"L'Union européenne doit équilibrer ses relations avec la Chine"
Marielle de Sarnez a estimé, samedi sur RFI, que les relations entre l'Union européenne et la Chine ne pouvaient "plus durer comme ça". L'eurodéputée formule une série de propositions en faveur d'un "rééquilibrage".
Entre l’Europe et la Chine, c’est l’incompréhension qui domine. L’Europe s’estime envahie par des produits 'Made in China' qui remettent en cause son industrie et son modèle de développement économique et social. Plus grave, l’Europe vit mal une Chine qui rachète des pans entiers de son économie malade, alors qu’il y a peu elle trouvait normal d’investir massivement en Chine. La Chine, qui a longtemps cru en l’avènement d’une Union Européenne forte, c’est-à-dire politiquement intégrée, capable de rompre son tête-à-tête avec les Etats-Unis, ne comprend plus rien aux atermoiements d’une Europe qui, vue de Pékin, semble se complaire dans la crise. De l’intérêt à l’incompréhension, comment la Chine voit l’Europe et comment l’Europe s’imagine face à la Chine ? Autant de sujets qui furent au cœur de l'interview de Marielle de Sarnez par Radio France internationale (RFI), samedi.
RFI - Marielle de Sarnez, y a-t-il une approche européenne envers la Chine ou au contraire chacun pays y va-t-il de son regard et de son approche ?
Marielle de Sarnez - Il n’y a aucune approche européenne ! Il n’y a pas de stratégie européenne vis-à-vis de la Chine. C’est-à-dire, au fond, que chaque pays a sa relation plus ou moins privilégiée avec elle. Par exemple, l’Allemagne vend beaucoup à la Chine, la France quatre fois moins. Nous avons comme ça vingt-sept stratégies différentes, parcellisées. Dans mon rapport intitulé 'Union Européenne-Chine, l’échange inégal ?', j’ai appelé à une stratégie européenne unique, car nous ne pouvons pas aborder la question chinoise si nous ne parlons pas d’une seule et même voix au sein de l’UE. C’est extrêmement important.
À l’évidence, vous n’avez pas été entendue ?
J’espère que je le serai un jour, car cette question est en vérité celle de savoir si nous voulons peser dans le monde tel qu’il est. C’est vrai, la Chine a besoin de l’Europe. C’est un marché avec lequel elle commerce, dans lequel est investit. Elle n’a pas du tout envie de se retrouver en tête-à-tête avec les Américains. Et nous, nous avons aussi intérêt à ces relations avec la Chine. Je demande simplement qu'elles soient plus équilibrées qu'aujourd’hui : nous avons pour l'instant un déficit du commerce extérieur extrêmement important, de l'ordre de 260 milliards d’euros. Ça ne peut pas durer comme ça. J'appelle l'Union européenne à demander la réciprocité sur tous les problèmes d’accès aux marchés chinois, notamment publics. C’est toute la question de la loyauté dans les échanges, mais aussi de la propriété intellectuelle. La Chine est un partenaire, nous devons nous parler de partenaire à partenaire.
Comment les Chinois voient-ils la crise qui touche l'Union européenne ? Ont-ils intégré une forme de déclin européen ?
En tous les cas, chaque fois que je suis allée en Chine, j’ai été confrontée à une seule question des Chinois : est-ce que la zone Euro va s’en sortir ? Est-ce que vous allez faire ce qui est nécessaire pour que ça aille mieux demain ? Ils ont une inquiétude sur notre capacité à pouvoir régler nos propres problèmes. Mais ils ont leur part de responsabilité. Ils mènent une course aux bas salaires, nous n’avons pas les mêmes normes, ils maintiennent des barrières commerciales, le commerce avec eux n’est donc pas réellement réciproque et équitable, ils jouent avec leur monnaie, ... Évidemment, cela les aide considérablement. Et cela perdure, parce qu'il n’y a pas de stratégie européenne à leur encontre. Cette inégalité nous renvoie aussi à nos propres : nous, Européens, avons presque accepté la désindustrialisation de notre continent, le fait de produire de moins en moins, de délocaliser de plus en plus. Pour ma part, je ne l'accepte pas et je pense que nous devons nous battre mener des réformes trop longtemps différées par un certain nombre de pays, notamment en France. Il est également vital que nous construisions une politique industrielle européenne. De bons instruments commerciaux de défense, pour autant que nous ayons, ne suffiront pas. Nous devons passer à l’offensive, avec une vraie politique industrielle commune, durable, innovante et de haute technologie. Enfin, la Chine a un point fort, probablement lié à une absence de démocratie : ses stratégies de long terme. En Europe et dans les États membres, nous prenons chaque jour une décision qui est suivie d’une décision contraire le lendemain. Si nous étions capables de rester de grandes démocraties, peut-être même quelquefois de restaurer et de refonder la démocratie, tout en ayant une stratégie de long terme, nous serions particulièrement forts.
Doit-on surveiller les investissements chinois en Europe ?
La question des investissements chinois en Europe n’est pas anodine. Aujourd’hui, nous laissons faire, sans aucune stratégie. Dans un premier temps, je propose que soit faite toute la transparence nécessaire sur ces investissements : nous avons le droit de connaître leurs montants et leurs destinations. C'est ce qui se passe aux Etats-Unis, où une agence donne l’exacte réalité des investissements étrangers. Ensuite, nous devons regarder les investissements stratégiques et être capables de refuser ceux qui portent atteinte à notre autonomie. Cela pose aussi la question de l’accès aux matières premières. Quand vous voyagez dans le monde, en Afrique ou en Amérique latine, vous voyez partout des entreprises chinoises qui sont là pour récupérer les matières premières. Les matières premières appartiennent à un peuple, à un Etat, à une Nation, à un territoire et aux générations qui viennent. Nous devons réfléchir une gestion internationale des ressources naturelles ou des matières premières, qui fasse en sorte qu’il n’y ait pas de préemption par un tiers extérieur, que ce soit la Chine aujourd’hui ou un autre pays demain.
Est-ce la démocratie et les droits de l’Homme sont un produit d’exportation de l’Europe pour les nouvelles générations ?
Je crois profondément qu’il y a des valeurs universelles. Je crois profondément que les valeurs françaises que nous portons, des droits de l’Homme, sont des valeurs qui valent pour le monde entier, y compris pour la Chine et pour les Chinois. J’espère que l’avènement des classes moyennes en Chine, la montée inéluctable du niveau de vie, permettront demain de porter des exigences démocratiques, de libertés individuelles, de droits supplémentaires. C'est très important.