Pause fiscale, non-cumul : "Aucune promesse n'est respectée"
Moralisation de la vie publique, fiscalité : François Bayrou a détaillé, mercredi sur France Info, les raisons de son opposition à François Hollande. "Le gouvernement ne fait pas face aux obligations qui sont les siennes", dénonce-t-il.
France Info - Vous êtes en train de préparer une alliance avec Jean-Louis Borloo et l'UDI. Vous revenez à droite ? Pourquoi ?
François Bayrou - Employons les mots justes. Ce n'est pas que je "revienne" et pas "à droite". C'est que le Centre doit être le Centre. Il faut qu'il se regroupe pour être entendu. Ses formations politiques divisées doivent accepter de mettre un terme à "la guerre de cent ans" qui les opposent depuis plus d'une décennie, les uns voulant aller à l'UMP ou dans la dépendance de l'UMP, les autres ayant défendu un Centre indépendant. L'accord que nous sommes en train de préparer, que nous allons discuter et que nous soumettrons chacun aux responsables de nos familles politiques, est un accord d'entente sur le fond pour que le Centre français soit le Centre et pèse dans la vie politique française.
Mais je pense à vos électeurs. L'an dernier vous avez soutenu François Hollande et vous allez vous allier avec d'anciens ministres de Nicolas Sarkozy...
Pour reconstruire la France, nous avons bien besoin de faire que des choix politiques différents hier se réunissent aujourd'hui.
Qu'est-ce qui a changé, en un an, chez vous ?
Rien n'a changé chez moi. Ce qui a changé, c'est que le gouvernement ne fait pas face aux obligations qui sont les siennes, aux engagements qu'il avait pris, et notamment qu'il avait pris à notre endroit.
C'est-à-dire ?
Prenons un exemple simple : ce matin on va voter la loi dite de "transparence de la vie publique" en France. Elle ne ressemble en rien aux engagements que François Hollande avait pris, y compris par écrit lorsqu'il avait répondu aux interrogations que j'avais à son endroit. Ce que tout le monde avait entendu, c'est que cette loi allait mettre un terme au cumul des mandats. Chacun n'a qu'à regarder dans sa ville pour voir que repartent aux élections municipales tous les députés-maires, tous les cumuls possibles...
Mais le non-cumul est toujours prévu...
Pour les calendes grecques ! En 2017, c'est-à-dire "on verra dans des années"...
C'est bientôt, 2017.
Vous ne pouvez pas dire ça ! Soyons fidèles à ce qu'on dit aux électeurs. Ce que tout le monde avait entendu, ce qui avait été dit, c'est qu'il n'y aurait plus de cumul des mandats à partir des prochaines élections. Les prochaines élections arrivent et le cumul recommence. Pour moi, il y avait un autre engagement très important : que les parlementaires soient soumis aux mêmes règles fiscales que les contribuables français. Ils votent les impôts, ils devraient avoir les mêmes règles pour payer leurs impôts. Il n'en a rien été, cette règle là a été complètement écartée. J'ajoute que, quand je l'avais interrogé sur ce point, François Hollande m'avait écrit : "Si les parlementaires ne veulent pas aller dans le sens des engagements que je prends, je ferais un référendum devant les Français". Les parlementaires ont refusé d'aller dans le sens des timides mesures que proposait François Hollande... et il n'y a pas eu de référendum. Sur ce point et sur bien d'autres, les engagements pris par le président de la République ne sont pas respectés. Voilà pourquoi je suis un opposant.
"NOUS SOMMES D'UNE CLARTÉ ABSOLUE VIS-À-VIS DU FRONT NATIONAL"
Et voilà pourquoi vous êtes en train de reconstruire l'UDF.
Non, absolument pas. L'UDF, j'en ai été le secrétaire général il y a longtemps, quand j'étais jeune. C'était un mouvement où les gens ne s'entendaient pas, parce qu'il y avait des positions politiques extrêmement différentes. C'est ce qui a entraîné les difficultés que l'on a rencontrées. Je vous rappelle que l'UDF s'est brisée sur l'écueil du Front National en 1998...
…qui revient au cœur de l'actualité, François Bayrou.
Justement. Ce que nous allons faire, c'est un mouvement qui sera sur ce point là d'une clarté absolue. Ce sera un progrès.
C'est cela, aujourd'hui, la principale différence avec l'UMP ?
Je pense que vous avez éludé la question. Mettons-nous à la place de ceux qui regardent, stupéfaits, la vie politique aujourd'hui. Ils voient le gouvernement enfermé dans une impasse, enlisé, où aucune promesse n'est respectée. Nous venons de le voir ce matin avec la pause fiscale. Nous avions entendu, dimanche, l'annonce de la pause fiscale et nous apprenons ce matin que la pause fiscale n'est pas pour 2014, mais pour 2015 !
L'UDI parle de "mensonge d'État"...
Oui. Ce n'est pas le respect des engagements pris. Nous apprenons aussi que la dette du pays va atteindre 2.000 milliards d'euros. Cela correspond à une année pleine d'activité du pays. Tout cela signifie que le gouvernement ne fait pas face aux obligations qui sont les siennes.
"PAS DE REDRESSEMENT DES FINANCES PUBLIQUES, SANS RECONSTRUCTION DE L'ÉTAT"
Vous faites campagne depuis des années pour le redressement des finances publiques. Est-ce que la France peut se passer des impôts et d'une nouvelle hausse l'an prochain ?
Excusez-moi, mais cette formulation... "Se passer des impôts" serait absolument impossible. Il n'y aura pas de redressement des finances publiques s'il n'y a pas de réforme en profondeur de l'administration de l'État et des collectivités locales. J'ai soutenu une démarche prise sous l'ancien gouvernement, qui était utile : fusionner les départements et les régions, afin de faire des économies sur ces échelons intermédiaires. Le gouvernement actuel a supprimé cette source d'économies et de simplification là. Vous voyez bien que nous n'allons pas dans le sens de cette reconstruction nécessaire. Nous ne pouvons pas équilibrer les finances s'il n'y a pas de reconstruction de tout notre État et de nos collectivités locales qui sont tellement compliquées qu'elles en sont illisibles.
Le gouvernement insiste sur les économies sur le budget de l'État réalisées l'an prochain. Des économies "sans précédent", dit-il.
Tant mieux, si c'est vrai ! Vous voyez, j'étais en train de défendre devant vous l'idée importante de construire une opposition différente. Qu'est-ce que c'est ? C'est une opposition qui ne se réjouie pas quand cela va mal, une opposition qui voudrait que les bonnes décisions soient prises, qu'elles entrent dans la réalité pour que les choses changent vraiment pour les gens. S'il y a vraiment des économies l'an prochain, tant mieux. Mais j'avertis à l'avance qu'il ne peut pas y avoir d'équilibrage sérieux de la dépense publique en France, où il y a tellement de gaspillages en France, si on en reste avec ces étages superposés de décision publique auquel aucun citoyen ne comprend rien.
D'un mot, l'affaire Cahuzac. La commission d'enquête parlementaire va blanchir le gouvernement. Le rapporteur affirme que la Justice n'a pas été entravée, que l'État a agi normalement. Vous a-t-il convaincu ?
Il n'a pas eu besoin de me convaincre. À votre micro, dès les premiers jours de la commission d'enquête et d'après ce que j'observais, j'avais dit il n'y avait pas eu d'entrave à la Justice ou de manipulations. Je pense que les responsables de l'État et du gouvernement ont eu des interrogations, cela leur est tombé sur la tête, ils ne savaient pas où était la vérité. Ils avaient des soupçons, mais pas des preuves. Ils ont "patouillé" pendant quelques semaines, mais il n'y a pas eu d'entrave au fonctionnement de l'État.