"Il faut que la solidarité européenne s'organise"

Marielle de Sarnez était ce matin l'invitée de la matinale de Sud Radio pour témoigner de son expérience passée à la rencontre des réfugiés entre Athènes et Budapest.
Pour écouter le podcast de l'interview, suivez ce lien.
Marielle de Sarnez, bonjour.
Bonjour.
Merci d’être avec nous ce matin sur Sud Radio. Vous venez de faire la route des migrants d’Athènes à Budapest. Avant de parler de cette expérience – évidemment très importante dans la vie d’un homme, d’une femme, j’ai envie de dire dans la vie d’une femme qui doit prendre des décisions – le rideau de fer, ce grillage qui sépare désormais la Hongrie de la Serbie ce matin pour empêcher les migrants de poursuivre leur route vers l’Allemagne, vous en pensez quoi ?
Je pense que ce n’est pas une réponse, et cela ne les empêchera pas forcément de poursuivre leur route.
Cela ne sert à rien ?
Il y aura des portes d’entrée et, s’ils acceptent de donner leurs empreintes digitales – c’est cela toute la question, celle des flux, des passeurs qui disent « ne donnez pas vos empreintes » – ils auront un permis de séjour d’une quinzaine de jours pendant les…
Mais ils ne sont pas obligés de donner leurs empreintes.
Ils sont obligés de donner leurs empreintes et ensuite ils sont dans des centres ouverts. Après, – c’est ce que j’ai vu –, ils sortent de ces centres pour aller prendre un train vers la frontière autrichienne et puis vers la frontière allemande.
Dites-moi, le message envoyé quand même par la Hongrie, est-il mauvais selon vous ?
Je crois que l’Europe, si vous voulez bien que l’on regarde les choses d’une manière plus large, vit une crise probablement sans précédent mais que cette crise est surmontable. Simplement, ce que j’ai vu sur le terrain et ce que je vois depuis des mois et des mois, c’est, au fond, une incapacité d’anticipation des chefs d’État et de gouvernement.
Oui, on subit, c’est ce que vous voulez dire.
Oui, exactement. On ne prépare pas, on n’anticipe pas alors que nous savons tous – vous saviez, moi je savais – et on le disait depuis des mois et des mois, presque une année, que bien évidemment l’Europe allait vivre cette crise. On est à proximité des terrains de conflits - comme la Syrie, l’Irak -, de déstabilisation complète ; nous sommes à quelques heures d’avion de ces terrains-là. Donc il était évident que ce flux de migrants ou de demandeurs d’asile, de réfugiés, allait augmenter. Je regrette que, de ce point de vue là, il n’y ait eu aucune – quasiment aucune – anticipation.
Marielle de Sarnez, la Pologne qui bloque, la Slovaquie qui bloque, l’Allemagne qui réinstalle des contrôles à sa frontière avec l’Autriche – provisoirement -, est-ce que Schengen est en train de voler en éclats ? Pour dire les mots et les choses concrètement.
Il faut que les frontières extérieures de l’Union européenne soient encadrées, surveillées.
Mais là on ne parle pas des frontières extérieures.
Je vous réponds : Schengen c’est bien, le principe de libre circulation c’est bien, c’est un acquis.
Il faut le conserver.
Il faut le conserver, mais, moi, je vous dis qu’il faut organiser les choses. Bien sûr que l’Europe a un devoir de protection vis-à-vis des réfugiés politiques, vis-à-vis de ceux qui fuient leur pays, la guerre. C’est même dans les conventions internationales, nous y sommes obligés ! Mais cela s’organise, et la meilleure façon de l’organiser c’est d’abord de contrôler aux frontières extérieures de l’Union européenne, et la première des frontières extérieures, c’est la Grèce. Il faut que cela s’organise en Grèce, avec le concours de l’Union européenne parce que les Grecs n’ont pas les moyens de le faire, ils n’ont pas les ressources humaines de le faire. Mais il faut qu’aux frontières extérieures de l’Union européenne, on enregistre tous ceux qui veulent venir dans l’Union européenne, que l’on ait un entretien avec chacun d’entre eux, photographies, empreintes digitales, et que l’on arrive à voir ceux qui peuvent réellement prétendre à être réfugiés politiques. Ils sont une immense majorité, je les ai vus sur le terrain, j’ai vu des centaines et des centaines de Syriens qui fuyaient la Syrie parce qu’il n’y a aucune perspective. Ils ont attendu et voient que rien ne s’arrangera. Donc il faut évidemment que les choses s’organisent. La Commission européenne emploie un mot – hotspot – que je trouve absolument ridicule, qui ne veut rien dire. Enregistrons tous ceux qui arrivent dans l’Union européenne sur la première frontière de l’Union européenne.
Mais comment fait-on, Marielle de Sarnez ? Il va falloir m’expliquer un truc, comment fait-on pour faire le tri – pardon ce n’est pas un terme que j’apprécie particulièrement à titre personnel – entre des réfugiés politiques et des migrants économiques. Toi : oui , toi : non ?
Si c’était simple, on ne serait pas en train de parler vous et moi. C’est la crise probablement la plus importante que l’Europe connaît depuis des années et des années, y compris pour tous ceux qui veulent venir en Europe. Pour tous ces réfugiés, nous sommes dans un monde complètement déstabilisé. Donc il n’y a pas de réponse simple, il n’y a pas de réponse simpliste, c’est absolument évident. Est-ce que c’est facile ? Non. Ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas mieux organiser les choses, on peut imaginer, par exemple, qu’au niveau international, on donne cette liste dont l’Union européenne a parlé, de pays sûrs et de pays qui ne le sont pas. A l’évidence, la Syrie n’est pas un pays sûr : il n’y a pas besoin de je ne sais combien d’études pour le dire.
Donc toutes les personnes qui viennent de Syrie sont considérées comme des réfugiés politiques. C’est cela que vous dites ce matin ?
A priori, les Syriens qui fuient la guerre chez eux, qui fuient Daech aussi bien que le régime, oui, ce sont des gens qu’il faut protéger. Cela me semble absolument évident.
Et vous êtes sûre que dans cette masse, il n’y a pas dans l’un ou l’autre un terroriste en puissance ?
Mais c’est pour cela que je vous dis que, de toute façon, il faut des contrôles à ces frontières extérieures de l’Union européenne, il faut des entretiens avec chacun et chacune de ceux qui veulent venir dans l’Union européenne.
Mais les gens peuvent bien raconter n’importe quoi, Marielle de Sarnez.
Attendez, on va dire les choses. Pour l’instant, cela ne se passe pas, il n’y a pas d’entretien, pas d’enregistrement. Au fond, il y a un flux ininterrompu de femmes et d’hommes qui arrivent. Je pense qu’il faut encadrer, organiser. Si vous parlez avec les polices des frontières, avec les gens qui s’occupent de sécurité intérieure, au fond, ce qu’ils vous disent, c’est que ce n’est pas forcément dans toutes ces femmes et ces hommes qui rentrent que l’on va trouver des terroristes et des djihadistes. Donc il ne faut pas schématiser ni caricaturer les choses. Ceux qui viennent fuient un pays en guerre. J'ai vu sur le terrain beaucoup de Syriens, très nombreux, beaucoup d’Irakiens, très nombreux – l’Irak est aussi un pays dans lequel il n’y a plus d’Etat et dans lequel aujourd’hui il est très difficile de vivre et de survivre – et j’ai vu aussi des Afghans, car cela fait des années qu’il y a tous ces Afghans qui essaient de rejoindre l’Europe. Oui ce n’est pas simple, mais en même temps nous sommes obligés d’organiser tout cela. Il y a un devoir de protection et ce devoir de protection, l’Europe se doit de l’organiser.
Voilà, donc l’Europe doit s’occuper de toutes ces personnes et à côté de cela, je suis désolé de vous le dire, mais il y a d’autres pays qui pourraient aussi en accueillir, qui n’en accueillent pas forcément, qui sont le Qatar, l’Arabie Saoudite, les États-Unis. Ils en accueillent quelques milliers mais pas trop, surtout pas trop.
C’est ce que j’allais vous dire. Vous savez que, simplement, si l’on parle de la Syrie, il y a quatre millions de réfugiés syriens dans 3 pays : le Liban, la Jordanie, la Turquie. Je vous le dis, le Liban est un pays qui va être dans des difficultés majeures : absence de gouvernement, très nombreux réfugiés, d’abord les réfugiés palestiniens maintenant les réfugiés syriens, ce n’est pas facile. Et il faut les aider. Quatre millions ! Les chiffres, au mois de juillet, étaient : 130 000 Syriens dans l’Union européenne et moins de 10 000 aux États-Unis, c’est sûr que ce n’est pas sérieux, pas raisonnable, et c’est sûr qu’il faut que l’ensemble de la communauté internationale se mobilise. L’Union européenne avec une solidarité, j’espère que l’on va y arriver si les choses s’organisent avec les pays membres ! Mais pas seulement l’Union européenne, vous avez tout à fait raison. Les Syriens que j’ai vus il y a deux ans dans les camps en Jordanie, le pays vers lequel ils regardaient à cette époque-là était les États-Unis, parce qu’ils avaient de la famille là-bas ; donc il faut une solidarité internationale et pas seulement européenne.
Que l’on n’a pas.
D’autant plus que les Américains ont une grande part de responsabilité dans ce qu’il s’est passé en Irak.
Marielle de Sarnez, solidarité que l’on n’a pas non plus au sein de l’Union européenne. Je vous rappelle qu’hier la réunion des ministres de l’Intérieur de l’Union européenne s’est soldée par un échec sur la répartition des migrants et que les pays qui sont à l’Est de l’Europe n’en veulent pas.
Et bien je le regrette. Les pays à l’Est de l’Europe doivent quand même se souvenir que les Européens de l’Ouest leur ont tendu la main, qu’ils sont rentrés dans l’Europe alors qu’ils n’y étaient pas forcément prêts, que nous les avons aidés de façon considérable – les fonds structurels, les aides financières –, considérable, depuis des années et des années et que, eux-mêmes, doivent maintenant exercer cette solidarité.
Marielle de Sarnez, débat sans vote à l’Assemblée nationale, cet après-midi sur une intervention militaire de la France en Syrie. Tout d’abord, débat sans vote, cela ne sert à rien.
Oui, c’est le problème du dysfonctionnement de la démocratie française.
Il n’y a rien.
Voilà, les débats ne sont pas suivis de vote, je le regrette. Vous savez bien qu’avec François Bayrou nous considérons que nos institutions sont à repenser et là c’est typiquement un exemple. Effectivement, ce sont des débats de façade. On n’est pas là pour prendre des décisions.
Débat de façade, c’est ça.
Mais on n’échappera pas à avoir une action de la communauté internationale, des pays de la région…
Là on parle de la France.
Mais je ne vous parle pas que de la France. On n’échappera pas à avoir une action plus déterminée. Je veux dire : si les Syriens s’en vont, c’est parce que, aussi, ils ont attendu et qu’ils se rendent compte qu’il n’y a aucune perspective, qu’il n’y a même pas le début d’une action politique, militaire, diplomatique concertée au niveau international, au niveau européen, qu’il n’y a pas de politique régionale avec, on va dire, la Turquie, l’Iran, l’Arabie Saoudite, des pays mobilisés autour d’une table pour essayer de voir quelle est l’issue politique en même temps que la question militaire.
Mais c’est quoi l’issue politique, Marielle de Sarnez ? Est-ce que l’issue politique n’est pas, à un moment, de s’allier quelque part avec – je ne sais pas si l’on peut dire le moins pire – Bachar el-Assad pour vaincre Daech, et puis après on s’occupera de Bachar el-Assad ?
D’abord il faut hiérarchiser les choses et pour moi, je mets Daech sur la première ligne de ceux contre lesquels il faut lutter. Mais il faut que vous sachiez que les Syriens qui partent, partent aussi en raison du régime d’Assad.
C’est bien pour cela que je vous pose la question de cette manière.
Ils ne partent pas seulement à cause de Daech. Donc il faut une réponse, mettre autour de la table les puissances, les États de cette région. La Turquie a un rôle extrêmement important.
Mais enfin, la Turquie joue un double, un triple-jeu, un coup avec nous, un coup avec les terroristes.
Vous savez que l’on donne de l’argent à la Turquie. Vous savez que la Turquie bénéficie d’une union douanière avec l’Union européenne, donc on a des moyens de parler avec.
Et bien faisons pression alors.
C’est exactement ce que je suis en train de vous expliquer. Deuxièmement : mettons autour de la table la Russie. On ne peut pas trouver de solutions en Syrie si l’on ne met pas autour de la table la Turquie, la Russie, l’Iran, et puis l’Arabie Saoudite. Là aussi, avec l’Arabie Saoudite, que les gens jouent un jeu clair et que les puissances internationales fassent pression sur ces pays-là pour trouver une issue politique. Parlons avec la Turquie aussi sur la question des Kurdes, ils sont en première ligne contre Daech et on a le sentiment aujourd’hui que la Turquie est plus soucieuse de poser des problèmes aux Kurdes que de les aider. Tout ceci ne va pas, tout ceci ne fonctionne pas et donc moi, je demande une volonté déterminée de la communauté internationale et de l’Europe pour essayer de trouver et mettre un terme à ce conflit.
Merci beaucoup Marielle de Sarnez d’avoir été avec nous ce matin.