"Le moteur de la France est grippé. Seul le peuple peut le réparer"
Jean Lassalle a fait part de "la résignation" des milliers de citoyens rencontrés lors de ses deux premiers mois de marche, vendredi sur RTL. Il appelle à "chasser la rouille du moteur France".
Jean-Michel Aphatie - Vous avez pris, c'est assez singulier, votre sac à dos, le 10 avril dernier. Depuis cette date, vous parcourez la France à pied, vous allez à la rencontre des Français qui souffrent. Quelles sont les souffrances des Français que vous rencontrez ?
Jean Lassalle - Elles sont considérables, bien plus importantes que ce que j'avais imaginé lorsque j'ai décidé d'engager cette démarche, qui est apolitique au sens partisan du terme mais la plus politique au sens politique en ce qui me concerne.
Vous allez parler avec les gens, qu'est-ce qu'ils vous disent surtout, d'abord ?
D'abord ils me disent : "Monsieur le député, on ne sait pas ce que donnera votre initiative, mais au moins une chose : dites franchement ce que l'on vous dit, ne travestissez pas les mots".
Et que vous disent-ils ?
Qu'ils nous détestent. C'est terrible.
Qu'ils détestent les politiques ?
Tous les politiques.
Ils vous détestent ? Le verbe n'est pas trop fort ?
Non. Je l'ai choisi. Ils nous détestent et ils le disent sans détour.
Pourquoi ?
Parce qu'ils considèrent que nous leur faisons des promesses que nous ne tenons jamais. Ils considèrent qu'il n'y a pas d'avenir, pas de destin partagé des jeunes, des retraités, de ceux qui travaillent, qu'il n'y a plus d'industrie, plus d'agriculture...
C'est un pays désespéré que vous rencontrez ?
Résigné, ce qui est pire à mon sens. Je ne pensais pas trouver autant de résignation. D'un bout à l'autre, je rencontre cent personnes par jour en moyenne, vous avez vu le nombre de jours, vous l'avez cité vous-même. Je suis monté par la Picardie, l'Oise, la côte d'Opale, Dunkerque puis je suis redescendu par Lille, les Ardennes, etc.
Partout, vous rencontrez ces gens résignés ?
Oui et il faut que je dise, puisque nous sommes dans la rubrique "constat", qui est très importante car on ne pourra pas construire si on ne dit pas cela : neuf sur dix me disent "Ça va péter". Je ne l'avais jusqu'à présent pas entendu, je suis pourtant un vieil habitué des campagnes électorales. Je leur réponds : "Vous vous imaginez ce que vous dites ? Vous allez y participer vous ?" Ils me répondent : "Non, pas moi. Mais à Paris, ils vont le faire. Ou à Marseille, ou ailleurs."
On annonce toujours que tout va péter... Mais ce qui est important dans ce que vous dites, c'est que les gens n'ont plus d'espoir ?
Les gens n'ont plus d'espoir et surtout ils n'ont plus aucun sens commun. C'est-à-dire que même le lien social s'est brisé. Si vous avez le malheur de leur parler de peuple - nous sommes quand même un grand peuple - ils me disent : "Mais un peuple de quoi ? Nous sommes des individus éparpillés dans tous les sens, des individualistes forcenés. Que voulez-vous qu'on fasse ensemble ? Vous ajoutez 'souverain' ? Mais souverain de quoi ? Cela fait trente ans que l'on décide sans nous. Et lorsqu'on par hasard on nous fait voter, on fait exactement le contraire un an après."
Vous ne rencontrez pas des gens heureux, optimistes, qui y croient ?
C'est ça le grand paradoxe. Je rencontre toutes les couches sociales, toutes les sensibilités politiques. Je rencontre des gens qui sont bien dans la vie, qui sont aisés. Mais ils partagent tous, c'est étonnant, le même sentiment de frustration. Seul un sur dix trouve que globalement ça va.
Même des gens qui ont du travail, qui ne sont pas dans la misère, partagent ce pessimisme et cette désespérance ?
Oui.
Ce n'est pas gai...
C'est pour ça que je suis venu d'ailleurs. C'est quand même lourd. J'imagine que le président et l'appareil d'État ont tous les moyens pour mesurer cet élément là. Mais quand vous le voyez, quand vous le vivez minute après minute, car les gens s'arrêtent partout où je vais, il y a de quoi se poser des questions.
Mais que faut-il faire alors ?
Mon sentiment, c'est d'abord l'écoute, l'humilité, le temps, pour laisser se déverser ce flot ininterrompu si vous le laissez faire, de façon à que ça sorte. C'est comme un moteur grippé : il faut le tomber, chasser la rouille, toute la résignation qui bloque le moteur.
Et ensuite ?
Ensuite, il faut le lustrer, le nettoyer, changer des pistons. On a parlé de boite à outils : il faut le remettre en route. Le moteur France est l'un des plus puissants du monde, avec un peuple exceptionnel, mais qui aujourd'hui ne peut plus rien entendre car il ne fonctionne plus.
Vous allez reprendre votre marche. Jusqu'à quand ?
Je ne me suis pas fixé de date. Car fixer une date, ce serait déjà renoncer. Nous sommes, cher Jean-Michel, du même pays. Nous savons ce que les choses et les mots ont comme sens. Je ne le ferai pas une deuxième fois, mais je ne veux pas regretter un jour d'avoir arrêté trop tôt. J'ai fait un petit tas de terre et j'ai posé un petit caillou blanc dessus. Aujourd'hui, ce que l'on voit autour de nous, ce sont les herbes folles, ravageuses et vénéneuses qui poussent. Et nous savons où elle nous on conduit, dans des périodes qui ressemblaient étrangement à celle que nous vivons aujourd'hui.
Vous êtes trois jours à Paris, vous voulez voir le président de la République ai-je vu ?
Je lui ai demandé, je lui ai fait savoir que j'étais à Paris, ainsi qu'à M. le président de l'Assemblée nationale. Le président de l'Assemblée m'a dit qu'il me recevrait. Nous avons fixé la date. Le président de la République ne me recevra pas, je ne lui ai pas demandé personnellement, mais quelqu'un de l'Élysée me recevra aussi.
Vous porterez le message de ces Français que vous rencontrez et qui souffrent ?
Oui. Et en même temps les cahiers de l'espoir que j'ai lancés.