Intervention de Valérie Masson-Delmotte

Retrouvez l'intervention de Valérie Masson-Delmotte, membre du GIEC et du Haut Conseil pour le climat, à l'occasion de notre Université de rentrée.

Valérie MASSON-DELMOTTE.

Merci infiniment de cette occasion de vous présenter l’état des lieux scientifiques vis-à-vis de ce climat qui change et avec lequel nous vivons.

Je précise qu’un rapport du GIEC, c'est rédigé par 234 scientifiques de 65 pays dont 12 climatologues français brillants, des centaines de contributeurs, des milliers de relecteurs. C'est l'examen critique des éléments de connaissances de plus de 14 000 publications scientifiques qui étayent ces quelques conclusions que je vais vous résumer.

L'état des lieux s’appuie sur les progrès issus des observations, de la compréhension des processus, de la modélisation du climat global et régional, de l'étude des climats passés et nous avons donc une connaissance de plus en plus précise du fonctionnement du climat de la terre, de l'influence humaine sur celui-ci et des évolutions futures en réponse au choix que nous pouvons faire.

Nous savons mieux que jamais comment le climat a évolué dans le passé, comment il change actuellement et comment il peut évoluer à l'avenir. Où en sommes-nous aujourd'hui ? Il est clair que les activités humaines sont à l'origine du changement climatique en cours.

Notre meilleure estimation, c'est que la totalité du réchauffement ‑ nous en sommes à 1,1 degré sur les derniers 10 ans par rapport à la fin du 19ème siècle, la totalité de ce réchauffement est due aux conséquences des émissions issues des activités humaines, le réchauffement dû à l'effet de serre, en particulier le dioxyde de carbone, le méthane et d'autres gaz à effet de serre, étant partiellement masqués par le refroidissement dû aux particules de pollution.

Des changements climatiques récents sont généralisés, rapides et s'intensifient. Ils sont sans précédent depuis des milliers d'années. C'est vraiment une situation de rupture.

L'élévation du niveau des mers, qui est importante pour le littoral, en métropole, dans les outre-mer, s'accélère.

Cela a monté de 20 centimètres au cours du 20ème siècle. Cela monte aujourd'hui au rythme de 3,7 millimètres chaque année parce que, au gonflement de l'océan qui se réchauffe, à la fonte des glaciers, s'ajoute une perte croissante du Groenland et de l'antarctique. Le changement climatique d'origine humaine, affecte chaque région de la terre, en Europe et ailleurs, de multiples façons, des tendances, mais aussi des extrêmes qui sont plus fréquents plus intenses, en particulier, les vagues de chaleur, les épisodes de fortes précipitations, les sécheresses, tout particulièrement autour de la Méditerranée, et aussi les conditions météorologiques chaudes et sèches, propices aux incendies et on l'a vu cet été.

Alors quelles sont les évolutions futures possibles ? Ce qui est important à comprendre, c'est que chaque fraction de réchauffement supplémentaire compte et des changements que nous subissons partout s'accentueront avec la poursuite du réchauffement.

Nous avons scientifiquement fortement réduit notre plage d'incertitude, associée à la réponse du climat, à l'émission de gaz à effet de serre à venir.

La première chose importante, c'est que si on mettait tout à zéro demain, il n'aurait quasiment pas plus de réchauffement. Ce qui va se passer à l'avenir, cela ne dépend pas des émissions passées, nous avons une responsabilité historique, bien sûr, mais l'évolution de la température à venir dépendra des émissions de gaz à effet de serre à venir.

Néanmoins, il y a une inertie dans nos infrastructures, dans les véhicules qui fonctionnent aujourd'hui, dans les systèmes de chauffage, dans les usines, les centrales thermiques qui existent aujourd'hui.

Et donc, dans tous les scénarios d'émissions que l'on envisage, même en cas de fortes baisses d'émission de gaz à effet de serre, on continuera à avoir des émissions décroissantes, année après année, et dans tous les cas, la température à la surface du globe augmentera au moins quelques décennies.

Nous évaluons qu'un niveau de réchauffement planétaire d'environ un degré et demain, l'une des aspirations de l'accord de Paris sur le climat pour contenir le réchauffement aussi bas ce niveau-là sera atteint au cours des prochains 20 ans en moyenne sur une vingtaine d'années, à moins de réduire vraiment considérablement les rejets de gaz à effet de serre et, en particulier, dioxyde de carbone, dans les années, dans les décennies à venir, ce niveau sera ensuite dépassé.

Si on prend les promesses faites par les états en 2015, au moment de la signature de l'accord de Paris sur le climat et leur réactualisation la semaine dernière, ces promesses impliquent une stagnation dans le meilleur des cas des émissions de gaz à effet de serre entre maintenant et 2030, c'est-à-dire si toutes ces promesses se réalisent pleinement.

Si les émissions de gaz à effet de serre stagnent au niveau actuel, quelques décennies alors on va dépasser un degré et demi et deux degrés autour du milieu de ce siècle et si ces promesses impliquent une stagnation et pas davantage, on s'attend à un réchauffement de l'ordre de 2 à 3,5 degrés à la fin de ce siècle, selon les connaissances actuelles.

Donc, j'ai précisé de nombreux changements s'amplifient en relation directe avec le niveau de réchauffement climatique. C'est le cas de la fréquence et de l'intensité des vagues de chaleur sur terre comme en mer, des fortes précipitations, des sécheresses, en particulier autour de la Méditerranée, de la proportion des cyclones tropicaux les plus intenses, mais aussi du recul de la glace de mer près du Pôle Nord, de l'enneigement en moyenne‑montagne ou près des pôles et du dégel des sols gelés près de l'Arctique ou en montagne.

Nous avons des choses beaucoup plus fines sur le lien entre climat et eau. Un climat plus chaud intensifie le cycle de l'eau et sa variabilité. Une atmosphère plus chaude peut convenir 7 % de plus de vapeur d'eau, mai une atmosphère plus chaude favorise l'évaporation de la transpiration des sols. Elle vide plus vide les sols de leur humidité.

Avec un climat qui se réchauffe, on s'attend à des événements et des saisons climatiques très humides ou très sèches plus variables et des répercussions sur la gestion de l'eau, le risque d’inondation ou de sécheresse.

Il est important de comprendre aussi que de nombreux changements liés aux émissions passées et future de gaz à effet de serre sont irréversibles. Déjà, on ne peut pas revenir en arrière et puis, l'océan profond va continuer à s'ajuster pendant des siècles. Le Groenland, l'Antarctique vont continuer à s'ajuster à des échelles de siècles et de milliers d'années. La montée du niveau des mers est irréversible. Elle va se poursuivre. Le niveau des mers va continuer à s'élever, mais le rythme, l'amplitude de cette élévation au fil des siècles, dépend profondément de ce que l'on va faire en termes d’émission de gaz à effets de serre.

En cas de forte diminution, cela pourrait être 50 centimètres de plus en 2100 par rapport à 1990, en cas de forte hausse des émissions de gaz à effet de serre, cela pourrait être de l'ordre du mètre à la fin de ce siècle, mais dans tous les cas, ce sera plusieurs mètres sur les siècles suivants.

Plus on agit, plus on limite la vitesse de montée du niveau des mers, plus cela laisse le temps pour l'adaptation sur l'ensemble sur l'ensemble des littoraux mondiaux où vivront en 2050, plus d'un milliard de personnes. Puis les événements extrêmes liés au niveau de la mer quand vous avez une marée haute et une forte tempête en plus de cette hausse graduelle, ils vont se produire de plus en plus fréquemment, ce qui augmente la fréquence et la gravité des inondations côtières, si on n'agit pas pour s'en protéger et aussi l'érosion des côtes sableuses.

Ce que j'essaie de vous faire passer, c'est que notre rapport fournit de nombreuses informations pour évaluer les risques en appui à l'adaptation pour l'Europe comme pour toutes les régions du monde.

Avec la poursuite du réchauffement climatique, chaque région va connaître un ensemble de changements simultanés et multiples, de changements physiques dans le système climatique, des tendances et des extrêmes, des valeurs qui peuvent dépasser les seuils de tolérance pour les cultures, pour les animaux d'élevage, même pour la santé humaine pour le travail physique en extérieur. Ces changements seront plus étendus et plus prononcés avec chaque fraction de réchauffement supplémentaire.

En Europe, qu'est-ce cela veut dire ? Par exemple, cela veut dire des seuils de chaleur critique pour la santé, pour les activités agricoles qui seraient fréquemment dépassés si le niveau de réchauffement planétaire est de plus de 2 degrés.

C'est aussi une augmentation des pluies au nord de l'Europe, de la France, mais une baisse des pluies, en particulier en été, autour de la Méditerranée et en Europe de l'Ouest, avec une augmentation attendue des records de précipitations, mais aussi une augmentation des sécheresses agricoles, celles qui touchent l'humidité des sols, avec le niveau de réchauffement planétaire.

Alors, du point de vue purement de la physique du climat, comment est-ce que l'on peut limiter le changement climatique ? Chaque tonne d’émission de CO² contribue au réchauffement de la planète. C'est le premier facteur aujourd'hui du réchauffement. Cela modifie la photosynthèse. C'est responsable aussi de l'acidification de l'océan.

Pour limiter le réchauffement climatique, à quelque niveau que ce soit, il faut parvenir à limiter le cumul du total des émissions passées présentes et futures de dioxyde de carbone et atteindre le plus vite possible des émissions de dioxyde de carbone liées aux activités humaines qui sont à 0 net.

Tant que ce ne sera pas le cas, le climat continuera à dériver.

Puis, il est nécessaire aussi de réduire les émissions des autres gaz à effet de serre. Nous soulignons l'intérêt à agir sur les émissions de méthane. C'est un gaz à effet de serre puissant. C'est le deuxième facteur aujourd'hui du réchauffement. Il contribue aussi à augmenter la concentration d'ozone près de la surface là où nous respirons. Vous le connaissez par l'effet des pics d'ozone qui sont néfastes pour la santé, mais aussi pour les cultures pour les écosystèmes.

Et donc, des réductions importantes des émissions de méthane permettraient à la fois de limiter le réchauffement à court terme parce que, quand on l'émet, il reste une dizaine d’années dans l'air, mais aussi améliorer la qualité de l'air.

Vous voyez que nous apportons aussi de bonnes nouvelles au sens où une réduction importante des émissions de gaz à effets de serre, pas simplement temporaire comme en cas de mesure de confinement, mais durable année après année par des transformations structurelles, entraînerait en quelques années des effets discernables sur les teneurs en gaz à effets de serre, sur les teneurs en aérosols, sur la qualité de l'air et, pour l'évolution de la température à la surface de la terre, compte tenu de la variabilité naturelle du climat, on en verrait les bénéfices sur une vingtaine d’années.

Donc il est possible de ralentir les changements irréversibles comme la montée du niveau des mers et d'arrêter l'intensification des événements extrêmes en agissant sur les causes du réchauffement et en le limitant.

Peut-être le message le plus clair que nous indiquons, c'est que le climat que nous connaîtrons à l'avenir dépend des décisions que vous prenez maintenant, profondément, des décisions qui visent à réduire les émissions de gaz à effets de serre avec tout un enjeu de transitions justes, mais aussi des décisions qui visent à utiliser ces connaissances scientifiques pour la gestion de risques, pour l'adaptation pour réduire notre exposition et notre vulnérabilité aux aspects inéluctables du changement climatique.

J'espère que cette brève présentation vous donnera envie de prendre connaissance de notre résumé à l’intention des décideurs, pour l'instant en anglais sur le site IPCC.CH, d’utiliser notre atlas interactif qui permet de visualiser l’information climatique à l'échelle régionale, de récupérer les données, d'utiliser nos synthèses régionales pour les montagnes, pour l'Europe, pour les petites îles, pour l'océan, pour les zones urbaines et d'utiliser ces connaissances pour éclairer vos décisions.

Sur la biodiversité, l’équivalent du GIEC s’appelle l’IPBES. Vous avez certainement aussi entendu parler de leur travail avec des points de préoccupation très importants par rapport à la perte de biodiversité, par rapport à ce qui touche de nombreux écosystèmes.

Il y a de nombreuses intersections avec un climat qui change. Plus le climat change, plus la vitesse du changement climatique est importante, plus cela va exercer un stress supplémentaire en plus des pressions locales sur l'ensemble du vivant.

Je peux donner un exemple : l'océan, qui n'est pas forcément visible pour tous, mais le changement climatique pour l'océan, ce sont des vagues de chaleurs marines plus fréquentes, ce qui pèse sur de nombreuses espèces marines, certaines emblématiques, les récifs de coraux tropicaux, mais aussi qui affectent l'aquaculture ; c'est également un océan qui se mélange moins bien, ce qui conduit à amener moins d'oxygène en profondeur dans l'océan ; c'est un océan qui s'acidifie en captant une partie de nos rejets de dioxyde de carbone, avec déjà une baisse du potentiel de prise de pêche dans les régions tropicales.

Voyez que limiter l'ampleur du réchauffement climatique, c'est important pour la vie marine et toutes les sociétés humaines qui en dépendent, et c'est la même chose sur les continents avec des effets multiples.

Et il y a des points de vigilance. Certaines solutions vis-à-vis du changement climatique qui peuvent être fondées sur la nature auront de multiples bénéfices, par exemple restaurer les écosystèmes côtiers qui stockent du carbone, ce qui permet de limiter l'effet des tempêtes et l'érosion des côtes, on a de multiples bénéfices, mais dans d'autres cas, si par exemple on veut agir pour le climat en augmentant la pression sur les terres, par exemple en utilisant de l'énergie de la biomasse pour se substituer à d'autres sources d'énergie, là on risque d'exercer des pressions croissantes pour par exemple détruire des forêts primaires, les remplacer par des cultures. C'est un point de vigilance particulièrement important.

Il y a eu un atelier de réflexion croisé Climat-biodiversité qui a rendu un ensemble de recommandations très nettes pour au mieux prendre en compte ces deux dimensions vraiment dans l'optique d'un développement soutenable et pour éclairer chacun des choix, à la fois à l'angle climat mais à l'angle de la pression sur les terres et de la biodiversité bien sûr.

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