Retraites : "Cette fois, menons une réforme qui va vraiment au fond des choses"
François Bayrou a dit craindre, vendredi sur Europe 1, que la conférence sociale ne débouche sur "des rustines". Il appelle le gouvernement à "oser affronter la profondeur du problème des retraites".
Caroline Roux - Le Président, lors de la grande conférence sociale hier, voit des signes encourageants pour l’économie française. Il croit toujours à l’inversion de la courbe du chômage. Est-ce que son optimisme vous inquiète ou est-ce qu’il est contagieux ?
François Bayrou - Je vais vous répondre dans une minute. Mais permettez-moi d’avoir une pensée pour mes compatriotes des Pyrénées et notamment de la plaine du gave de Pau qui ont eu à affronter des inondations terribles qui ont mis à mal le réseau routier, des lotissements et des bases de loisirs qu’on avait construites avec beaucoup de travail et d’investissement. Donc je voulais avoir un mot pour eux, pour qu’ils sachent que nous sommes solidaires.
Le message est passé. Hier, François Hollande leur a dit "L’État sera à vos côtés, l’État sera là".
C’est bien, c’est la moindre des choses entre nous, et il est bien que l’État ait annoncé que l’état de catastrophe naturelle allait être déclaré dès cette semaine.
François Bayrou, je rappelais en débutant cette émission que vous avez voté François Hollande, est-ce que vous êtes devenu optimiste par nature ?
Non, je ne partage pas l’optimisme qui est celui du pouvoir. Naturellement, je sais qu’il y a une répartition des rôles, qu’il est évident que quand on est aux responsabilités, il faut être entraînant, je ne vais pas critiquer cela. Mais je ne crois pas que les décisions qui ont été prises, les orientations, la boîte à outils comme François Hollande l’a dit, soient à la hauteur des difficultés que nous rencontrons.
Pourquoi est-ce que je vous pose la question ce matin ? Parce que hier le Président de la République nous dit "J’inverserai la courbe du chômage". Ce matin, les chiffres de l’INSEE douchent les espoirs présidentiels d’une certaine manière et prévoient un chômage en hausse, à 10,7% en fin d’année. Qu’est-ce qu’il se passe ? Il y a un tour de passe-passe ?
Je suis plus proche de l’appréciation de l’INSEE parce que quand je regarde l’état de l’emploi, l’état des entreprises, l’état des grandes filières qui devraient nous permettre d’exister dans le monde de la production, donc dans la création d’emplois, je ne vois pas de raison de hisser ainsi un pavillon optimiste. Je ne crois pas que ce soit avec des rustines que l’on répare une situation comme celle-là.
Les rustines, ce sont les emplois aidés ?
Voilà. Je vois bien ce qu’il y a dans la tête des gouvernants. Ce ne sont pas les premiers, tous les gouvernements précédents ont fait ça. J’ai écouté hier le discours de la conférence sociale de François Hollande, honnêtement on avait l’impression de réentendre pour la dixième fois des discours que l’on a déjà entendus. C’est très bien que le gouvernement dise que l’on va s’attaquer aux emplois non pourvus, c’est très bien qu’il insiste sur la formation, l’apprentissage, l’alternance, mais ça a été dit très souvent.
Est-ce que ça veut dire pour autant que ce sont de mauvaises méthodes et de mauvais outils pour faire face à une situation d’urgence ?
Ça peut être utile si on a une stratégie générale qui nous permet de faire avancer les choses, si les grandes filières, les entreprises, se sentent soutenues, aidées, si elles ont des stratégies, si le pays tout entier est mobilisé et si les grandes décisions sont prises. Pour l’instant, à mon avis elles ne le sont pas. C’est comme sur les retraites, j’imagine que nous allons en parler.
Bien sûr, mais l’idée c’est de se demander si à votre avis on va fabriquer cette inversion de la courbe du chômage. Michel Sapin confirmait qu’il y aurait une rallonge pour faire davantage d’emplois aidés. Est-ce qu’on va la fabriquer ? Est-ce qu’il y a quelque chose d’artificiel qui est en train de se mettre en place et qui ne vous aurait pas échappé ?
Ces stratégies d’emplois aidés peuvent ne pas être inutiles, je ne dis pas le contraire. Pour les quelques centaines ou dizaines de milliers de personnes qui vont trouver un emploi au moyen de ces emplois aidés, très bien. Mais vous voyez bien que ce n’est pas ça qui rend la santé à l’économie du pays. Au contraire d’une certaine manière, c’est la dépense publique qui va assumer des emplois. De ce point de vue, je trouve qu’on ne prend pas la dimension des problèmes qui se posent à la France. C’est un pays qui a à faire face au déclassement d’un grand nombre de ses secteurs productifs et pour l’instant on a l’impression qu’on a des recettes déjà utilisées et dont on a vu qu’elles ne marcheraient pas.
La voie choisie pour les retraites est l’allongement de la durée de cotisation parce que, dit le Président, "c’est la solution la plus juste". C’est juste d’allonger la durée de cotisation ?
Je ne crois pas. Il y a des emplois qui peuvent être soutenus pendant une longue période, quand on avance en âge, et d’autres qui ne peuvent pas l’être. On dit 44 années, si on réfléchit une seconde, pour un certain nombre d’emplois, ceux qui les tiennent y entrent vers 25 ou 26 ans, après avoir fait des études. Si vous ajoutez 44 à 26, vous arrivez à 70 ans, encore faut-il n’avoir pas subi d’interruption de carrière. Or il y a des périodes de chômage, des trous dans les carrières etc. Moi je ne crois pas, par exemple, qu’on puisse être maitresse d’école maternelle facilement à 70 ans.
Ça aussi c’est une rustine ?
Non, je pense que c’est mal pensé. C’est ne pas oser affronter la profondeur du problème des retraites. Or, la profondeur du problème des retraites impose, à mes yeux, que l’on rebâtisse, à partir des fondations, en prenant son temps mais de manière sérieuse, un système de retraites à points, à la carte, qui permettra de prendre en compte la pénibilité du travail et la volonté de chacun de partir sans pénalisation avec les droits acquis.
Est-ce que vous redoutez une réforme a minima ? Est-ce que c’est ça qui est en train de se dessiner selon vous ?
Je redoute que ce soit la énième, parce qu’on en est à la sixième ou septième, réforme qui n’aille pas au fond des choses.
L’affaire Tapie, je commençais tout à l’heure en disant que c’était presque devenu une affaire personnelle.
Non, en aucune manière.
Pourquoi ?
Parce que je ne supporte pas l’injustice.
Elle est où l’injustice ? Sur les comptes publics ?
Je ne sais pas pour vous mais moi, quand je vois que les petits, un petit artisan, une jeune femme que je connais à qui l’on a obligé de rembourser 3.000 euros de RMI parce qu’elle avait fait des heures de ménage sans les déclarer…
Tout le monde sera d’accord avec vous sur ces exemples que vous prenez.
Non, tout le monde n’est pas d’accord puisque tout le monde l’a accepté ! Je suis très heureux que nous ayons été quelques uns à dire que l’on ne peut pas organiser la spoliation des contribuables, la spoliation de l’État, au sein de l’État. C’est cela le problème que pose cette affaire.
Selon Le Monde, l’ex-magistrat juge-arbitre dans l’affaire Tapie, Pierre Estoup, aurait tenté d’influencer le président du tribunal dans l’affaire des comptes de l’Olympique de Marseille, c’était en 1998. Énième rebondissement de cette affaire, ça change quoi ?
Vous voyez bien, tous les éléments qui s’accumulent montrent que cet arbitrage était préfabriqué. Ce n’était pas un arbitrage, c’était la mise en scène d’un arbitrage – si les faits sont prouvés – la mise en scène d’une décision prise à l’avance au détriment de l’intérêt général et au profit d’intérêts privés. Ceci est purement et simplement inacceptable. Je vous rappelle que les magistrats disent "escroquerie", au détriment de l’État, "en bande organisée". C’est donc dire la gravité exceptionnelle et sans précédent de cette affaire.
Dans Le Parisien de hier, Nicolas Sarkozy aurait confié à un ancien ministre, comme le rapporte le journal, l’existence de cabinets noirs organisés par Stéphane Le Foll. Petite confidence glanée comme ça dans le bureau de l’ancien Président. Vous croyez à un acharnement des juges contre Nicolas Sarkozy ?
Je ne crois pas à l’acharnement des juges contre un tel ou un tel, je crois à la gravité de cette affaire et au fait que pour une fois la justice s’en est saisie, a trouvé des éléments concrets qui lui permettaient de porter la parole de ceux qui ne supportent pas l’injustice. Quant aux cabinets noirs, on a accusé des cabinets noirs dans l’entourage de Nicolas Sarkozy quand il était au pouvoir, je ne crois pas beaucoup à ce genre de choses et, en tout cas, ça n’est en rien la raison pour laquelle depuis des années je me suis battu. Je me suis battu pour une seule chose, c’est parce que je veux un pays dans lequel les citoyens puissent avoir confiance dans ceux à qui ils remettent le pouvoir.
Justement, une dernière question. Le deuxième tour de la législative partielle oppose dimanche un candidat Front National à un candidat UMP à Villeneuve-sur-Lot. Est-ce que le Front National peut l’emporter ?
Je crois que les deux partis principaux ne mesurent pas la gravité de l’exaspération des Français en face d’un monde politique qu’ils trouvent assez souvent inefficace et impuissant. Pour ma part en tout cas, je veux dire une seule chose, le Front National, s’il est menaçant électoralement, il n’a en rien les réponses qui permettent d’améliorer la situation du pays et c’est sur ce point là que nous devons réfléchir. L’idée que les extrêmes peuvent aider à redresser un pays, c’est un leurre, ça ne s’est jamais produit dans l’histoire, ni dans la nôtre, ni dans aucune autre.