Projet de loi sur la recherche embryonnaire : "Une modification sage, qui reconnaît une réalité"

Pour Corine Pelluchon, docteur en Philosophie et spécialiste des questions d'éthique appliquée, le projet de loi sur la recherche embryonnaire permet de passer "d'un régime de défiance à l'égard des chercheurs à un régime d'encadrement".
Le Parlement a repoussé de quelques semaines l'étude d'une proposition de loi visant à autoriser, de manière encadrée, la recherche sur les embryons et les cellules souches. En quoi cette loi est-elle différente de celle déjà en place ?
Corine Pelluchon - La loi actuelle, révisée en 2004, prévoit une interdiction totale de la recherche sur les embryons, assortie de possibles dérogations. Or, presque tous les dossiers de dérogation étaient acceptés par l'Agence de la biomédecine. Certains députés proposent donc d'en inverser le principe : nous ne ferions plus dans l'interdiction, mais dans l'autorisation strictement encadrée, comme le recommandait d'ailleurs le Conseil d'État. Dans la pratique, la procédure serait presque la même, mais un peu plus rapide. Sur le plan symbolique en revanche, nous passerions d'un régime de défiance à l'égard des chercheurs à un régime d'encadrement.
Pour bien comprendre, pouvez-vous nous rappeler l'origine de ces embryons ?
Ces embryons ne sont pas créés pour la recherche, ils proviennent de la Procréation médicalement assistée (PMA), ouverte pour le moment seulement aux couples qui ont des difficultés à avoir des enfants ou qui risquent de transmettre une maladie grave à l'enfant. Les PMA ne marchent pas forcément du premier coup et il faut fabriquer plusieurs embryons. Ces derniers ne sont pas tous implantés. Les embryons qui n'ont pas été implantés dans l'utérus de la femme sont congelés. Ces embryons in vitro peuvent être ensuite utilisés ultérieurement pour une autre PMA ou donnés à un couple infertile. Mais si le couple dont sont issus ces embryons ne veut ni les utiliser ni les donner à un autre couple, alors ils sont détruits ou bien le couple a la possibilité de faire en sorte qu'ils soient utilisés pour la recherche. Dans ce dernier cas, il faut obligatoirement le consentement du couple ou du membre survivant de ce couple dans le cas où l'un des deux est mort. Une fois des recherches effectuées, l'embryon ne peut évidemment plus être implanté.
Pourquoi ce texte suscite-t-il des débats si passionnés chez les parlementaires ?
Les débats sont passionnés parce qu'il y a des malentendus portant sur le statut ontologique de l'embryon qui est indécidable philosophiquement, c'est-à-dire qu'on ne peut le considérer ni comme une chose ni lui appliquer des catégories qui s'appliquent aux personnes sans introduire subrepticement une vision du monde métaphysique qui a de la valeur à titre privée, mais qui ne saurait être le socle à partir duquel on doit légiférer et fonder la décision politique. Mais d'abord il faut revenir à des points de définition. Ayons d'abord à l'esprit que la recherche porte sur des embryons ou des cellules embryonnaires qui sont à J6 (ndlr : 6 jours après fécondation). Ce sont des blastocystes. Par ailleurs, il s'agit d'embryons in vitro, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas été implantés dans un utérus. Un embryon fabriqué mais pas implanté, est-ce la même chose qu'un embryon implanté dans un utérus ? Je ne dis pas que les embryons in vitro ne sont rien, qu'il ne s'agit que de matériel humain. Je ne dis même pas que la valeur d'un embryon est relative au projet que les personnes dont il est issu ont pour lui. Je dis que l'on emploie le même mot pour décrire deux réalités différentes.
Il faut donc faire un effort de définition ?
Oui. Je crois qu'il y a des crispations qui ne sont pas opportunes. Nous ne pouvons pas appliquer à l'embryon et aux cellules souches embryonnaires les catégories que nous utilisons pour la personne, ou même pour l'enfant qui commence à se développer dans le ventre de sa mère. Ce sont des cellules de six jours qui sont congelées et qui peuvent rester des années au même stade. L'embryon in vitro (et même l'embryon in vivo) n'est ni une chose ni une personne. On ne peut pas le ravaler au rang d'instrument, mais on ne peut pas parler à son propos de la dignité de la personne.Pour le respecter et respecter la vie humaine dès le commencement de sa vie, il faut adopter une autre démarche qui ne consiste pas à calquer le droit sur une réflexion relative au statut ontologique de l'embryon. Comme je l'ai dit, cette question est indécidable et, de plus, le rôle du droit n'est pas essentiellement de fixer l'être des êtres ou des choses, mais d'organiser notre rapport à eux ou d'en régler les usages afin d'éviter les abus, afin de savoir quelles sont les limites à ne pas transgresser. Le droit a un rôle fonctionnel. Il implique une réflexion éthique, mais celle-ci concerne surtout nos devoirs envers les différentes entités et ce que nous nous autorisons à faire sur elles. Enfin, le droit nous indique ce qui est interdit et ce qui nous arrive si nous enfreignons telle ou telle loi.
Quelle est alors la place du droit ?
Le droit organise le chaos et il encadre des pratiques qui sont sensibles de telle sorte qu'on ne peut pas faire n'importe quoi en toute impunité.Avec cette nouvelle loi, qui est plus transparente que la précédente, les protocoles de recherche seront examinés avec attention par l'Agence de biomédecine et l'autorisation préalable du couple restera indispensable. Cette autorisation encadrée ne sera pas une autorisation a priori et pour n'importe quoi. Il y a des critères énoncés dans le projet de loi et ils me semblent adaptés.
Ce projet de loi va donc dans le bon sens ?
Il reconnaît une réalité. Il sort de l'hypocrisie qui était de dire : c'est interdit, mais nous faisons des dérogations. Ce n'est pas une révolution, c'est une adaptation qui était attendue par la plupart des chercheurs et qui ne signifie pas que nous allons réifier les embryons in vitro dont certains aujourd'hui sont souvent détruits, car très souvent les personnes dont ils sont issus ne se prononcent pas sur leur sort. De plus, les protocoles resteraient assez lourds et il serait impossible de faire n'importe quoi. Ce projet de loi renforce aussi la transparence et il peut même prévenir certaines dérives, car les chercheurs n'auront plus à faire venir des embryons de l'étranger. Nous passons d'un climat de défiance et de suspicion vis-à-vis des chercheurs à une démarche de confiance qui n'entraîne pas le laxisme, mais pose des limites : il ne s'agit pas de créer des embryons pour la recherche. On ne fabrique pas des embryons dans le but d'en extraire les cellules souches embryonnaires et donc de les détruire. On ne crée pas de la vie pour la détruire, mais on utilise les embryons in vitro issus des PMA.
S'opposer à cette recherche implique alors de s'opposer à la PMA ?
Oui, ceux qui s'opposent à cette évolution ou adaptation de la loi devraient, en toute rigueur, s'opposer aux PMA, car c'est parce qu'il y a des PMA que l'on a des embryons in vitro et qu'on peut, s'ils ne sont pas implantés dans un utérus, les utiliser pour la recherche ou, si les parents le préfèrent, les détruire. Enfin, ce projet de loi est sage car il ne subordonne pas la recherche à des objectifs thérapeutiques utiles en donnant de faux espoirs au public. Les recherches doivent avoir un sens, mais il faut rappeler que la recherche sur les embryons et les cellules souches embryonnaires est précieuse aussi pour mieux connaître les maladies des premiers âges de la vie, et pas seulement dans l'espoir de guérir des maladies dégénératives. Les chercheurs ne vont pas jouer aux apprentis sorciers. Pour cela, ils n'ont pas besoin d'embryons in vitro. Les cellules souches adultes appelées IPS qui peuvent être reprogrammées de telle sorte qu'elles retrouvent le potentiel des cellules embryonnaires, leur totipotence, posent aussi des problèmes éthiques, même si ce ne sont pas des embryons.
En quoi ?
Le jour où l'on pourra faire un enfant à partir de la cellule adulte de la peau, nous serons face à d'autres questions qui iront beaucoup plus loin que celles qui agitent les débats aujourd'hui et même beaucoup plus loin que le clonage. Elles nous interrogeront sur ce que nous devons faire ou ne pas faire, sur les limites à imposer à notre pouvoir. C'est sur cette interrogation que nous devrions nous focaliser, au lieu de tout mélanger et d'habiller de philosophie ou du beau mot de "dignité" des propos idéologiques, dont les soubassements métaphysiques et les limites ne sont pas explicités ni reconnus. L'argumentation, c'est autre chose que l'opinion ou que l'idéologie. Une législation adaptée renvoie à la capacité qu'ont les citoyens, gouvernants et gouvernés, à argumenter. C'est pourquoi il est important de clarifier les termes du débat en réfléchissant aux mots qu'on emploie et en essayant de dégager la spécificité des problèmes que chaque technique peut poser.