"L'affaire Tapie pose la question de l'immunité absolue du chef de l'État"
À la veille d'une possible mise en examen de Christine Lagarde dans l'affaire Tapie, François Bayrou a regretté sur RTL que "l'immunité absolue" du chef de l'État interdise toute audition et poursuite à l'encontre de Nicolas Sarkozy.
Laurent Bazin – Vous avez été l’un des premiers il y a cinq ans, sinon le premier, à contester l’arbitrage rendu en faveur de Bernard Tapie dans l’affaire du Lyonnais. C’est un chèque de 403 millions d’euros pour être précis. Christine Lagarde était alors ministre de l’économie et on sait qu’elle en répond devant la Cour de Justice de la République. Vous l’accusez d’avoir été malhonnête ?
François Bayrou – Je ne crois pas que Mme Lagarde, personnellement, ait une réputation comme celle-là. Mais il y a eu, au cœur de l’Etat, au cœur du gouvernement et de l’ensemble de l’Etat en France, l’organisation d’une manœuvre, d’une série de décisions qui ont spolié le contribuable français au profit de personnes privées. Alors, Bernard Tapie dit ce matin qu’il n’est pas responsable, que ce n’est pas lui et que, d’une certaine manière, il n’a rien à voir avec la mise en cause de Christine Lagarde. Aussi surprenant que cela paraisse, bien sûr qu’il a raison. Ce n’est pas Bernard Tapie qui a signé les décisions, ce n’est pas Bernard Tapie qui a, au nom de l’Etat, choisi cette procédure absolument exorbitante du droit. Cela a été fait par ceux qui, au gouvernement et parmi les responsables de la gouvernance de la France, ont décidé que, puisque la justice n’allait pas dans le sens de ce qu’ils souhaitaient, alors il fallait choisir un arbitrage, entre guillemets "privé".
Cela veut dire que Nicolas Sarkozy devrait également être entendu par la Cour de Justice de la République ?
Nous sommes devant un de ces éléments qui donnent beaucoup à réfléchir sur nos institutions. Même s’il était prouvé que la décision avait été prise au plus haut sommet de l’Etat comme il est probable, et il est même inimaginable qu’il en soit autrement, le Président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy, ne pourrait pas être ni poursuivi, ni mis en cause, ni entendu, parce que l’immunité du Président de la République est absolue. Le Président de la République, même s’il est responsable, même s’il a pris une décision de cet ordre, même s’il a poussé, influencé, inspiré cette série de décisions à propos desquelles la Cour de Justice de la République parle de "faux" et de "détournement d’argent public", ne peut pas être mis en cause. Vous voyez bien nous avons des questions à nous poser sur ce sujet. Les exécutants pourraient être mis en cause mais le Président de la République ne peut pas l’être et vous voyez à quel point les institutions sont une interrogation pour tous les citoyens républicains en France.
Si Christine Lagarde est mise en examen tout à l’heure ou demain par la Cour de Justice de la République, devra-t-elle à votre avis démissionner du FMI ?
Cela, c’est le FMI qui le dira parce qu’elle est responsable devant le Conseil du FMI. Mais vous voyez bien qu’il y a deux conséquences. La première c’est l’affaiblissement de l’image du FMI et, plus grave encore pour moi, l’affaiblissement de l’image de la France. Voilà deux directeurs généraux du FMI, tous les deux de notre pays, tous les deux ayant exercé des fonctions de ministre de l’économie et des finances, qui se trouveraient mis en cause. Les sujets de cette mise en cause cette fois-ci, c’est à dire faux, complicité de faux si c’est prouvé et complicité de détournement d’argent public, rien que leur énoncé est naturellement une fragilisation très grande pour un directeur général du FMI, français de surcroît.
Donc vous lui conseilleriez de le faire si elle était mise en examen ?
Non, je ne veux pas me laisser entrainer sur cette piste. Je sujet que j’ai choisi de traiter depuis des années au travers de cette affaire, c’est l’organisation de l’Etat qui doit être le défenseur de l’honnêteté et du civisme. L’Etat est fait pour défendre les contribuables, les honnêtes gens. Ceux à qui l’on ne fait pas la moindre facilité pour payer 100€, ceux qu’on poursuit quand ils sont artisans et qu’on oblige à vendre leur maison, alors que par ailleurs des centaines de millions d’euros sont distribuées comme ça sur une signature.
François Bayrou vous imaginez, si demain cette procédure était frappée de nullité, parce que Bercy, le ministre de l’économie, dit qu’il va engager une procédure en nullité…
Et il a raison ! Il est nécessaire que cela soit fait.
Vous imaginez Bernard Tapie rendre cet argent, 403 millions d’euros ?
Ça, je le croirai quand je le verrai.
Donc vous ne l’imaginez pas une seconde.
Bien entendu, vous voyez bien que l’on s’est engagé en faisant cela dans une décision et dans une spoliation qui est à peu près sans retour. Mais, au nom des principes qui sont ceux que nous défendons, alors il faut premièrement que l’Etat se porte partie civile, ce qu’il a annoncé hier qu’il ferait. Et, deuxièmement, qu’il attaque cette sentence pour qu’elle soit reconnue comme ce qu’elle est, c’est-à-dire frappée de nullité.