"Le Talk" avec Marielle de Sarnez

Marielle de Sarnez, présidente de la commission des Affaires étrangères à l'Assemblée nationale, et première vice-présidente du Mouvement Démocrate, était l'invitée d'Yves Thréard dans l'émission Le Talk, diffusée sur le site internet du Figaro, ce jeudi 7 mars 2019.

Retrouvez ci-dessous la retranscription de l'émission : 

Nous sommes avec Marielle de Sarnez, députée Modem de Paris, ancienne ministre, et présidente de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Marielle de Sarnez bonjour. Le président de la République a adressé en début de semaine une tribune à tous les citoyens d’Europe. C’est d’ailleurs intéressant, citoyens d’Europe et non pas citoyens européens. Cette tribune était à la hauteur de vos espérances ?

Oui, moi je trouve que c’est une initiative extrêmement forte. D’ailleurs, elle n’a pas de précédent. C’est la première fois qu’on a un président de la République française qui se saisit de la question européenne, et qui au nom de son pays, au nom de la France, propose une vision en Europe. Et je peux vous dire qu’on en a sacrément besoin ! Donc oui, c’est une bonne nouvelle.

Il dit qu’il faut remettre à plat Schengen, qu’il faut créer un bouclier social… on a l’impression que ce sont des idées qui ont été ressassées mille fois, et qu’on bute à chaque fois sur les divergences nationales.

Il n’y a pas d’autre chemin que celui-là. On prend toutes les grandes questions, préserver notre modèle social qui est unique au monde, préserver notre modèle de civilisation, faire face à la question des migrations… Nous voyons bien que sur toutes ces questions, il faut s’unir pour apporter des réponses. Il va falloir que l’Europe se mette à faire de la politique. Et c’est pour ça que je trouve cette tribune extrêmement intéressante.

Elle ne fait pas de politique l’Europe ? Trop technicienne ?

Non, je trouve que des fois on se perd un peu dans des limbes « techno ». Et il va falloir un grand retour du politique.

Il faut qu’elle soit moins bureaucratique et plus recentrée sur l’essentiel ?

Oui, c’est exactement ça, quand on voit le monde tel qu’il est, quand vous voyez l’ambition chinoise, première puissance mondiale en 2049, quand vous voyez les problèmes américains, quand vous voyez l’ensemble des cirses et des pays qui nous entourent… évidemment qu’on a besoin d’une Europe forte, unie sur l’essentiel.

Il y a une formule qui est apparue sur cette tribune, on ne l’avait pas entendue dans la bouche du président me semble-t-il. La « préférence européenne ».

Oui, moi j’ai toujours dit ça. J’ai toujours dit qu’il fallait que les Européens défendent les intérêts des Européens. Les autres grandes puissances dans le monde, qu’est-ce que vous croyez qu’elles font ? Les Américains défendent leur industrie, les Chinois défendent leur industrie, il faut qu’on fasse exactement la même chose, qu’on défende nos industries, qu’on défende nos emplois, qu’on défende nos salariés, et c’est bien normal. Et je crois que dans ce domaine-là, il y a peut-être eu un peu de naïveté, trop de naïveté. Il faut faire comme les grands concurrents du monde.

Vous revenez d’Érythrée, vous êtes présidente de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale. L’immigration est effectivement un point sensible. Avec le président on n’a pas bien compris, il y a une police des frontières qui s’appelle Frontex, et on a l’impression qu’il l’avait un peu oubliée. Il dit qu’il faut se renforcer là-dessus.

Bien sûr, il a raison. C’est un discours de la France depuis longtemps. Ce sont des propositions françaises depuis longtemps. Et c’est bien, et j’en suis heureuse. Bien sûr qu’il faut qu’on avance ensemble sur la question migratoire. Sur la question migratoire, on va distinguer deux points. On a un point qui est la question de l’asile. Je crois qu’il faut recentrer l’asile sur ce qu’il est : la protection d’individus menacés, et il faut qu’on ait les mêmes critères, les mêmes taux de reconnaissance. Lorsqu’on refuse l’asile dans un pays (ce qu’on appelle les déboutés de l’asile), et que les mêmes personnes viennent demander l’asile dans un autre pays, il y a quelque chose qui ne marche pas. On est dans un État de droit. Il faut considérer que quand on donne l’asile dans un pays, ça vaut pour cet espace, et quand on le refuse, ça vaut aussi pour l’ensemble de l’espace. Ça c’est pour la question de l’asile.

Et comment on les ramène chez eux ?

Il faut des politiques de retour, il faut favoriser les retours volontaires, c’est quelque chose qui marche dans les pays où ça se fait.

On crée une compagnie aérienne spéciale ?

Frontex le fait. Frontex fait des retours. Il faut évidemment des accords avec les pays de provenance, c’est une évidence. Et deuxièmement, il faudra un jour qu’on se pose la question de la migration économique. Est-ce qu’il y a besoin d’immigration économique, et si oui, comment on la gère. A la vérité, il y a des tas de boulots pour lesquels on ne trouve pas preneur, et quelquefois ce sont des gens qui viennent d’ailleurs qui les pourvoient. Alors il faut en tous les cas qu’on ait le courage d’ouvrir ce débat. Le président l’a fait dans la lettre d’ouverture du grand débat. Je trouve que c’est très bon, c’est très sain. Et pour la migration économique, je suis pour qu’on réfléchisse à ce qu’on appelle des visas multiples : quand on donne des visas, on donne des visas qui sont valables pour plusieurs entrées. Ça implique le retour du migrant dans son pays. Il peut venir travailler deux trois ans chez nous en France, après il peut retourner dans son pays mettre à profit ce qu’il a fait en France, et éventuellement revenir à nouveau pour quelques temps, pour repartir chez lui. Ça évite la fuite des cerveaux, je vous assure que si on y réfléchit bien, c’est beaucoup mieux que de se dire qu’il y a des gens qui rentrent illégalement chez nous, et qui y restent. Il vaut mieux rapprocher ces questions-là des voies légales.

Marielle de Sarnez. [Les élections européennes] C’est le 26 mai. Qui va diriger cette liste ?

Vous allez le savoir, le 26 mai, ce n’est pas demain matin. Ce qui est important, c’est qu’il y ait une ambition européenne. On le saura dans le courant du mois de mars. Le lancement de la campagne, c’est le 30 mars. 

Il y a une indiscrétion qui est sortie. Un cadre d’AGIR (les centristes et certains éléments de droite, qui sont plutôt dans la majorité présidentielle) a dit, il y a 79 places pour la France. 50 vont aller à la République en Marche, les 29 restantes aux autres. Et sur ces 29 autres, la moitié serait pour le Modem.

Je pense que je vais vous décevoir. Je crois qu’on a un rendez-vous historique avec l’Europe. Et ce n’est pas une affaire des partis. Ce n’est pas une affaire de cuisine de politique politicienne. Une liste est formée de femmes et d’hommes compétents, qui auront vocation à porter cette nouvelle ambition française. Il va falloir qu’ils soient des combattants de l’Europe. Il va falloir qu’ils changent les choses, par exemple sur la concurrence, par exemple sur la protection de nos intérêts. 

Il y a de la cuisine électorale derrière.

Non, ça fait 30 ans que c’est comme ça, arrêtons tout ça.

Vous n’allez pas me dire que François Bayrou n’a pas appelé le président de la République pour lui dire de prendre tant de gens.

Nous aurons une liste composée de 79 femmes et hommes de différentes sensibilités. Il faut qu’elle ressemble le plus possible à notre pays, à la France.

Il faut que ce soit une femme qui la dirige ?

Il y a des femmes formidables, dont on parle en ce moment, donc on verra bien. J’ai fait la campagne de Simone Veil, donc je serais très heureuse que ce soit une femme qui soit tête de liste. 

Qui n’a pas eu un très grand succès malheureusement.

Vous rigolez ? En 79, on a fait près de 30 %. Simone Veil a été élue présidente du Parlement européen, le premier Parlement européen élu au suffrage universel. Ça a été très brillant avec Simone Veil.

Donc une femme, plutôt, de la société civile ?

Pourquoi pas. Mais ce que je suis en train de vous expliquer, c’est que c’est un moment, grosso modo, c’est presque une question de vie ou de mort pour l’Union européenne. Soit l’UE va continuer de se déliter, comme on le voit avec le Brexit, soit l’Europe va se ressaisir, prendre un élan nouveau, se refonder, c’est la renaissance à laquelle appelle le président de la République française. C’est vital, c’est historique.

Donc ça se joue entre progressistes et nationalistes ? Alors que le président de la République n’a pas employé ces mots d’ailleurs.

Non, je n’utilise pas ces mots-là. Moi je crois que c’est une question de souveraineté. On doit retrouver une souveraineté, on doit exprimer la volonté de nos concitoyens. Une souveraineté de la France, une souveraineté de l’Europe. Et moi je crois une chose profondément : c’est qu’il faut que les peuples se réconcilient avec l’idéal européen, avec l’idée européenne. Et qu’on y arrivera si l’Europe s’occupe enfin des attentes de nos concitoyens. Et c’est ça qui est intéressant dans cette tribune du président de la République.

Une Europe moins bureaucratique, moins technocratique.

Et plus politique, on doit défendre nos valeurs, défendre notre modèle de société, défendre notre civilisation.

Tout ça, en pleine tempête sociale. C’est intéressant d’ailleurs parce que le président de la République parle de l’Europe, il dit qu’il faut absolument que ceux qui sont pour une souveraineté européenne gagnent.

Il faut que la France gagne, en Europe. C’est ça la question du 26 mai.

Il faudrait que le président de la République, et la liste à laquelle vous allez participer, pas vous en tant que Marielle de Sarnez mais le Modem, il faudrait d’abord qu’elle gagne en France. Ce n’est pas donné, en pleine crise des gilets jaunes.

Mais dans chaque campagne, rien n’est jamais joué d’avance. Je vous dis simplement que l’enjeu est historique, et qu’il faut le rassemblement le plus large possible, et le projet le plus fort possible.

Vous êtes contente que M. Raffarin, ancien Premier ministre, ait rallié la majorité ?

Oui, parce que c’est un homme d’État, Jean-Pierre Raffarin. Et il voit très bien le point où nous en sommes, de l’Europe. Il connaît le monde tel qu’il va, et il voit qu’on a besoin d’une Europe forte. 

Comment on sort de la crise des gilets jaunes ?

Moi je pense qu’il y aura un avant et un après grand débat. Ce qu’on fait en France, c’est absolument inédit pour une démocratie. J’y ai participé personnellement, j’ai fait et participé à des débats. J’en aurai encore un dans le 14e arrondissement. Je l’ai fait en Bretagne, je l’ai fait partout où j’ai été invitée à participer. Je trouve que c’est un moment où le peuple s’empare de sa propre vision, et de ses problèmes. Je pense que c’est un moment très intéressant dans une démocratie. On donne souvent la parole au peuple pendant les temps de campagne électorale.

Comment on clôt tout ça, comment on en sort ?

On en sort d’abord en entendant et en écoutant. Pour moi il y a trois étapes : un, entendre. Le président le fait, il a entendu. Deux, montrer qu’on a compris les attentes profondes de ce pays, donc diagnostic partagé, compréhension des attentes profondes, et ensuite moi je crois qu’il y aura plusieurs réponses, d’abord la réponse globale c’est une sorte de nouveau contrat qu’il faut passer avec le pays. Il y aura un avant et un après grand débat. 

Plus d’impôts ?

J’ai dit un nouveau contrat avec le pays, pourquoi dites-vous plus d’impôts ? Le Premier ministre a dit hier que nous étions à un stade où il ne fallait pas augmenter les impôts, et je pense qu’il a absolument raison, et que c’est exactement ce que les Français pensent.

Il y a des demandes.

Il y a des demandes, il y a des demandes contradictoires, et c’est le rôle des dirigeants d’essayer de dépasser tout cela, et de donner un horizon. Il y aura des réponses de court terme, et il y aura aussi, à mon sens, des réponses et des chantiers de long terme qui devront être ouverts. Par exemple la question de la justice fiscale : ça peut être un chantier de long terme. Est-ce qu’on a aujourd’hui une justice fiscale lisible, compréhensible, progressive ? Ce n’est pas forcément le sentiment des Français. Ça peut être une grande question pour les chantiers de long terme. Il y a une question qui me tient beaucoup à cœur, c’est la question de notre État. Nous sommes au fond, la France, le seul État en Europe à être hyper-centralisé. Tout remonte à Paris. Tout se décide à Paris.

Il faut décentraliser davantage ?

Il faut faire confiance au terrain. C’est vital. Il faut plus de créativité, d’innovation, de souplesse.

C’est une façon pour l’État aussi de se débarrasser de ce qui est gênant.

Non, parce qu’il faut que l’État assume ses tâches. Et en particulier ses tâches régaliennes. Elles sont absolument vitales. Les tâches régaliennes, ce n’est pas seulement la Défense, la sécurité. C’est aussi la cohésion sociale du pays. C’est ça qu’il va falloir clarifier. Mais moi je suis persuadée qu’un État trop centralisé, ça n’est pas bon pour les initiatives des individus.

Ce n’est plus d’époque.

Oui, absolument.

Est-ce qu’il faut un remaniement ? Est-ce qu’il faut une dissolution ? Est-ce qu’il faut un grand référendum ?

On peut imaginer qu’il y ait à un moment une consultation et un référendum, mais ce qui m’intéresse le plus, au fond, c’est : quels sont les chantiers qui vont être ouverts ? Quelles sont les réponses qui vont être proposées par le président de la République ? Et quel nouveau contrat on va écrire avec le pays ?

Vous pensez que la fièvre qui s’est emparée du pays, on vit un peu sur un volcan, on le voit tous les samedis… vous pensez qu’elle va retomber, cette fièvre ?

Je pense qu’il faut que les violences s’arrêtent. Et le plus vite elles s’arrêteront, le mieux ce sera. Est-ce que cette envie de participer de quelque chose et à quelque chose va cesser ? J’espère que non, parce qu’il y a du bon dans le grand débat, il y a du bon dans toutes ces réunions, il y a du bon dans l’expression des Français. Il va falloir repenser une démocratie. Une démocratie qui soit plus ouverte. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas renforcer la démocratie de ce qu’on connaît, c’est-à-dire le parlement, son pouvoir d’évaluation, de contrôle, un parlement plus représentatif… mais il faut dans le même temps, avoir au fond une écoute plus ouverte aux opinions publiques.

 

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