"Une réforme du système d'asile français est absolument nécessaire"

Alors que la Coordination Française pour le Droit d'Asile (CFDA) souligne une dégradation des conditions d'accueil des demandeurs d'asile, Nathalie Griesbeck, députée européenne et vice-présidente du Conseil général de la Moselle appelle à la mise en place "d'un système d'asile européen commun, le plus rapidement possible".
Dans son rapport annuel, publié le mois dernier, la CFDA déplore "la dégradation des conditions d'accueils des demandeurs d'asile". Au travers d'une enquête menée auprès des acteurs associatifs, dans une quinzaine de régions, elle point "la pénurie d’hébergements, les conditions restrictives d'accès aux soins, la longueur et l'opacité des procédures de traitement des dossiers". Autant de facteurs qui ralentissent l'intégration et induisent des conditions de vie précaires pour ces populations déjà fragiles à leur arrivée sur le territoire français.
Quelle est votre position devant le constat négatif établi par la CFDA sur les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en France ?
Nathalie Griesbeck - Je partage leurs constats et leurs positions : une réforme du système d'asile français est absolument nécessaire. Il est tout à fait indispensable et urgent de remédier aux situations intolérables voire inhumaines auxquelles sont confrontés les demandeurs d'asile dans notre pays. La Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) l'a d'ailleurs jugé à plusieurs reprises : il y a des défaillances dans le système d'asile français. La France doit donc se mettre en conformité avec ses engagements européens et internationaux : elle se doit de garantir aux demandeurs d'asile des conditions d'accueil minimales, qui respectent la dignité humaine, ainsi qu'un droit au séjour, à l'hébergement, aux soins.
La CFDA met en évidence une dégradation des conditions d'accueil des demandeurs d'asile. Comment l'expliquez-vous ?
Son rapport pointe en effet un paradoxe : alors que les demandes d’asile en France sont en baisse, les délais s’allongent et les conditions d'accueil sont déplorables. Saturation des dispositifs, délais extrêmement longs, procédures administratives complexes et opaques, suppression des plateformes départementales, précarité des demandeurs d'asile, manques d'infrastructures, recours aux centres d'hébergement d'urgence grande disparité selon les régions françaises : les difficultés et les raisons sont nombreuses. Cette dégradation tient aussi au fait que la France soumet l’asile aux vicissitudes de la politique d’immigration. Or le caractère fondamental de l’asile interdit de confondre les questions d’asile et d’immigration. Il convient ici de revenir sur tous les discours négatifs et anti-discriminations qui ont été tenus depuis des années : les discours actuels consistant à faire de l’immigration la cause de nos problèmes est une grave erreur. S'il est bien sûr nécessaire de lutter contre l'immigration irrégulière, de prévenir l'arrivée de ces migrants en travaillant étroitement avec les pays tiers et les pays d'origine en matière de coopération et de développement, il est nécessaire de garantir un accueil digne aux demandeurs d'asile qui fuient l'horreur de leur pays.
Quelles réformes pourrait-on mettre en place afin de faciliter les procédures administratives des demandeurs d’accueil et d'améliorer leurs conditions d'arrivée sur le sol français ?
Deux réformes sont à mon sens primordiales : premièrement il est nécessaire de rendre effectifs les recours disponibles, en toutes circonstances, tant devant le tribunal administratif que devant l'OFPRA ; deuxièmement il faut instaurer un recours suspensif dans la procédure dite prioritaire. Là encore, il est temps que la France se mette en conformité avec ses engagements européens et internationaux. Ensuite, un encadrement ferme et une limitation des délais de procédure sont urgents
Peut-on et doit-on se montrer plus généreux, en augmentant nos capacités d'accueil ?
Absolument, la France se doit de garantir aux demandeurs d'asile des conditions d'accueil minimales, qui respectent la dignité humaine, ainsi qu'un droit au séjour, à l'hébergement, aux soins. Comme le disait très justement Emmanuel Kant, "le droit pour l’étranger à son arrivée sur le territoire d’un autre, est de ne pas être traité en ennemi", ce qui est encore valable aujourd'hui : ces personnes, contraintes de fuir les persécutions et toutes les violations des droits humains, doivent pouvoir bénéficier d'un minimum de garanties lors de leur arrivée dans l'Union Européenne et de ne pas être considérées comme des personnes malintentionnées. Les conditions actuelles d’accueil des réfugiés devraient être améliorées, c’est certain. Nous devons mettre en œuvre des moyens plus adaptés, tant en personnel d’accueil qu’en logements d’accueil prioritaire.
Comment les autres pays européens gèrent-ils les demandes d'asile ? L'Europe doit-elle aller vers une politique commune du droit d'asile ?
L'Europe va déjà vers une politique commune du droit d'asile. La création d'un régime d'asile européen commun (RAEC) a été lancée dès 1999, une première phase d'harmonisation des cadres juridiques a été réalisée autour de 2005. La "deuxième phase" a été lancée en 2008, avec un objectif principal : la mise au point d'une procédure commune d'asile et d'un statut uniforme pour les personnes bénéficiant de l'asile ou d'une protection subsidiaire au sein de l'Union Européenne. Mais, depuis 2008, les Etats bloquent ces dossiers de ce qu'on appelle le "paquet asile". Or, les récents flux migratoires montrent que la mise en œuvre des directives européennes sur l'asile est plus urgente que jamais afin de rendre notre système européen d'asile crédible et efficace. Le signal de notre Parlement Européen est clair: nous voulons un système d'asile européen commun le plus rapidement possible. L'espace européen nécessite des procédures d'asile communes, tant dans l'intérêt des États membres que dans celui des demandeurs d'asile. Nous avons besoin d'un système d'asile efficace avec des procédures de première instance afin de garantir un processus de prise de décision rapide et équitable, moins d'appels, et des économies à long terme. Il est essentiel que ce dossier avance, mettant ainsi fin à plus de plusieurs années de blocage par les Etats au sein du Conseil de l'Union Européenne. Un accord a été obtenu récemment sur trois des dossiers du Paquet Asile ; nous attendons un déblocage prochain.