"L'hyper-fiscalité freine le moral des Français et l'esprit d'entreprise"

Dans une grande interview aux Échos, François Bayrou fustige "la perpétuelle incohérence" de la politique économique du gouvernement. "Il s'attaque aux problèmes avec des ciseaux à ongles" plutôt que "d'entamer le nécessaire travail de fond", déplore-t-il.
Les Échos - Le gouvernement renonce à taxer l’excédent brut d’exploitation. Est-ce une bonne décision?
François Bayrou - Cela ne change rien au fond de ce projet de budget pour 2014 , qui est hyper-fiscal. Et l’hyper-fiscalité est un frein au moral des entreprises et des ménages, à l’efficacité, à l’investissement, à l’esprit d’entreprise. Elle interdit les anticipations et décourage la prise de risque. Il y a en plus l’aspect improvisé et bricolé qui prend des allures de record. Mais le fond de l’affaire est que lorsque les prélèvements deviennent trop lourds, il n’y a pas de bonne base sur lesquels les asseoir. On aura beau multiplier les concours Lépine de la fiscalité, une ponction trop lourde sera toujours une charge et un frein sur l’activité économique.
François Hollande semble prêter plus d’attention aux entreprises. N’est-ce pas le signe du virage social-démocrate que vous souhaitez ?
On est dans une perpétuelle incohérence. On dit qu’on veut entendre l’entreprise. Mais on multiplie les ponctions. Frapper l’excédent brut d’exploitation, c’est-à-dire le profit d’une entreprise qui lui-même alimente l’investissement, relève d’une grande méconnaissance des lois économiques. Et ce qu’on annonce aujourd’hui, c’est encore une augmentation de l’IS à 35 % !
Le projet de budget prévoit aussi 15 milliards d’euros d’économies sur les dépenses…
Je ne crois pas à ces chiffres. Il est impossible d’obtenir les économies annoncées sans réforme de fond pour l’Etat, les collectivités locales, et la sécu ! On ne sera pas à l’équilibre en 2017 malgré les promesses. La dépense publique en France est supérieure de 20% à celle de l’Allemagne. Si on la rapporte au produit intérieur, cela représente une différence de 200 milliards. Si le gouvernement s’attaque au problème avec des ciseaux à ongles, il n’obtiendra que des coupes ténues dans les dépenses, avec un rendement très faible. Et surtout, c’est le plus important, on n’améliorera en rien l’efficacité du service rendu aux Français. On perd un temps précieux en n’entamant pas le travail de fond qui est nécessaire, sur l’architecture des collectivités, sur l’éducation, en s’occupant maladroitement des rythmes scolaires plutôt que de la lecture, de la formation professionnelle, dont ne bénéficient pas ceux qui en auraient absolument besoin, de notre labyrinthe juridique, social et fiscal.
Le gouvernement est désormais très attentif au coût du travail, qu’en pensez-vous ?
Le coût du travail, c’est bien entendu une question. Cela touche aux charges. Mais pas de course aux bas salaires ! Le pays le plus compétitif du monde, si on en croit certains classements, c’est la Suisse. La Suisse n’est pas un pays à bas salaires que je sache ! Et si on compare la France avec l’Allemagne, l’écart en termes de coût du travail n’est pas si important. Or, l’Allemagne exporte massivement.
Les mesures en faveur du pouvoir d’achat des ménages modestes dans le budget pour 2014 sont-elles justifiées ?
Le pouvoir d’achat, qu’est-ce que c’est ? C’est le fruit de l’activité économique du pays, augmenté de l’endettement, rapporté au nombre de consommateurs. Pourquoi le pouvoir d’achat recule-t-il ? Parce que l’activité stagne tandis que la population augmente. Les mesures que prépare le gouvernement pour donner un coup de pouce au pouvoir d’achat ne feront au mieux que redistribuer un peu de nouveaux prélèvements. Elles seront donc forcément limitées et de court terme. L’idée selon laquelle il y aurait un trésor caché dans lequel on pourrait puiser pour donner de l’argent à ceux qui n’en ont pas est un leurre. C’est donc un échec supplémentaire qui s’annonce. Il n’y a qu’une chose qui compte, c’est l’activité, c’est la créativité, l’invention.
Pour contenir les dépenses, les retraites seront gelées pendant six mois en 2014. Cette mesure était-elle nécessaire ?
Comme il n’y a pas de vraie réforme des retraites , il faut trouver des rustines. Il y a donc forcément des ponctions supplémentaires pour réduire les déficits, sur les actifs, sur les entreprises et sur les retraités. Je plaide au contraire pour une réforme systémique, avec l’instauration progressive d’un régime unique, à points, qui donnera plus de place à la décision individuelle des assurés et tiendra compte de l’histoire personnelle de chacun des travailleurs. Ce système, on peut le mettre en place, et on y viendra forcément un jour. Si le président de la République avait le courage de tourner le dos aux demandes partisanes pour prendre les problèmes à bras le corps, les Français lui en seraient reconnaissants.
L’éclaircie qui se confirme sur la croissance, les frémissements sur le chômage, sont-ils toutefois de bons signaux ?
Cette espèce de soulagement repose sur une erreur fondamentale qui est de croire que les problèmes de la France sont dus à la météorologie européenne ou internationale. Ce n’est pas vrai. Les problèmes de la France sont dus à des stérilisations et blocages de la société. Ils ne sont pas dus aux autres mais à notre propre incapacité. Ce n’est pas la météo économique internationale qui fait qu’on n’apprend pas à lire aux enfants, que nous avons une formation professionnelle catastrophique, que le statut de l’entreprise en France est incertain et décourageant, que nous faisons tous les jours sur la fiscalité un pas en avant, deux pas en arrière. Pendant 18 mois, j’ai fait crédit à François Hollande, croyant à sa culture réformiste, delorienne, mais je ne vois rien venir. Il faudrait un esprit de décision et de rassemblement, qui tourne le dos aux obsessions électoralistes, qui se révéleront d’ailleurs vaines.
Justement, le FN est arrivé en tête à la cantonale partielle de Brignoles...
Quand la fièvre monte trop, le malade convulse, c’est biologique. Une société traversée d’inquiétudes aussi profondes et aussi justifiées, ne doutez pas qu’elle sera prise de convulsions ! Or vous n’avez pas une famille sans chômeur de longue durée, tout le monde connaît des jeunes diplômés qui n’arrivent pas à s’insérer sur le marché de l’emploi, et que reste-t-il dans ces conditions aux jeunes sans diplômes ? L’argent manque dans une majorité de familles et souvent cruellement. Donc convulsions. Et ce sont des convulsions dangereuses pour le pays. Faire croire qu’on va mettre les immigrés à la porte, sortir de l’euro et de l’Union européenne, focaliser les passions sur l’Islam, tout cela est très dangereux. Une fois qu’on a fait flamber ces obsessions, quel avenir propose-t-on ? Les affrontements internes, fondés sur l’origine ou la religion ? Dresser le pays dans un antagonisme profond en son sein, c’est le ruiner. Quand je vois les éléments de cette ruine, je les dénonce. La sortie de l’Europe, c’est un scénario de malheurs. Il faut donc une réponse politique nouvelle. Il faut une certitude de roc, qui n’a pas besoin d’être agressive, il faut un môle de stabilité, de réformisme, et ce môle, nous sommes, je l’espère, en train de la construire au centre, en faisant des pas les uns vers les autres.
Que reste-t-il à régler avant de signer la semaine prochaine votre charte commune avec l’UDI ? Quelle alliance avec l’UMP ?
Il reste à bien se mettre d’accord sur les principes, à solidifier ce qui est une intention juste et de bonne foi. Je suis un homme du centre, et j’affirme que le centre est un projet. Il faut que les centres jusqu’ici séparés se réconcilient et se reconnaissent. Naturellement le centre-droit a sa place dans le centre, et le centre indépendant doit aussi être pleinement reconnu. Faut-il des alliances? Bien sûr il en faudra. Quelles alliances? Il est légitime de travailler avec la droite républicaine dès lors que ses valeurs de fondation sont respectées. C’est d’autant plus légitime que cela permettra d’écarter des tentations de contagion des thèses extrémistes. Et le jour que j’espère depuis longtemps où des réformistes de l’autre rive se détacheront du bloc fermé que représente la gauche aujourd’hui, ce jour-là, nous devons pouvoir aussi travailler avec eux. Autrement dit le centre doit être ouvert, sans œillères, sinon, ce n’est pas le centre. C’est à partir de ce centre nouveau que doit être proposée l’alternative dont le pays a besoin.