"Pour moi c'est une obsession: il faut un plan Marshall du logement à Paris"
Marielle de Sarnez a appelé les candidats à la mairie de Paris à "se mettre d'accord sur deux ou trois grandes priorités", dont "un plan Marshall du logement", dimanche sur France Info.
Femmes d'exception - Marielle de Sarnez, comment se fait-il qu'on vous connaisse si peu ? On connait la femme politique, évidemment, mais la femme tout court, elle a l'air un petit peu plus secrète.
Marielle de Sarnez - Je trouve que c'est bien de garder aussi une part de secret. On a le droit à une vie privée et c'est sympathique comme ça. Je n'aime pas trop l'idée que, quand vous êtes un personnage public, tout le monde doit tout savoir de vous. Je suis quand même heureuse d'être là ce matin, je pense qu'on va parler d'autre chose que de politique et de temps en temps, c'est quand même sympathique
Mais, certains de vos proches disent que vous êtes timide, c'est vrai ou pas ?
Je suis très timide en fait. J'étais très timide, j'essaie de me soigner depuis très longtemps. Mais, à une époque, rentrer dans une pièce où il y avait des gens, c'était un problème pour moi, prendre la parole en public, vous n'imaginez pas les soucis que ça a été. Pendant très longtemps, je suis restée en arrière. J'ai refusé d'être élue députée européenne à Simone Veil en 1979.
À cause de ça ?
En partie à cause de ça, et parce que j'avais un enfant très jeune et que j'attendais mon deuxième enfant. Donc, beaucoup à cause des enfants, et parce que je pensais que je n'étais pas en capacité, que je n'étais pas capable de le faire. Voilà, ce sont des choses sur lesquelles il faut travailler. Et en fait, quand j'ai été élue, quand j'ai fait des campagnes, j'ai presque eu comme une révélation, c'est-à-dire que j'ai été extrêmement heureuse d'être au contact avec les gens, les électeurs, les Français. J'aime ces moments-là. J'aime être avec eux, je trouve qu'ils nous donnent beaucoup. Et je trouve que, au fond, quand on est élu aujourd'hui, on doit être leur représentant, on est un des leurs et on n'est pas un élu qui regarde comme de loin les gens, je n'ai pas ce sentiment-là de la politique.
J'ai été étonnée de voir que votre biographie, que vous avez publiée il y a quelques années, s'appelle Rebelle. Vous êtes rebelle contre quoi, Marielle de Sarnez ?
Je ne sais pas si ma biographie s'appelle Rebelle, ce n'est pas moi qui l'ai nommée comme ça en tout cas, ça doit être un truc de journaliste. (rires)
Donc ce n'est pas vrai, vous ne vous reconnaissez pas dans ce terme ?
Si, je me reconnais comme quelqu'un de libre, comme quelqu'un d'indépendant, comme quelqu'un qui a toujours fait des choix, qui n'a jamais pris le chemin de la facilité dans la vie. Ça n'a pas toujours été simple mais, en même temps, il y a des vies qui sont beaucoup plus dures que la mienne. Mais je suis partie très jeune de chez moi, j'ai travaillé très tôt dans plein de boulots et de petits métiers compliqués. Je n'ai que mon BAC, je n'ai pas pu faire les études que je rêvais de faire.
Vous vouliez faire quoi ?
Je rêvais d'être agrégée de philosophie.
Pourquoi ça n'a pas été possible ?
Parce que j'ai dû travailler à l'âge de 18 ans. Travaillant, j'ai continué à être inscrite en fac, et il y a un moment où je n'ai plus pu faire les deux choses, donc j'ai choisi de travailler. Et puis je suis née dans la politique...
Avec un Papa député gaulliste.
J'avais un environnement politique. Dans mon enfance, on déjeunait ou on dînait sous le portrait du Général de Gaulle, ça marque un peu. En tout les cas, ça vous crée des opinions et des convictions. J'ai plutôt été élevée dans cette idée qu'il y a un intérêt général et que, quand on fait de la politique, ça doit être pour l'intérêt général et pas pour les intérêts particuliers.
Comment êtes-vous rentrée dans la politique ?
J'y suis entrée très jeune parce que je participais aux débats politiques chez moi. J'entendais, j'avais une opinion sur les choses. Et puis j'y suis rentrée un peu par hasard. On m'a proposé un boulot de secrétaire chez les Jeunes Républicains Indépendants, juste avant l'élection de Giscard, en 1973. J'ai l'impression de parler d'un temps très ancien...
Ça commence à dater, c'est vrai.
Mais j'étais très jeune ! (rires) Ensuite j'ai fait la campagne de Giscard en 1974. J'avais une responsabilité très importante, je vendais des tee-shirts sur lesquels il y avait marqué "Giscard à la barre" qui marchaient très bien.
C'est un slogan qui vient de vous, non ?
Non, ça vient de Anne d'Ornano, il faut lui rendre cette idée.
C'est ce qu'on dit sur vous, pourtant.
C'est une erreur, ce n'est pas vrai. Je les ai vendus mais ce n'est pas moi qui ai eu l'idée de ce très bon slogan.
Vous avez gravi les échelons petit à petit, en contribuant notamment à la création de l'UDF. A quel moment avez-vous rencontré François Bayrou ?
Dans les années 1978, au moment de la création de l'UDF. L'UDF, en 1978, est présidée par Jean Lecanuet, et François Bayrou est un de ses proches. Donc, je rencontre François à partir de ce moment-là.
C'est le coup de foudre amical ?
J'aime beaucoup chez lui cette propension qu'il a pour un homme politique à être cultivé, à savoir écrire, à aimer lire et à parler d'autre chose que de politique.
C'est rare ?
C'est très rare. Et puis je crois que je suis comme lui, c'est pour ça que nous avons eu un parcours qui dure depuis aussi longtemps, c'est parce que nous partageons des convictions. Je crois que, pour lui comme pour moi, la fin ne doit jamais justifier les moyens en politique. Pour moi, c'est quelque chose de fondamental, de très important.
François Bayrou dit de vous que vous êtes son alter ego. L'inverse est vrai aussi ?
Oui, je me sens partenaire avec lui. Nous parlons, nous échangeons, nous pouvons ne pas être d'accord sur tout, mais je crois que nous sommes d'accord sur le plus important.
Vous êtes amis ?
Oui, très amis.
Vous avez beaucoup d'amis dans la sphère politique ?
J'en ai quelques uns mais je me méfie un peu. Je me suis rendue compte, dans les temps difficiles, que l'on pense être ami avec un certain nombre de gens, et quand ils font des choix politiques différents, on a le sentiment qu'ils s'éloignent du point de vue de l'amitié. Donc, il faut rester prudent, il faut garder un peu de recul.
Être une femme en politique, Marielle de Sarnez, c'est un avantage ou un handicap ?
Être une femme en politique, je pense que c'est difficile quand vous n'êtes pas du moule, c'est-à-dire quand vous n'êtes pas énarque. C'est plus facile quand vous êtes une femme énarque, polytechnicienne, sortie des grands corps. Parce que c'est ça la France quand même, on admire, on respecte, on donne des responsabilités à tous ceux qui ont passé un examen ou un concours à 20 ans en pensant qu'ils sont les meilleurs quand ils ont 30 ou 40 ans. Ce n'est pas mon système. Je ne suis pas de cette formation-là, j'ai appris les choses sur le tas, sur le terrain. Donc, quand vous êtes une femme non-énarque, c'est-à-dire qui ne sort pas du moule, là c'est difficile.
On vous a fait sentir que vous n'étiez pas l'égale des autres ?
Oui, quand j'étais directrice du cabinet de François Bayrou à l'Education Nationale, j'ai eu une première grande réunion avec tous les directeurs de cabinet à Matignon. Il n'y avait que des hommes, ils m'ont tous regardée et directeur de cabinet du Premier ministre a dit "On accueille Marielle de Sarnez, on va lui demander de nous expliquer la réforme de l'université", et je n'ai vu que des regards narquois autour de la table. Ils se disaient que je n'allais pas être capable de leur expliquer. Evidemment, j'ai pu en parler. C'était anecdotique mais vous voyez bien que vous êtes regardée comme une espèce de corps étranger quand vous êtes femme et non-énarque.
Et le fait que vos principales rivales à la mairie de Paris soient des femmes ?
Pour moi le mot "rivales" ne convient pas.
Alors c'est quoi le mot ?
Nous allons avoir un débat démocratique, c'est une très bonne chose. Pour une ville, je trouve que l'on devrait avoir des positions où l'on n'est pas sectaire, où l'on puisse dire les mêmes choses pour arranger la vie des Parisiens. J'espère que cette campagne, où il y a presque exclusivement des femmes, va permettre de montrer, même si je suis peut-être un petit peu idéaliste, que les femmes font de la politique autrement, qu'elles ne sont pas sur des petits phrases, sur des petits avantages, sur des arrière-pensées...
Vous y croyez vraiment ?
En tous les cas, je le souhaite, moi je le ferai comme ça. Je crois que, en plus, quand on est au service des habitants d'une ville, on doit laisser de côté ce qui est partisan, ce qui est du domaine politicien. Ce qu'il faut, c'est régler les problèmes des gens. On voit bien les problèmes sur Paris, la question du logement, franchement, elle n'est pas de droite ou de gauche. Il faut du logement social et en même temps il faut du logement pour les classes moyennes et il faut que les jeunes puissent rester sur Paris, évidemment. Pour moi c'est une obsession, il faut un plan Marshall du logement. Avec mes concurrentes, qui ne sont pas mes rivales, si l'on pouvait se mettre d'accord sur deux ou trois grandes priorités sur Paris, je trouve que les Parisiens auraient à y gagner.
Parlons de votre facette un petit peu plus intime. Vous avez deux enfants, un garçon et une fille, ils sont dans la politique ?
Je suis très fière d'eux, des deux. L'un est très engagé dans l'humanitaire. Ma fille a été très engagée aussi à l'ONU et a travaillé en Afghanistan longtemps. Mon fils travaille aujourd'hui en Afrique, il a été au Darfour. Les deux sont très engagés, je les aime énormément et nous sommes très proches.
Vous avez des petits-enfants aussi.
Oui, grâce à eux.
Vraiment petits.
Oui, entre 2 ans et 5 ans. J'en ai cinq. J'ai attendu, ça faisait plusieurs années que je leur disais "il faut que ça arrive !", et là je n'ai pas été déçue du tout, cinq quasiment d'un coup... (rires)
Vous êtes quel genre de grand-mère ?
Je suis une grand-mère totalement gâteuse. Comme ils vivent à l'étranger je skype avec eux. On lit des histoires, on se parle beaucoup, j'essaie d'aller les voir, ils viennent me voir je m'occupe d'eux l'été. Je suis une grand-mère complètement gâteuse, pas du tout objective, je considère que ce sont les plus beaux petits-enfants de la Terre, les plus sympas, les plus gentils.
Ils doivent être fiers de vous aussi, parce que vous n'avez pas du tout un look de grand-mère. Je vois encore là, jean, ballerines...
Je ne sais pas si la fierté existe chez un petit enfant par rapport à une grand-mère, je ne crois pas. Nous avons des relations très étroites, très serrées, nous nous aimons beaucoup et c'est ça qui est le plus important.
Mais ce look, Marielle de Sarnez, vous n'avez quand même pas l'uniforme de la femme politique. C'est fait exprès ?
C'est-à-dire que c'est mon look, je suis désolée. (rires)
Justement, vous ne voulez pas vous déguiser ?
Je considère qu'on ne doit pas se déguiser, à aucun moment. Ni quand on s'habille, ni quand on parle, ni quand on pense. On souffre trop de voir des politiques qui sont dans la communication et je trouve que ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Je me bats pour que la politique garde de la sincérité, de l'authenticité, de l'empathie avec les gens qu'ils doivent ressentir chez vous. Parce que la politique ce n'est que de l'humain, ce n'est rien d'autre que ça. Ce n'est pas des discours, des idéologies, c'est une relation entre les être humains. Ça, je trouve que c'est un côté formidable des choses.
Il faut que la politique soit la plus vraie possible, évidemment. A quoi ressemblent vos dimanches, Marielle de Sarnez ? Du travail, toujours du travail ?
Souvent, je suis un peu par monts et par vaux. Soit à Paris sur le terrain, soit à l'étranger parce que je suis députée européenne. Il m'arrive d'être dans des missions, par exemple je suis allée voir des camps de réfugiés syriens à la frontière turque. Il m'arrive de faire ça le week-end. Je suis allée à Lampedusa quand il y a eu tous ces immigrés qui sont arrivés. Donc je bouge beaucoup, et en même temps quand je suis chez moi, je suis capable de ne rien faire pendant toute une journée. Je peux aussi être très active, partir, faire 10km dans Paris. J'aime beaucoup marcher, j'ai toujours marché beaucoup dans Paris. Quand je vais de chez moi qui est à Montparnasse prendre mon train à la Gare de l'Est pour Strasbourg je vais à pied, j'adore ça. Je prends un peu le temps de le faire, je trouve que Paris est quand même la plus belle ville du monde. Et j'arrive à prendre des itinéraires différents, je ne passe jamais par la même rue, c'est formidable.
Vous faites des découvertes permanentes ?
Oui. Tout en étant Parisienne, donc c'est fort sympathique. Mais je peux aussi ne rien faire, prendre un bouquin, faire la cuisine pour ceux que j'aime, écouter de la musique et rester tranquille chez moi.