"Nous devons redevenir un peuple, plutôt qu'un amas de gens dispersés dans leur coin"

Jean_Lassalle-JL

Jean Lassalle a regretté "qu'il n'y ait plus d'identité" en France, d'autant plus en cette période de crise, lundi au micro de RMC. "L'identité, c'est un élan formidable et des sentiments forts", a-t-il défendu.

Les Grandes Gueules - Jean Lassalle, vous faites escale à Paris, vous êtes sur les routes et les chemins de France, depuis maintenant deux mois ?

Jean Lassalle - Je suis parti le 10 avril, exactement. Un peu plus de deux mois

Pour parcourir 1.200 kilomètres, déjà. 

Un peu plus, 1.300.

À pied. 

Oui.

Pour faire quoi, en fait ? 

Parce que j’avais le sentiment, depuis le mois de septembre dernier, que notre pays filait du mauvais coton, comme on dit chez nous. J’ai eu le sentiment à la rentrée de septembre que le Président de la République n’allait pas trouver davantage les clefs du camion que ses prédécesseurs.

Mais à quoi ça sert ? 

Tout simplement à montrer d’abord aux citoyens qu’on peut passer du temps à aller à leur rencontrer sans rien programmer du tout, et à montrer au peuple qu’il est important, parce qu’il a le sentiment d’être le grand absent des trente dernières années. 

Concrètement, comment ça se passe ? Vous marchez, vous avez un parcours ? On sait que vous passez par telle ou telle ville, on vient à votre rencontre ? 

Je vais commencer par le commencement. Je suis parti le 10 avril, je ne savais pas où j’atterrissais le soir, j’ai fermé les yeux sur le pont Alexandre III parce que j’avais tellement de mal à concevoir ce que j’allais faire. J’ai pensé à tout ce que j’allais me mettre sur le dos, "le député atypique", "il a besoin d’être mis en exposition", "il y a longtemps qu’il n’y est pas passé" etc. Je n’avais aucune envie ni aucun besoin de marcher, mais je sentais la nécessité de le faire. Alors, le soir je ne savais pas où j’atterrissais, c’est un copain qui m’a trouvé une famille d’accueil formidable, sauf qu’elle m’a fait parler jusqu’à quatre heures du matin. Le lendemain j’étais crevé alors que c’était la première étape. J’ai continué et ça s’est un petit peu organisé. L’idée était de n’en informer personne, ni les maires, ni mes collègues députés et sénateurs, de façon à ce que ce soit totalement libre, et de façon aussi à ne pas les mettre dans l’embarras. Parce que ça aurait été leur demander de choisir : "Qu’est-ce qu’on fait ? On va le voir ou on ne va pas le voir ?". Et puis, c’était aussi donner le sentiment aux citoyens que j’étais là aussi en tant que moi-même, député, citoyen de la Nation. 

Que vous disent les Françaises et les Français que vous rencontrez ? 

D’abord, ce qui est une très grande surprise, ils me parlent beaucoup. C’était une très grande inquiétude. Maintenant, ils ne me demandent même plus pourquoi je suis là, c’est comme si c’était naturel. Ils me disent d’abord qu’ils nous détestent, et ils me disent : "M. le député, surtout, répétez nos mots, n’enjolivez pas, n’essayez pas de dire que ça va un peu. Nous sommes très mécontents, nous n’avons plus confiance en personne d’entre vous. On ne sait plus qui fait quoi. On ne sait plus si on est mondiaux, européens, la France est une vague connaissance, il y a un problème identitaire qui touche au social parce qu’en plus, entre nous, nous n’avons plus aucun lien. Vous dites qu’on est un peuple ? On est un amas de gens dispersés aux quatre coins."

Plus d’identité ? 

Il n’y a plus d’identité, c’est ressenti très cruellement. Vous avez vu ce que l’identité donnait en 1998 quand on était tous champions du monde, c’était un élan formidable. Ça donnait des sentiments très forts. Aujourd’hui, nous sommes complètement à l’inverse de ça.

C’est parce qu’il y a la crise, Jean. 

Oui, il y a la crise mais la crise a des ramifications multifaisceaux qui vont bien au-delà, c’est-à-dire que ça brise net le lien social. Tout le monde en veut à tout le monde. Le gars qui travaille un peu, il est au CDD, c’est énorme un CDD, il en veut à celui qui touche le RSA parce que le CDD paye des impôts pour le RSA. Tu vois, c’est ça.

Donc tout le monde s’envie, se jalouse ? 

Oui. L’agriculture est flinguée. On ne s’en rend pas compte aujourd’hui, mais c’est la dernière génération de paysans que nous avons, y compris dans des zones où nous faisons des céréales. Moi je pensais qu’ils étaient tous cousus d’or. Ils sont cousus d’or, mais il n’y a pas de suite. Un village sur deux n’a plus de successeur, il n’y a plus de paysans. L’industrie, vous savez dans quel état elle est, ce n’est pas la peine que je vous le dise. Troisième chose, les Français me disent : "Nous n’avons plus aucun but, il n’y a plus d’avenir, nous ne savons pas quoi dire à nos enfants".

"On pense que nos enfants vivront moins bien que nous", en fait ? 

Oui, ça c’est la seule certitude que nous ayons, hélas.

Pas d’avenir, pas d’espoir, c’est pour ça d’ailleurs que vous avez lancé les Cahiers de l’Espoir. 

Un autre point que je voudrais ajouter, qui m’a beaucoup touché dans ces terres du nord où j’ai fait tant de mariages, tant de meetings, c’est le rejet violent de l’Europe. Ça c’est très nouveau, dans des proportions énormes et considérables. Ils disent "M. le député, ne racontez pas d’histoires, la France et l’Allemagne ne se feront plus la guerre. L’Angleterre ne va pas nous attaquer." Ils me disent ça à Verdun, vous vous imaginez.

Donc à quoi sert l’Europe maintenant ? 

Oui, à quoi ça sert ? Ça sert de plateforme à la finance internationale qui vient se baser là et qui vient donner des ordres à Paris.

Justement Jean, avant de parler des Cahiers de l’Espoir, est-ce que ce n’est pas quand même un aveu d’échec, d’impuissance du politique ? Vous êtes député de la République, vous êtes obligé d’aller marcher comme ça pendant 1.200 km pour vous rendre compte que les Français n’ont plus d’espoir, qu’ils ne croient pas en l’Europe alors que vous-même et vos amis politiques vantez les vertus de l’Europe du matin au soir. Est-ce qu’il n’y a quand même pas une fracture énorme entre vous, ce que vous représentez, et le citoyen lambda que vous rencontrez ? 

Oui, je pense qu’il faut le reconnaître. Cette fracture y est et moi je ne me détache pas du tout des autres députés, vous avez raison. Je dis très simplement, dans des débats, surtout quand on me parle des autres, que je fais partie de cette même famille des politiques parce que je fais de la politique depuis très longtemps.

Quelles sont les leçons que vous tirez en tant que député de la République ? 

Je pense qu’il y a eu un basculement considérable du monde au cours de ces trente dernières années. La rupture du mur de Berlin qui nous a laissés avec notre modèle. On croit être les rois du monde, mais notre modèle démocrate-social, libéral se confronte à un modèle "financiérisateur" à l’extrême, qui pervertit les esprits les mieux formés pour le combattre. Il n’y a plus de frontières, l’Europe tombe en panne, et là-dessus le politique perd le pouvoir.

Le politique perd le pouvoir ? 

Oui. C’est là qu’ils nous en veulent aussi parce qu’ils disent : "Vous êtes les seuls à faire croire que vous avez encore du pouvoir et vous nous servez des campagnes politiques comme du temps de Giscard d’Estaing et Mitterrand trente ans après, alors que tout a changé".

Les Français que vous rencontrez, c’est qui ? Ce sont des gens qui veulent que l’on remette des frontières ? Ils veulent retrouver leur France, la France des clochers, la France qu’ils ont connue dans les années 1960/70 ? 

Il y a de tout, c’est justement la raison pour laquelle j’ai fait ce travail. Ils ne savent pas précisément ce qu’ils veulent. En même temps, ils sentent bien que le monde change, que l’on ne peut pas faire n’importe quoi. Le problème, c’est de ne plus avoir de débat sur les réalités d’aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle, dans un premier temps, je leur dis "Exprimez-vous, dites ce que vous avez sur le cœur", parce que je préfère qu’on le dise comme ça plutôt que de le laisser dire par des extrêmes ou par des violents.

Les Cahiers de l’espoir, c’est ça ? 

Oui.

Ça fait penser aux Cahiers de doléance de l’Ancien régime, en fait. 

Voilà. Les Cahiers de l’Espoir c’est : qu’est-ce que je propose ? Pour mon village, pour mon quartier, pour ma région. Comment je m’y trouve ? Comment j’ai vécu ces trente dernières années ? Comment je pourrais proposer ? Quelles sont les idées fortes que je retiendrai pour donner des idées au Président de la République, François Hollande ?

www.ledeputequimarche.fr, c’est votre site Internet. On peut aller sur votre site, faire part de ses attentes, de ses revendications. Est-ce que ce sont des gens qui ont aussi un vrai rejet de l’étranger qui vit aujourd’hui en France ? 

C’est un des points, ce n’est pas le seul, mais c’est un des points qui est fort oui. Il l’est paradoxalement dans le monde rural où il y a eu peu d’étrangers.

Ils n’ont pas envie que ce qu’ils voient à Paris, dans les grandes villes, ça arrive chez eux. C’est bien ça ? 

Oui. Ils ont le sentiment qu’ils volent le travail de leurs enfants. En même temps, ça correspond à la grande crise du monde rural qui est une crise à l’intérieur de la crise française, accentuée par la déprime mondiale. Les enfants n’ont pas de boulot et ils ont le sentiment que ce sont des gars venus d’ailleurs qui le leur prennent.

En même temps, la France n’est pas une seule France. Vous avez parcouru une partie de la France qui est une France rurale, périurbaine, dans des difficultés. Peut-être que lorsque vous allez rencontrer de grandes villes, vous aurez aussi un autre son de cloche. 

J’ai quand même fait Lille, j’y ai passé cinq ou six jours. J’ai fait toutes les grandes villes du Nord, Lille, Roubaix et Tourcoing. Ce sont les plus désespérés. J’ai des observateurs qui sont à mes côtés, beaucoup de vos confrères sont venus, le soir quand ils rentrent en bagnole, ils se demandent ce qu’ils ont vu et comment ils vont faire l’article le lendemain. C’est la méthode qui fait ça. Ils voient que je ne triche pas, donc ils me parlent librement. Mais une fois que l’on a passé ce stade, que je ne les ai pas coupés, je me rends compte d’une chose, ils adorent la politique. Ils voudraient en parler, ils voudraient faire des propositions.

Jean, est-ce que vous avez reçu quelques coups de fil de collègues députés pour vous soutenir, pour vous demander comment ça se passe ? 

Oui, sept ou huit.

Ou au contraire, qui auraient dit "Tu en fais trop Jean, une fois de plus" ?

Ça non, ils ne me l’ont pas dit. Ça c’est plutôt chez moi mais c’est normal, nul n’est prophète en son pays. Et puis chez moi ils ont toujours été vigoureux à mon égard mais ils m’ont toujours élu. Il y a cinq ou six députés qui me téléphonent régulièrement, André Chassaigne, Philippe Folliot, le gaulliste historique Dupont-Aignan…

L’autre jour, André Chassaigne, qui est venu dans le Conseil des Grandes Gueules auquel vous participiez de temps en temps avant de partir marcher, avait demandé de vos nouvelles, effectivement. Donc, si je comprends bien, on devrait envoyer plus souvent nos élus parcourir la France dans une démarche assez simple, sans faire de meeting rapide ou des déplacements qui durent trois quarts d’heure mais en prenant le temps de discuter simplement avec les Français.

Vous avez mis le doigt sur quelque chose qu’ils ne supportent pas. Ce sont ces meetings improvisés où tout le monde rapplique. Là-dessus, ils prennent à partie, même vos collègues journalistes nationaux. Autant les politiques sont rejetés, autant certains de vos confrères le sont aussi, il faut quand même le dire. Ils disent "On les voit toujours avec des immenses caméras, on ne peut pas voir le ministre ou le Président, il y a deux rangées de CRS en plus, et puis deux rangées de militants, nous on est au fond et on ne peut pas les voir".

Parce que le Président de la République, quand il se déplace, il dit "Je vais sur le terrain", mais ce n’est pas ça le terrain. Le terrain, c’est ce que vous faites. La colère des Français peut aussi s’exprimer dans les urnes. C’est ce qu’il s’est passé cette semaine en Lot-et-Garonne. Le candidat socialiste a été éliminé dès le premier tour, c’est la faute du beau temps, comme il dit ? D’autres socialistes disent que c’est la faute des Verts. Comment vous analysez ce résultat ? 

Sur ce que je vois actuellement, depuis ces 1.300 kilomètres, je dois dire hélas que je ne suis pas du tout surpris, c’est la chronique annoncée. Je crains le second tour, je n’en dis pas plus.

Vous pensez que le second tour à Villeneuve sur Lot n’est pas fait ? D’aucuns disent que l’UMP a déjà gagné, ce n’est pas sûr ?

Je voudrais, mais ce n’est pas fait du tout. En même temps c’est très compliqué parce qu’à Villeneuve-sur-Lot il y a des vrais socialistes et même des non-socialistes qui continuent à défendre Cahuzac, c’est étonnant. Ceux-là, vous n’allez pas les faire voter UMP, vous pouvez faire tout ce que vous voulez, ils ne voteront pas. Plus largement, parce que je crois que c’est le sens de votre question, c’est la situation actuelle de la France et son doute profond. Des maires aujourd’hui disent "Je suis au Front National", devant leur Conseil municipal. Je n’avais pas entendu cela avant. D’autres personnes aussi, comme des chefs d’entreprises.

Ils assument.

Oui ils l’assument. D’autres me disent qu’ils sont Front de Gauche. Vous savez, ils savent qu’il y a les Européennes l’an prochain, leur objectif c’est de bourrer les urnes - comme ils disent - de Front de Gauche et de Front National pour mettre la table par terre, vous voyez ? 

Renverser finalement le système UMPS, pour reprendre une expression du Front National ? 

Même pas, mais pour remettre en cause l’Europe, sur des terres qui étaient archi-européennes il y a dix ans. J’ai fait des dizaines de mariage, je ne sais combien de meetings, je n’aurais jamais cru cela, j’ai du mal à en trouver un sur dix qui défende l’Europe et l’Euro.

Le maire d’Arcangues dans les Pyrénées-Atlantiques, Jean-Michel Colo, ne veut pas marier les couples homosexuels. Il a dit qu’il allait reconsidérer un peu sa position mais il ne veut pas marier. Et vous, M. le maire, vous marierez ? 

D’abord, je ne veux pas fuir les questions, je connais bien Jean-Michel Colo qui est un copain de longue date, je crois que c’est un sujet sur lequel nous ne devons pas faire trop de bruit. J’en profite aussi pour dire que, ce qui est très mal perçu, ce sont nos conflits, nos batailles rangées à l’Assemblée Nationale. Ça apparaît purement insupportable et, par rapport à cette affaire, je crois que maintenant il faut mettre la pédale douce. Jean-Michel Colo a pris cette décision, il a dit qu’il allait peut-être revenir dessus, je crois qu’il faut respecter mais surtout calmer le jeu.

Mais vous, vous êtes un républicain légaliste, vous appliquerez la loi ? 

Oui, elle est votée, bien sûr que je l’appliquerai. Mais je ne peux pas non plus jeter l’opprobre sur quelqu’un qui dit ça parce que je continuerais à relancer toujours l’affrontement.

Les Français croient en la boîte à outils et la volonté d’avancer du Président de la République ? 

Ma démarche est totalement apolitique au sens partisan du terme, parce que j’estime qu’il y a déjà assez de misère comme ça, ce n’est pas la peine d’en rajouter au gouvernement ni à qui que ce soit. Par contre, c’est l’acte politique le plus important de ma vie que je signe. Je ne le referai pas deux fois parce qu’on ne peut pas faire deux fois une chose pareille. En ce qui concerne le Président de la République, c’est finalement l’élément le moins facile à cerner, parce que j’ai le sentiment que sa côte profonde n’est pas définitivement atteinte, on est en train de le regarder. Ce qui ne passe pas, ce sont ces affrontements permanents. Si j’avais un conseil à suggérer, puisqu’il y a une majorité, c’est qu’elle essaie de travailler, qu’elle ne tienne pas forcément compte de toutes les provocations qu’il peut y avoir, il y en a partout, qu’elle ait une attitude plus calme pour calmer le pays. Je pensais que François Hollande le ferait, il n’a pas besoin de relancer à chaque fois. Enfin, c’est mon sentiment.

Vous allez reprendre la route ? 

Oui, je la reprends. Je me suis arrêtée à Florange, ensuite je vais à Gandrange. On m’a dit "Ne va pas Gandrange, il n’y a rien". J’ai dit "Justement, je veux voir rien". J’ai rencontré le syndicaliste Edouard Martin qui est venu à ma rencontre et qui est un gars vraiment exceptionnel. Je l’ai rencontré avec toute son équipe, je le retrouve demain et nous allons passer la journée entière chez lui à Florange. Je vais voir le maire, je vais aller dans les bistrots, je veux parler avec les gens.

Vous allez faire ça pendant encore combien de temps ? 

Je ne me suis pas fixé de date. Je vais aller à Metz, Strasbourg et à Baden-Baden.

Tiens, c’est symbolique. 

Oui, c’est symbolique. Et puis après je vais continuer autant que mes pieds le pourront.

Vous irez dans le sud un peu ? 

Oui, autant que je le pourrai.

Donc pas de date de fin ? 

Pas de date de fin pour encourager les Cahiers de l’espoir. Tant que je marcherai et tant que vous, vous parlerez de moi, parce que si vous n’êtes pas là, je peux bien marcher cent mille ans, ça ne fera rien...

Et les pieds, Jean Lassalle, les ampoules ? 

Ça ne fait rien. Tu sais, quand on a le moral, ça avance. Mais il faut que j’arrive, c’est important, à convaincre Paris.

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