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Affaire Lagarde : "Terriblement affaiblissant pour l'image internationale de la France"

Seul à s'être opposé, dès 2011, à la nomination de Christine Lagarde à la tête du FMI, François Bayrou souligne aujourd'hui "le grave affaiblissement" que représenterait pour la France la mise en examen de l'ancienne ministre.

Ruth Elkrief (BFMTV) - Le 25 mai 2011, à cette place, vous avez refusé de vous joindre aux applaudissements généraux à l'annonce de la candidature de Christine Lagarde au FMI. Sur ce plateau vous aviez dit, "attention, il y aura peut-être une mise en examen dans une affaire qui sera regardée un jour comme l'affaire la plus grave que la République ait connu, l'affaire Tapie". Mme Lagarde est convoquée demain matin à la Cour de Justice de la République. Selon certaines sources elle pourrait être mise en examen ou déclarée témoin assistée. Vous dites "je suis content, j'avais raison, c'est une bonne chose" ? 

François Bayrou - Ce n'est pas une affaire d'avoir raison, c'est que nous sommes un petit nombre d'élus et de journalistes, une poignée, à avoir depuis le début vu quelle était la gravité de l'affaire pour l'Etat. Parce que tout le monde parle de Bernard Tapie, de la figure Tapie, mais ce n'est pas ça la question. L'Etat, c'est fait pour défendre les honnêtes gens, c'est le minimum, c'est fait pour défendre les contribuables, et c'est fait pour défendre un certain principe civique d'honnêteté.

Vous pensez que Christine Lagarde n'a pas respecté ces principes ? 

Comme vous le savez, depuis le premier jour, et quand je dis le premier jour, c'est la première heure du premier jour, il m'est apparu que des sommes qui se comptent par centaines de millions, avec un préjudice moral de 45 millions d'euros...

...ont été versées à Bernard Tapie dans le litige qui l'opposait au Crédit Lyonnais. 

Il faut rappeler que pour la mort d'un enfant, le préjudice moral est autour de 30.000 euros. Dans cette affaire, on donne avec l'argent de l'Etat 45 millions d'euros, 1.500 fois plus que pour la mort d'un enfant. Dès la première minute j'ai dit que cela était impossible. C'est contraire aux principes et contraire à la loi. Et c'est ce que disent, dans l'acte d'accusation, les magistrats de la Cour de justice de la République. Nous sommes donc à la veille d'un moment très important dans lequel la justice fait son travail, elle avance et elle va défendre les principes qui devraient être le pacte moral de toute une Nation.

Mais François Bayrou, on lui reproche notamment de ne pas avoir suivi les conseils de son administration. Vous avez été ministre, tous les ministres ne suivent pas les conseils de leur administration, c'est leur liberté, leur responsabilité de politiques, de ministres. 

Vous êtes en train de confondre des sujets qui sont extrêmement différents. Le grave dans cette affaire, qu'est-ce que c'est ? Ce qui est grave, c'est que la décision a été prise contrairement aux principes du droit.

Vous pensez que c'était délibéré, organisé ? 

Je suis absolument certain que c'était voulu.

Par elle-même ou par quelqu'un d'autre ? 

C'est une affaire qui est une affaire beaucoup plus large qu'une seule personne. Elle a commencé avant elle et il est inimaginable, la Vème République étant ce qu'elle est, les hommes étant ce qu'ils sont, et les gouvernements étant ce qu'ils sont, qu'une telle décision ait été prise sans avoir l'aval du sommet.

De l'ancien Président ? 

Oui, du Président, de son entourage...

De Nicolas Sarkozy et de Claude Guéant. 

On ne nomme jamais une personne à un poste un peu sensible sans que cela fasse l'objet d'un accord. Alors vous imaginez 400 millions d'euros... Je ne sais pas si l'on se rend compte de ce que cette somme signifie, c'est le salaire annuel de plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires en une seule fois.

Est-ce qu'elle devrait quitter sa place au FMI si elle était mis en examen demain ? 

En tout cas, pour l'image internationale de la France, après ce qu'il s'est passé avec Dominique Strauss-Kahn, précédent directeur général du FMI, se trouver dans une situation comme cela c'est évidemment terriblement affaiblissant pour notre image internationale et c'est terriblement affaiblissant pour le FMI. Il y a des gens qui doivent s'arracher les cheveux.

Alors qu'en pensez-vous ? 

On voit bien que les autorités françaises ont décidé d'apporter leur soutien. On comprend qu'ils n'aient pas envie de recommencer...

Vous, vous dites quoi ? Il faudrait qu'elle démissionne ? 

Je pense que c'est un grave affaiblissement et c'est un grave risque que j'avais souligné à votre micro il y a deux ans exactement, jour pour jour.

Donc, tant pis pour l'image de la France ? Dans ce cas-là elle devra partir, à votre avis ?

Je ne veux pas me prononcer sur ce sujet. D'abord, n'allons pas plus vite que les décisions de justice, mais vous voyez bien ce que signifie un directeur général du FMI qui serait éventuellement impliqué dans une affaire de détournement d'argent public. Est-ce qu'on pèse les mots ? 

Donc vous dites qu'il faudrait que les conséquences soient tirées au niveau du Fonds monétaire international ? 

Les textes même du FMI disent que l'on ne peut pas porter atteinte à l'image de l'institution, il y a donc des risques pour la France qui ont été pris délibérément, même si gauche et droite ont applaudi. En effet, la droite à l'époque au pouvoir et la gauche à l'époque dans l'opposition ont applaudi à cette nomination. Vous voyez que la cohérence de tout ça n'était pas fantastique.

Bercy annonce qu'elle se constituera partie civile si une atteinte aux intérêts de l'Etat était avérée. 

C'est-à-dire qu'il y a deux choses, se constituer partie civile pour avoir accès au dossier c'est évidemment indispensable. Il y a une deuxième chose, c'est que la décision doit être prise. S'il y a révélation de ces faits, de cette organisation, de ce détournement et de cette fraude, alors il faut que l'Etat français attaque la sentence qui lui a coûté 400 millions d'euros et exige le remboursement. Je ne suis pas absolument sûr qu'il l'obtienne parce que tout ça, comme vous le voyez, ça va donner lieu à des batailles infinies. Mais, ne serait-ce que pour les principes, nous qui sommes défenseurs de l'Etat de droit, il faut que nous exigions que les gouvernants fassent leur travail en demandant que ce scandale soit annulé.

Et vous pensez que Bernard Tapie rendra les 403 millions ? 

Ça, franchement, j'attendrai de le voir pour le croire.

"CE N'EST PAS AVEC 60.000 POSTES QU'ON APPRENDRA MIEUX À LIRE À NOS ENFANTS"

Vous n'y croyez pas, donc. Autre sujet, puisque cela se déroulera demain, c'est un sujet qui s'adresse à l'ancien ministre de l'Education que vous êtes. Vous avez entendu la Cour des Comptes aujourd'hui dire clairement qu'il n'y a pas de corrélation entre le nombre d'enseignants, les moyens mis en œuvre, et la réussite des élèves. Ce n'est pas un problème de moyens mais un problème de gestion. C'est un peu la philosophie de Nicolas Sarkozy qui est venu en disant "il faut du qualitatif, il faut mieux payer les enseignants, il faut mieux les répartir...".

En tout cas je crois que c'est la vérité. 

Vous l'aviez fait quand vous étiez ministre de l'éducation ? 

J'avais la chance d'être dans une période où le nombre des élèves croissait beaucoup, donc nous avions des retards à rattraper et nous avons fait les mises à niveau nécessaires. Mais la dernière année nous avons fait les adaptations qu'il fallait. Je ne crois pas que la question de l'éducation se résume à une question de moyens. Je pense que c'est une des faiblesses de la campagne électorale que nous avons vécue et qu'a endossée François Hollande – alors que je suis absolument sûr qu'il n'en croyait pas un mot, d'ailleurs il l'avait lui-même nié quelques mois avant – que d'avoir prétendu résoudre la question par les fameux 60.000 postes. Je suis certain que cette question est une manière d'égarer la réflexion. Il y a beaucoup d'autres questions, la Cour des Comptes en souligne un certain nombre, la question de gestion des enseignants, de la proximité, des remplacements, de l'organisation des études, de travail sur la pédagogie...

Donc ces 60.000 postes c'était une erreur ? 

Ce n'est pas avec ces postes que l'on apprendra mieux à lire à nos enfants. À la marge, peut-être, ça améliorera. Mais, vous avez vu les études, on s'enfonce en lecture et en calcul.

Ça veut dire que Vincent Peillon a tout faux ?

Il est dans la manière de pensée générale des syndicats, par exemple de l'éducation, qui eux-mêmes au fond sont persuadés que ce n'est pas la question essentielle, mais c'est leur manière d'aborder les choses. Je les connais bien, je les ai connus bien et je les estime, on me l'a reproché quelquefois. Mais ils ont l'impression trop souvent que s'il n'y avait pas cette musique derrière leurs revendications, ils trahiraient leur mission. 

Est-ce qu'il faut que les professeurs travaillent plus, justement ? Est-ce que les professeurs les plus diplômés doivent travailler plus ? Est-ce qu'ils doivent accepter de travailler dans les milieux les plus difficiles ? 

Si vous saviez ce que travaillent les professeurs. Je sais bien que je ne suis pas en train de me faire des amis derrière ceux qui écoutent, parce que toute la France a l'impression que les professeurs ne travaillent pas. Mais je vous dis que si les professeurs ne travaillaient que 35 heures... Enseignants du premier degré, du second degré et de l'enseignement supérieur, ils travaillent infiniment plus que les 35 heures auxquels on soumet tous les autres. Il y a la préparation des cours, la correction des copies, les réunions avec les parents, les réunions pédagogiques, plus les heures de cours...

Et la tension pendant les heures de cours. 

Il n'y a pas un de ceux qui leur reprochent de ne pas travailler assez qui tiendrait deux jours devant une classe. Les enseignants travaillent beaucoup mais c'est mal organisé, ils ne sont pas aidés. On n'a pas fait le travail de compréhension de l'acte pédagogique, les outils modernes d'enseignement ne sont pas utilisés. Bref, c'est énormément d'énergie et de travail qui se perdent un peu dans les sables.

Est-ce que vous êtes pour des études en anglais ? Est-ce que c'est la bonne manière de remettre l'université française dans la mondialisation, de réussir des parcours professionnels, d'être dans le coup ? 

Je ne sais pas si, ce débat, il faut en rire ou en pleurer. Je vais vous dire exactement ce que j'en pense. Bien entendu qu'il faut la maîtrise de la langue anglaise. Pas seulement de la langue anglaise, des autres aussi. Et on ne connaît pas d'autres manières d'apprendre une langue que de vous exprimer dans cette langue ou d'entendre des cours dans cette langue, allez dans n'importe quel lycée international où l'on apprend les langues, la moitié des cours sont en anglais, ou en allemand, ou en chinois...

Donc c'est un faux débat ? 

Non, c'est pire que ça. C'est la manifestation de toutes les faiblesses françaises. Qu'il faille un débat aussi agité et une loi solennelle discutée à l'Assemblée Nationale pour que les universités, prétendument indépendantes, prétendument autonomes, aient la liberté d'organiser leurs études comme elles veulent...

Mais pour passer des examens de dimension nationale, vous êtes obligé que la loi soit passée. 

Pourquoi ?

Vous êtes donc favorable ?

Je suis favorable à tout ce qui permettra aux étudiants français de maîtriser les langues étrangères. Et je ne connais pas d'autres moyens que le bain linguistique. 

Donc pas de problèmes, c'est un débat d'arrière-garde ?

C'est toute la faiblesse française que d'avoir besoin d'une organisation nationale pour que les gens organisent les études pour leurs étudiants comme il leur paraît le mieux. C'est absurde. Donc, de ce point de vue, je ne sais pas s'il faut rire ou pleurer. Mais pour le reste, ajoutons une chose, moi qui aime passionnément la langue française. Il faut que les étudiants maîtrisent bien l'anglais, mais les étudiants qui viennent en France ce n'est pas pour étudier en anglais. Vous comprenez qu'il y a une double absurdité à présenter cette idée comme s'il s'agissait d'abandonner la langue française pour passer à la langue anglaise. 

Il y aura 1% de l'enseignement...

Il doit y avoir plus de 1% ! Simplement, défendons la capacité, la dignité de la langue française, y compris à faire de la recherche, y compris à publier. Soyons rayonnants et le monde entier viendra chez nous. Naturellement, le jour où le monde entier viendra chez nous, ce sera très bien que les étudiants français et étrangers trouvent à s'exprimer en anglais qui est, c'est vrai, devenue la langue des échanges internationaux. 

MANIFESTATION DU 26 MAI : "L'IMPRESSION D'UN DÉTOURNEMENT POLITIQUE"

Un mot sur la situation politique avant la manifestation de dimanche. Est-ce qu'il faut savoir arrêter une manifestation quand une loi est votée, promulguée, ou vous comprenez le défilé de dimanche et la participation de l'UMP en l'occurrence ? 

Le droit à manifester est un droit constitutionnel, ça fait partie des droits de base des êtres humains. Quand vous voulez exprimer quelque chose, que les institutions ne vous permettent pas de l'exprimer, vous avez le droit et dans certains cas le devoir de manifester. Ce qui est un peu gênant dans cette affaire, vous le voyez bien, c'est qu'on a le sentiment qu'il y a une utilisation politique sur la politique générale du gouvernement. Ce qui est frappant, c'est qu'un certain nombre des organisateurs de la manifestation disent qu'ils ne veulent pas de ce détournement-là.

Vous pensez à Jean-François Copé qui veut accompagner et qui appelle les manifestants à venir rejoindre l'UMP après ? 

Chaque responsable politique s'exprime comme il veut. Je ne suis pas là pour donner des leçons mais vous voyez bien que c'est un détournement du sujet, un détournement de cette expression que veulent un certain nombre de Français, de ce qu'ils considèrent être leurs valeurs.

Donc vous vous en inquiétez. Je reviens sur l'affaire Lagarde en un mot. François Hollande qui dit qu'il soutiendra Christine Lagarde au FMI, vous le regrettez ?

Je pense que, hélas, il ne peut pas dire autre chose. Il faut se mettre à la place du Président de la République française qui vient de vivre, à l'encontre de son pays, l'affaire précédente, et au moment où le responsable français quitte l'OMC... 

Pascal Lamy à l'Organisation mondial du commerce. 

Il doit avoir le sentiment, le Président de la République française, qu'il ne va plus y avoir un Français aux postes de responsabilité dans les grands organismes internationaux, alors il défend. Mais on aurait tellement mieux fait de ne pas prendre ce risque, de ne pas aller jusqu'au bout de cette nomination, d'être prudents, réservés et réfléchis. Quand il y a des menaces de cet ordre, on fait attention, parce qu'un jour ou l'autre elles se retournent contre l'institution et contre notre pays, contre l'image internationale du pays.

Vous auriez été Président, vous ne l'auriez pas soutenue ? C'est ce que j'entends. 

Non, vous n'avez pas entendu, je pense qu'il ne peut pas faire autrement mais je regrette que, à l'époque, la majorité UMP, et l'opposition socialiste, et nommément Martine Aubry et François Hollande, aient applaudi – c'est l'expression que j'avais utilités à votre micro – à une nomination qui était une nomination à risque pour notre pays et pour l'institution internationale. Il y a là quelque chose qui était dangereux, qui a été fait avec légèreté, et qui se retourne aujourd'hui contre nous au moment où apparaît un scandale au cœur de l'Etat qui sera, je le crois, un des plus graves de la République.

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