"Il faut une politique qui redonne au pays l’énergie qu’il n’a plus"

Dans une grande interview à Sud Ouest, François Bayrou estime que la politique économique repose trop sur l’impôt, alors qu'elle devrait se concentrer sur la création d'activité.
Comment qualifieriez-vous le climat actuel en France ?
Le climat politique est désastreux. Le gouvernement est d’une fragilité telle que les Français la ressentent, parce qu’il y a contradiction entre ce qu’il faut faire pour le pays et ce qui a été promis pendant la campagne présidentielle, contradiction aussi entre la politique à suivre et la vision traditionnelle du Parti socialiste. Quant à l’opposition, elle n’a visiblement pas de solution à proposer et la guerre bat son plein entre ses dirigeants. Et les scandales à répétition, des deux côtés, déstabilisent les deux partis dominants.
Les deux partis dominants… ?
L’affaire Cahuzac a été une catastrophe pour la gauche comme menacent de l’être pour la droite les affaires Tapie-Lagarde et Kadhafi. Ces soupçons de détournements et de corruption sont insupportables. C’est le premier droit des citoyens d’avoir des dirigeants intègres. On sait bien qu’ils ne peuvent pas tout. Mais, au moins, on doit être assuré de leur honnêteté ! C’est aux juges de lever, vite, ces soupçons.
Et l’issue politique de tout cela ?
Les extrêmes peuvent faire des scores, mais ils nous amèneraient, si l’on appliquait leurs propositions, au chaos absolu et nous le paierions de larmes amères. Donc, un jour, le pays cherchera des reconstructeurs, des responsables qui assurent.
Concrètement ?
Concrètement, il y a deux urgences : il faut une politique qui redonne au pays l’énergie qu’il n’a plus, de manière à ce que l’on puisse produire de nouveau des richesses et des emplois. Pour cela, il faut soutenir les chefs d’entreprise, les créateurs, les innovateurs. Deuxièmement, il faut reconstruire notre système politique qui est aujourd’hui totalement décrédibilisé. Un gouvernement ridiculement pléthorique, huit fois plus de parlementaires par habitant que les États-Unis ! Nous avons un État devenu autobloquant, des dépenses publiques 20 % supérieures à celles de nos voisins, des collectivités locales qui forment un labyrinthe auquel on n’ose pas toucher… Comme le monde parlementaire ne votera pas lui-même ces réformes, il faudra que le peuple, un jour, l’impose par référendum.
Faudrait-il ajouter aux questions soumises à référendum la transparence du patrimoine des parlementaires ?
Franchement, connaître le détail du patrimoine des uns ou des autres, pourvu que je sois assuré qu’ils ne trichent pas, cela me laisse indifférent.
Qu’est-ce qui ne va pas chez François Hollande ? Il ne sait pas où il va ?
Je pense qu’il sait où il voudrait aller, notamment en matière économique. Mais sa campagne, son parti, sa majorité ne partagent pas, au fond, ses orientations. La seule question que je me pose donc à propos de François Hollande, c’est : osera-t-il bousculer ces blocages ? S’il pense qu’être président de la République, c’est un peu comme être premier secrétaire du PS, mieux vaut plier les gaules. Les temps que nous vivons ne sont pas des temps politiciens, ce sont des temps historiques. Des temps pour affronter, pas pour ruser.
Donc, il n’y a pas de majorité possible ?
Il y a une majorité potentielle pour mener cette politique réformiste indispensable. Et pas seulement au centre : des hommes comme Alain Juppé, François Fillon, ou Gérard Collomb au PS, partagent bien des idées. Simplement, les règles électorales empêchent cette majorité d’émerger. Mais j’ai vu que certains à l’UMP en viennent à parler d’union nationale.
C’est à cette condition que vous entreriez au gouvernement ?
Un gouvernement pour quelle politique ? Je me bats depuis quinze ans contre l’endettement, contre l’effondrement du produire en France, les abus de pouvoir qui débouchent sur des scandales, contre les illusions que chaque campagne électorale distille, et contre la division du pays. Je ne renoncerai à aucun de ces combats pour un poste.
Est-ce que vous regrettez d’avoir voté Hollande il y a un an ?
C’était un choix très difficile et même douloureux. Se fâcher avec ses amis au nom de ses valeurs, cela ne se fait pas sans raison grave. Aujourd’hui, la vérité commence à apparaître. Les mœurs que recouvrent les affaires Takieddine, Lagarde-Tapie, Kadhafi, tout cela est terrifiant… Et le climat de violente division qu’on introduisait entre Français… On se demandera bientôt comment les responsables de la droite républicaine ont pu accepter tout cela sans rien dire.
Le mariage pour tous est un point de clivage important avec Hollande…
Les tensions ne baissent pas, hélas. La stratégie qui a été choisie autour de l’affaire du mariage renforce les affrontements. Chaque fois que l’on veut passer en force, on prend un risque. Je maintiens que dans une société en crise, c’est dangereux.
Autre grave divergence : la politique économique, qui manque de clarté et repose trop sur l’impôt. Le gouvernement n’en a pas fini avec la réorientation que la réalité lui impose. Mais il y a des points positifs : on laisse la justice travailler, l’affaire des otages au Nigeria a été bien gérée, l’intervention au Mali aussi.
Le Parti socialiste vous paraît-il être en phase avec ce réel ?
En tant que parti, il en est bien loin ! Le PS, le week-end dernier, n’a pas craint d’affirmer que l’Europe et l’Allemagne étaient la cause de nos problèmes ! C’est un mensonge d’État ! Les problèmes de la France viennent de la France et pas de l’Europe. Si on ne le voit pas, on détourne le pays de la volonté nécessaire pour reconstruire.
Donc, le gouvernement a tort de reporter ses objectifs de réduction des déficits…
Je n’ai jamais cru aux objectifs précédents, et je ne crois pas davantage à ceux-ci. La question primordiale est de savoir comment produire à nouveau en France. Songez que nous avons un déficit du commerce extérieur qui court vers 80 milliards annuels ! Face à cela, le choc de compétitivité, c’est du bla-bla. En revanche, j’approuve le choc de simplification.
Les explications de Jérôme Cahuzac vous ont-elles convaincu ?
Cela ressemblait furieusement à celles de Dominique Strauss-Kahn et, après une faute bouleversante, ça manquait donc un peu de cette spontanéité qui emporte l’adhésion.