adresser à lui, on n’a pas su dessiner de manière sensible et juste ce que l’avenir pourrait être. C’est la raison pour laquelle on a peur des peuples.
 
Êtes-vous favorable à un référendum ?
 
Je dis qu’à partir du moment où on aura eu des chefs d’Etat capables de redessiner un projet européen, ce jour-là il sera possible d’effacer ce qu’a été l’erreur du traité de Lisbonne, c’est-à-dire après que le peuple français se soit exprimé pour dire non, les choix politiques sont passés par la voie parlementaire. A ce propos j’ai vu que Bruno Le Maire lui-même regrettait ce qu’il s’était passé avec le traité de Lisbonne et ce « non » du peuple français. Je ne veux pas faire de la polémique, tout de même, le ministre des affaires européennes au moment du traité de Lisbonne que l’on dit regretter aujourd’hui, s’appelait Bruno Le Maire.
 
C’était une faute terrible qui a été marqué dans le subconscient de beaucoup de français ?
 
A mon sens c’était une erreur grave que de vouloir court-circuiter le choix des français et derrière leur dos de remettre exactement ce qui avait été rejeté par les français. Moi j’avais voté oui mais je n’avais pas voté le traité de Lisbonne.
 
Quel poids cette décision peut-elle avoir sur les élections présidentielles ?
 
Un poids très important. La question de l’Europe et la question d’un référendum va être une des questions centrales de l’élection présidentielle et d’une certaine manière, c’est une exigence que nous devons affronter.
 
C’est-à-dire que vous êtes favorable à un référendum ?
 
Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai dit que je n’avais pas peur de poser et de répondre à la question et de le faire avec mes concitoyens, quelle que soit la situation dans laquelle ils se trouvent. Il y a un ennemi que nous devons affronter, c’est cette paroi de verre qui s’est bâtie avec le temps entre ceux qui se sentent « peuple » et ceux qui se croient « élites ». L’idée que c’est entre-soi, entre gens informés et initiés, que les grandes questions se posent.
 
Qui a construit cette paroi de verre ? Ce sont les responsables politiques ?
 
Oui, entre autres, et médiatiques. Le peuple, au fond pour lui, on fait de la communication, de la com’ comme on dit. Mais que les affaires sérieuses se traitent « entre grands ». Ceci est une erreur fondamentale. Il faut comprendre que pendant longtemps la démocratie a été lointaine, et aujourd’hui la démocratie elle est intime, par le biais des réseaux sociaux, des chaines d’information continue, elle est le fruit d’une prise de conscience que tous les événements se passent à la seconde sur nos téléphones portables, nos smartphones. Aujourd’hui, tenir les gens loin des décisions essentielles est une idée dramatiquement criminelle. 
 
Comment fait-on pour les tenir plus près ? 
 
On reconstruit un mode de gouvernement différent. C’est pour ça qu’au début de cet entretien j’ai dit que c’était l’heure des hommes d’Etat. Qu’est-ce que c’est qu’un homme d’Etat ? C’est quelqu’un qui a une vision, qui sait où il va, et qui est capable de transmettre cette vision dans la simplicité du propos et pas avec la communication, des phrases écrites par d’autres, bref, tout ce que nous connaissons. Il est capable de toucher le cœur et l’intelligence de ceux qui l’écoutent. Et Dieu sait s’il y a un projet qui mérite que l’on touche l’intelligence et le cœur, c’est bien le projet qui se trouve aujourd’hui soumis, qui se trouve être l’épicentre de ce tremblement de terre. Vous m’avez entendu dire cela cent fois alors je le dis une cent unième : le pire risque pour l’Europe qui s’est développé au fil du temps, c’est que personne ne sait ce qui s’y décide et ce qui s’y fait. Et nous avons le devoir de remettre, plus que la transparence, l’intégrité des décisions européennes dans la main des citoyens, que tout le monde sache. Ensuite il faut une deuxième règle très importante, parce que c’est ça le projet européen, elle s’énonce simplement : « Que l’Europe s’occupe des choses essentielles que nous ne pouvons pas faire seuls et qu’elle laisse aux Etats, au plus près du terrain, de décider des choses de la vie de tous les jours, des choses secondes. »
A mon sens c’était une erreur grave que de vouloir court-circuiter le choix qu’avait été le choix des français et derrière leur dos de remettre exactement ce qui avait été rejeté par les français. J’avais voté « oui » mais je n’avais pas voté le traité de Lisbonne.
 
Quel poids cette décision va avoir sur les élections présidentielles ?
 
Un poids très important. La question de l’Europe et la question d’un référendum va être une des questions centrales de l’élection présidentielle et d’une certaine manière c’est une exigence que nous devons affronter.
 
Que doivent faire François Hollande et Angela Merkel ? Qu’aurait dû faire depuis longtemps François Hollande ? Et François Hollande n’est pas un homme d’Etat ? 
 
Non, je ne veux pas dire les choses ainsi. Dans la définition que j’ai donnée, c’est-à-dire quelqu’un qui a une vision et qui est capable de transmettre aux citoyens, de partager avec eux les grands choix, non, les dernières années, il n’a pas rempli cette exigence-là. Il n’a rien dit sur les sujets européens. J’ai le souvenir d’une récente conférence de presse, cruciale, très importante, je ne sais combien de temps, peut-être pendant trente ou quarante minutes, il n’a pas prononcé le mot « Europe ». Cette absence d’idée européenne alors que pour nous, Français, il n’y a pas d’autre avenir. Naturellement si un jour on avait les mêmes ennuis, on reconstruirait.
 
Alors maintenant, que doivent faire François Hollande et Angela Merkel ? 
 
Je voudrais qu’ils partagent une vision commune et la volonté, à partir des pays fondateurs de l’Union européenne, de proposer aux peuples un projet dans lequel ils s’engagent. On a l’impression que l’un et l’autre depuis des années prennent ce sujet avec des pincettes, qu’ils le traitent comme s’il était à distance. On ne les entend jamais, les photos que l’on fait d’eux sont muettes, les films sont des films muets, car ils ne disent rien. Or, faire de la politique consiste à choisir l’horizon que l’on se propose et à le partager avec ceux dont on a la charge d’entraîner. 
 
Dans moins d’un an il y a les élections présidentielles, si vous étiez élu Président de la République, vous organiseriez ce référendum ?
 
Si j’étais élu Président de la République, je dessinerais avec et pour les français un projet européen qu’un jour où l’autre il faudrait soumettre aux français. L’idée dans laquelle on s’est enfermé depuis des décennies, le péché originel de cette immense, positive et grande aventure historique que les nations européennes ont décidée après s’être faits la guerre, l’idée était que cela devait se passer sans que les peuples n’y interviennent trop parce que l’on n’avait pas confiance dans les peuples. Je pense que le rétablissement de la confiance dans les peuples est nécessaire. Comment voulez-vous que l’on résiste à la pression commerciale de la Chine, par ailleurs des Etats-Unis, si nous ne sommes pas, ensembles, décidés à bâtir un espace commercial protégé lorsqu’il le faut et ouvert lorsque c’est nécessaire ? Comment est-ce possible pour des grands pays exportateurs comme nous que nous nous défendions tous seuls contre les barrières que les autres mettent et contre leur volonté de nous envahir par du dumping. Vous voyez bien que ce n’est pas possible et c’est la même chose pour tous les grands sujets comme l’immigration en particulier qui a joué un très grand rôle dans le référendum britannique.
 
Vous confirmez que si Alain Juppé est battu vous serez candidat ?
 
Si Alain Juppé est choisi à la primaire, je le soutiendrai sinon je ferai ce qu’il faut faire. Je ne laisserai pas la France placée devant le seul choix Hollande/Sarkozy/Le Pen parce que ceci est pour les français une triple impasse que je redouterai. Ce choix-là conduirait à quelque chose d’absolument impossible à accepter qui est : « on continue comme avant, on reprend les pratiques d’avant, les partis qui monopolisent le pouvoir depuis longtemps, à savoir les deux partis qui se partagent le pouvoir depuis longtemps ou l’extrémisme. Cette espèce d’impasse de blocage dans lequel on se trouverait, je ne l’accepterai pas en tant que citoyen, ni en tant que responsable de famille politique.
 
Dernière question concernant Patrick Balkany. C’est un affaiblissement des institutions, de la politique, c’est une honte ?
 
C’est une atteinte profonde à l’idée que nous devrions nous faire ensemble de l’avenir, de nos règles, d’un minimum de sens moral et de décence. C’est quelqu’un qui est depuis des années dans des affaires multiples, qui a manqué aux devoirs qui devraient être ceux de sa charge, et on le réinvestit ! Je ne l’accepterai pas. Dans cette circonscription, il y aura un candidat du MoDem.
 
Quelqu’un a tweeté : « Monsieur Bayrou, quand les peuples se révoltent cela ne vous plaît pas ». Vous n’êtes pas un démocrate ?
 
Non, je pense que le sentiment des peuples est juste lorsqu’il s’exprime. J’ai l’intention de convaincre mes concitoyens que ce que nous avons à bâtir ce n’est pas la décomposition mais c’est la recomposition, la reconstruction. Ce que nous allons vivre à partir du choix britannique tout le monde va en payer le prix, d’une certaine manière, et je n’ai pas envie d’aller dans le sens de ceux qui veulent plus de décomposition et de division.
 
Merci François Bayrou.
 
Merci

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