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"Il faut une démarche politique nouvelle rassemblant les volontés, un nouveau président et une majorité nouvelle"

François_Bayrou-FB

François Bayrou a répondu aux questions de Jacques Attali dans l'Express, mardi 10 janvier.

Jacques Attali - Où trouver, en trois ans au plus, les 90 milliards nécessaires pour maîtriser la dette publique et retrouver une autonomie de décision ?

François Bayrou - Entre le 1er juillet 2012 et la fin 2015, il faut que la France retrouve l'équilibre de ses comptes publics. Nous avons donc quarante mois pour réaliser cet objectif, et en même temps pour entraîner la renaissance du "produire en France". Aujourd'hui, les recettes publiques vont approcher les 1000 milliards, dont 920 en prélèvements obligatoires. La dépense publique approche 1 100 milliards. Il faut donc trouver 100 milliards pour revenir à l'équilibre, pour autant que les taux d'intérêt n'explosent pas... Je propose deux principes :

- Partage de l'effort, de l'ordre de moitié en dépenses et moitié en recettes. Pour l'essentiel, les économies en dépenses demandent des réformes d'organisation de l'État. Les montants à en attendre seront donc plus tardifs que les montants provenant des recettes. La répartition entre nouvelles recettes et économies de dépenses sera donc forcément progressive.

- Répartition de l'effort sur les trois années et demi : 10 milliards en 2012, 30 milliards chacune des trois années suivantes.

Il y aura un train d'économies immédiates, exemplaires et symboliques, dans le train de vie de l'État, par exemple rémunération du président et des ministres, train de vie de l'Élysée et du gouvernement. Ces économies ne sont pas à mesurer seulement par leurs montants, mais en exemplarité : elles montreront le choix d'un État et d'une puissance publique plus sobre et plus économe des fonds publics, qui sont ceux des citoyens.

Les recettes nouvelles proviendront d'abord d'efforts demandés aux plus favorisés (tranche marginale actuelle portée de 41 % à 45 %, et tranche supplémentaire pour les revenus super-élevés à 50 %). La TVA est l'impôt sur lequel l'effort le plus modéré est le plus productif. Les niches fiscales devront être soit plafonnées, soit "rabotées", soit pour un certain nombre d'entre elles supprimées (défiscalisation des heures supplémentaires).

Les économies proviendront de réorganisations profondes au sein de la société (équilibre à long terme des régimes sociaux), de l'État, de programmes superflus supprimés, d'un pacte de modération conclu avec les collectivités locales, d'un nouvel accord national pour le redressement du pays négocié avec les partenaires sociaux, portant par exemple sur l'organisation et le temps de travail. Pour favoriser le "produire en France", la question des charges concentrées sur le travail devra être posée.

JA - Faudra-t-il, et dans quelles circonstances, former un jour un gouvernement d'union nationale ?

FB - L'unité nationale (je préfère ce mot) est une obligation. Il est impossible d'obtenir les changements que la situation du pays impose dans le climat de guérilla perpétuelle et ridicule qui oppose, du parlement jusqu'à la plus petite commune, les deux partis qui se partagent le pouvoir depuis trois décennies et sont coresponsables de notre déclin.

Il faut donc une démarche politique nouvelle, qui rassemble les volontés, un nouveau président et une majorité nouvelle, centrale et ouverte, au service exclusif du redressement de la France. Ce choix ne peut être imposé que par la volonté des électeurs au moment de l'élection présidentielle.

J'ajoute que ce changement devra être plus large que le seul changement de notre vie politique : les relations sociales au sein de l'entreprise, par exemple, doivent évoluer elles aussi pour que la France s'en sorte. Ce sera une des conséquences du choix des Français au mois de mai.

L'"union sacrée" aurait du sens à condition de reposer sur une ligne stratégique claire, qui préserve les intérêts supérieurs du pays. Mais avec qui ?

JA - Faut-il mettre en chantier une nouvelle génération de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins pour remplacer les actuels, bientôt obsolètes, ou renoncer à cette composante de la dissuasion nucléaire ?

FB - Le président de la République est chef des armées. Tant que l'action internationale de renoncement aux armes nucléaires (que je soutiendrai) n'a pas abouti, il est de sa responsabilité de garantir notre sécurité. Ma conviction, aujourd'hui, est que la composante sous-marine est complémentaire de la composante aérienne et, d'une certaine manière, en assure aussi la sécurité. Je ne crois pas que les sous-marins soient tous obsolètes (les plus récents ont 8 ans !). En tout état de cause, ma responsabilité sera d'assurer que tant qu'il y aura des menaces, la France ne baissera pas la garde et que sa dissuasion restera crédible.

JA - Que faut-il nationaliser ou privatiser ?

FB - "Nationaliser" ne me paraît guère de saison, l'État n'en a plus les moyens. Peut-être y serons-nous contraints, à notre corps défendant, en cas de catastrophe (par exemple dans certains secteurs du système bancaire)... En vérité, il aurait fallu y réfléchir à deux fois avant de prendre des décisions de privatisation aventurées, par exemple lors de la privatisation de Dexia, ou des autoroutes. Mais "nationaliser" ne peut être qu'un dernier recours. En revanche, il nous faudra de nouveaux outils pour l'action publique, par exemple pour aider à la reconquête du "produire en France".

JA - Faut-il, et comment, tenter de contenir ou de favoriser l'augmentation de la population du pays ?

FB - Nos enfants sont notre force, peut-être la plus considérable. Il faudra animer la vie du pays, son activité, assurer les retraites des générations nombreuses, et le rayonnement de la France. Notre politique familiale doit être soutenue et elle est exemplaire dans le monde. Je la défendrai et l'améliorerai.

JA - Faut-il faire financer, au moins en partie, leurs études universitaires par les étudiants ?

FB - Le modèle républicain français, à la différence des pays qui nous entourent, est que l'essentiel de la formation scolaire et universitaire est assuré à partir de l'impôt. C'est une des raisons principales qui explique notre taux de dépenses publiques plus important que nos voisins. Et ce n'est pas de l'argent jeté ! La France doit l'assumer : c'est un investissement pour l'avenir.

Ne pas croire que cela ne coûte rien aux familles ! Lorsque vos enfants font leurs études dans d'autres régions, il faut assurer le logement, la vie quotidienne, les fournitures, les livres, etc. C'est souvent très lourd. Dans le cadre de cet effort, pour aider les étudiants à financer leurs études, je proposerai une mesure nécessaire pour l'école et utile pour eux, de participation active au soutien scolaire (aide aux devoirs, présence auprès des élèves, etc.), moyennant indemnisation.

JA - Faut-il interdire l'usage et le commerce de substances légales addictives et mortelles (tabac, alcool, produits sucrés) ou autoriser celles que la loi prohibe (haschich, cocaïne, etc.) ?

FB - Je ne mets pas sur le même plan "produits sucrés" et cocaïne, par exemple. Pour moi, les addictions, notamment aux produits psychotropes qui altèrent la perception de la réalité, doivent être traitées d'abord sous l'angle de la santé publique. Une politique publique de prévention, d'éducation, de soins serait plus efficace que toute autre pour combattre les fléaux sociaux que sont ces diverses formes de dépendance. Il faut évidemment lutter sans faiblesse contre les trafiquants qui mettent en exploitation ces dépendances.

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