Fadila Mehal : Les enjeux de l’islam de France

[Tribune] Dans une tribune accordée au journal La Croix, Fadila Mehal, conseillère de Paris et vice-présidente du groupe UDI-MoDem de Paris, s'interroge sur "les enjeux de l'islam de France".
Le couple Valls-Cazeneuve, après un été focalisé, voire hystérisé, sur l’islam et le burkini, a décidé de réformer l’islam de France. Cette réorganisation était attendue, tant le Conseil français du culte musulman (CFCM) actuel, malgré ses mérites, était loin de faire l’unanimité. Les musulmans dans leur grande variété de croyances et de pratiques étaient déconnectés de cette organisation qui tirait sa légitimité des mètres carrés des mosquées et des compromis avec les pays d’origine.
Cette modernisation est urgente et nécessaire. Urgente, tant la défiance qui s’est installée entre la deuxième religion de France et la majorité de nos compatriotes est grande. Le djihadisme et les nombreux attentats qui ont endeuillé notre pays ont fini par convertir beaucoup de Français à l’idée que l’islam n’était pas compatible avec la République et même qu’il portait en lui les germes d’un prosélytisme belliqueux et fanatique. En face, les musulmans et leurs représentants, divisés et tétanisés, ont peine à délivrer un message clair et mobilisateur, oscillant entre culpabilité, honte ou demande exacerbée d’une plus grande visibilité ; l’exemple du burkini en est une illustration frappante. Politiquement, cette division est mortelle, car elle nous entraîne dans le précipice de « la guerre des religions » que nous avons combattue de toutes nos forces, tout au long de notre histoire. La Fondation des œuvres de l’islam de France qui va être réveillée devra faire un contrepoids crédible aux discours fanatiques de musulmans radicalisés et réconcilier nos compatriotes avec une religion qui a été longtemps un phare dans le monde.
Politiquement, c’est aussi une opportunité de couper l’herbe sous le pied des partis populistes qui prospèrent sur le fantasme du « remplacement », de l’invasion supposée et du racisme anti-blanc. Non, cette confrontation mortifère n’est pas inéluctable. Notre pays ne survivrait pas à cette fracture, ce seraient les armées de Daech qui auraient gagné, elles qui s’efforcent de faire imploser nos valeurs de l’intérieur.
Devant ce péril, nous devons faire « l’union sacrée » et les arrière-pensées politiciennes ne sont plus de mise. Tous les partis républicains, de droite, de gauche et du centre dont je suis, doivent soutenir sans équivoque cette refondation. En contrepartie, nos exigences seront proportionnées à ce soutien.
Si elle veut être efficace, cette instance doit être représentative et paritaire. Elle doit faire la synthèse de la grande variété des sensibilités des musulmans de France. Il faut qu’autour de sa table soit rassemblée cette « majorité silencieuse » qui ne fréquente pas les mosquées, qui aspire à vivre sa relation au spirituel de manière individuelle et apaisée. C’est à cet enjeu citoyen que la fondation devra s’attacher. Elle défendra les droits civiques personnels, sociaux des musulmans, mais les devoirs de ceux-ci à l’égard de la nation devront être réaffirmés en signe non pas d’assimilation ou d’intégration, mais d’appartenance à la communauté nationale, ce que Renan qualifiait de« plébiscite permanent ». Et le premier signe d’une rupture avec le passé serait la réflexion urgente sur la laïcisation et donc sur la visibilité des musulmans dans l’espace public. Nos amis juifs et protestants nous ont montré le chemin de la banalisation et de la discrétion, c’est le parcours obligé pour que cohabitent ensemble, dans la concorde et le respect, toutes les religions de France.
Certes les musulmans ont besoin de lieux de prière, mais ils n’ont pas besoin de minarets de 50 mètres de haut. Les musulmanes dans les siècles passés se sont protégées de la persécution avec les foulards, aujourd’hui, seule l’éducation saura les protéger. L’islam transplanté en France laïque doit faire son ichtihad et interpréter les textes fondateurs de manière plus ouverte, c’est la condition de sa sécularisation dans ce pays. Beaucoup de théologiens sont prêts à relever ce défi historique ; que la fondation leur donne la parole et fasse écho à leurs travaux ! C’est donc un enjeu culturel qui attend la fondation pour donner à nos compatriotes les clés, par l’émotion, la raison et la beauté, d’une transcendance à redécouvrir.
Révéler les cultures de l’islam, ses penseurs, ses arts, ses philosophies, sa poésie, son patrimoine, ses découvertes scientifiques, son architecture, voilà une démarche qui serait de nature à redonner de la fierté et de l’estime de soi aux nouvelles générations de musulmans. Fierté ouverte, positive, qui ne rejette pas l’autre mais ouvre les fenêtres et bâtit des ponts. La fondation devra être au cœur de ce bouillonnement intellectuel, culturel et artistique. Ce sera un lieu de rencontre et de dialogue de tous ceux qui ne se résignent pas à l’équation islam = terrorisme. Il ne s’agira pas non plus de célébrer de façon passéiste un islam mythique des Lumières, désincarné, mais à inscrire la deuxième religion de France dans la modernité, avec Averroès et Ibn El Arabi en inspirateurs.