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"Notre pays peut gagner du temps et de l'argent en dépoussiérant les normes !"

Alain Lambert appelle à lutter "contre l'inflation normative" pour permettre à notre pays de dégager "de nouvelles marges de manoeuvre". Tour d'horizon de ses préconisations.

Le premier ministre animait mardi une réunion ministérielle sur la simplification des normes et des procédures administratives. Un sujet en apparence technique, mais qui influe sur le quotidien de millions de Français et qui serait susceptible, s'il était enfin traité, de dégager des marges de manœuvre budgétaires en faveur de la croissance. 

Parmi les premiers à tirer la sonnette d'alarme en la matière : Alain Lambert, président du Conseil général de l'Orne, ancien ministre du Budget et de la Réforme budgétaire, proche soutien de François Bayrou. Avec Jean-Claude Boulard, maire du Mans, il est l'auteur d'un rapport accablant sur "l'inflation normative" et les moyens d'y remédier. C'est ce rapport qui préfigure les mesures en cours d'adoption par le gouvernement. Il nous en détaille les grands principes.

La France est-elle vraiment sujette à un excès de normes ?

Alain Lambert - Oui ! C'est une spécificité française, les vieilles adhérences d'un État très centralisateur depuis la monarchie, qui fonde son droit sur la défiance : tout ce qui n'est pas issu des administrations centrales est réputé dangereux, voire suspect. Quand nous avons été chargés d'un rapport sur ce sujet, sur lequel je travaille depuis longtemps, je n'imaginais pas tout ce que nous allions découvrir en fouillant ! Nous avons tendance à penser que c'est un sujet principalement juridique et que le juridique est accessoire, mais il est en fait culturel et touche au cœur de la pratique de nos administrations et de notre économie. Les perles ne manquent pas... Je pense par exemple à une norme qui impose que l'on soit diplômé pour participer à une inhumation, ou à une autre sur l'art et la manière de renouveler l'air dans une pièce, mais qui ne prévoit pas que l'on ouvre la fenêtre. 

Quelle fut votre feuille de route pour la rédaction de ce rapport ?

Nous n'avons pas cherché à apporter quelque chose de génial et de nouveau, puisque les idées existaient déjà dans de précédents rapports. Nous avons auditionné tous ceux qui avaient déjà été auditionnés, pour voir qu'ils avaient des propositions nouvelles. Nous avons pris tout ce qui était disponible et l'avons mis en forme pour qu'un gouvernement puisse s'en saisir. Notre objectif : faire une boite à outils, avec un mode d'emploi immédiatement utilisable pour chaque outil.

Quels sont ces outils ?

Le premier est de réaffirmer que ce qui figure dans la Constitution comme relevant du texte de loi doit être dans la loi, tandis que ce qui relève du règlement doit être remis dans le champ du règlement. Prenons chaque texte qui comporte des normes pour les collectivités : laissons le quart qui est du législatif, mais retirons les trois quarts qui sont du domaine réglementaire. Ce triage permettrait de modifier facilement les normes, par un simple arrêté, et de ne plus occuper des journées entières du Parlement par des choses qui ne relèvent pas de lui. L'instrument juridique existe depuis 1958 et n'est quasiment pas utilisé : le premier ministre peut demander au Conseil constitutionnel le déclassement d'articles de loi en règlement, dans un délai de 15 jours. Nous proposons également que toute administration proposant une nouvelle norme en supprime une autre, en commençant par les ministères les plus gros producteurs de normes, comme l'Environnement, l'Agriculture et le Social. Enfin, nous demandons la mise en ligne des normes qui sont en application. Celles qui ne seraient pas sur internet ne seraient plus opposables aux collectivités locales. Comme il en existe près de 400.000, on peut penser qu'ils vont en oublier la moitié.

En simplifiant les normes, peut-on faire des économies ?

Les collectivités investissent 50 milliards d'euros par an. Nous estimons que 10% de ces investissements sont contraints par les normes et non pas choisis. Il y a des coûts qui n'apportent aucune valeur ajoutée aux citoyens. Il ne s'agit pas de les économiser, car la croissance a besoin d'investissements, mais de pouvoir enfin les employer à des choses utiles. Nous pouvons aussi gagner du temps. Dans un projet, le temps des papiers est très supérieur au temps du chantier. Un maire qui veut construire une station d'épuration ne l'inaugure que lors de son 2e mandat, s'il est réélu. L'État peut se tourner vers les gens du papier et édicter une règle simple : ce qui prend six années d'études, vous le faites maintenant en cinq années, sinon l'accord est définitif. 

Les collectivités doivent-elles avoir davantage leur mot à dire dans l'adoption des normes ?

Les relations entre l'État central et les administrations locales doivent être empruntes de la plus grande confiance mutuelle. Il faut changer culturellement les comportements des administrations centrales, pour qu'elles se comportent en conseil plutôt qu'en sanction. Prenons l'exemple d'une rampe d'accès à un bâtiment pour les personnes en situation de handicap. Si elle a 5cm de plus ou de moins par rapport à la règle de droit, instaurons un rescrit grâce auquel l'administration dirait : "J'ai vérifié, nous ne pouvons pas faire autrement, je valide donc votre équipement tel qu'il est." Enfin, nous pourrions envisager un médiateur, comme il en existe à Bercy, qui rapprocherait les points de vue. Je plaide aussi pour un pouvoir d'interprétation au niveau local, par exemple par l'intermédiaire du Préfet entouré d'un collège d'élus. 

Pensez-vous que vos préconisations seront entendues ?

Le premier ministre a déjà entériné une partie d'entre elles. Je crois qu'il veut délivrer un message assez fort. Mais j'ai peur qu'il sous-estime la résistance de l'administration centrale. Ce qu'il doit vaincre, ce sont les juristes, notamment ceux autour de lui. Pour porter leurs fruits, ces mesures doivent s'accompagner de la modernisation de la société. Nous devons sortir du réflexe centralisateur et bureaucratique, pour avoir une approche qui partirait du terrain. J'en suis convaincu : le pouvoir au plus proche des citoyens est souvent mieux inspiré que le pouvoir central confiné dans son coin. 

Pour aller plus loin: le rapport et le powerpoint de présentation.

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