Goodyear : "Ce qu'il nous manque, ce sont des outils législatifs efficaces"

Alors que le tribunal de grande instance de Nanterre a mis lundi en délibéré au 20 juin sa décision sur la validité du plan de sauvegarde de l'emploi de Goodyear, Jean-Christophe Loric, conseiller général de la Somme, appelle à "donner toutes ses chances au projet de Scop".
Peut-on encore espérer un repreneur pour l'usine Goodyear d'Amiens-Nord ?
Jean Christophe Loric - La direction de Goodyear a sous-investi dans l'outil industriel depuis longtemps, notamment dans la partie pneu de tourisme alors que la partie "farm" (pneu agraire) est encore en bon état. Les repreneurs ne se sont pas bousculés, et Goodyear verrouille tellement les filières de distribution, que les rares intéressés se sont vite découragés. La seule piste de reprise possible, c'est finalement la reprise par les salariés eux-même au travers d'une Scop, solution que la Direction a je trouve un peu vite balayée.
Qu'en pensent les salariés ? Quel est leur état d'esprit ?
Ils continuent, comme les élus locaux, à plaider pour un maintien de l'outil industriel. Nous aurons, le 20 juin, les résultats de la démarche en justice engagée par le Comité central d'entreprise. Il espère faire annuler le plan social de fermeture, comme ce fut le cas par le passé. De mon côté, je plaide pour que l'on donne toutes ses chances au projet de Société coopérative et participative (Scop). Nous avons des exemples en France, notamment en Normandie, d'usines de même taille redressées grâce à une Scop. À mes yeux, cette idée reste donc la plus adaptée. Mais pour qu'elle devienne viable, la Scop doit pouvoir accéder aux filières de distribution de Goodyear, ce que le fabriquant a toujours refusé.
En quoi cet accès aux filières de distribution est-il essentiel ?
Le pneu est un secteur industriel très verticalisé : les enseignes qui le distribuent ont chacune un partenariat privilégié avec un fabriquant. Il est très difficile pour un nouvel acteur de faire sa place. Or, le débouché commercial conditionne la viabilité de la reprise. Nous souhaitons que la Scop ait de la part de Goodyear la même garantie que celle qu'avait, selon nous, obtenu Titan : bénéficier d'une licence sur la marque, qui permette que le pneu fabriqué à l'usine d'Amiens-Nord continue d'être distribué comme du pneu Goodyear. Nous avons plusieurs exemples, dans le reste du monde, d'usines rachetées par Titan qui fabriquent des pneus marqués Goodyear. Mais, dans le cas présent, Goodyear refuse.
Quelles autres conditions sont nécessaires pour consolider le projet de Scop ?
Il faudrait pouvoir s'entourer de l'expertise de professionnels du secteur, de leur savoir-faire marketing, et d'un partenaire financier solide. Ce devrait être le rôle de la Banque publique d'investissement, dont pour le moment nous ne voyons pas trop à quoi elle sert... L'État et les collectivités doivent apporter leur soutien. Nous attendons toujours l'avis du commissaire à la réindustrialisation sur ce point. Les élus locaux doivent aussi apprendre à agir de façon moins partisane : c'est par le rassemblement le plus large possible que nous rendrons le projet de Scop crédible. C'est un secteur où il est possible d'innover et de prospérer. Michelin a prévu 2 milliards d'investissements dans les années qui viennent, preuve qu'il est possible de produire des pneus en France. Il s'agit même d'un marché d'avenir : 3/4 des ventes correspondent au renouvellement des pneus des véhicules en circulation et on sait que, d'ici vingt ans, le nombre de kilomètres parcourus par les véhicules va doubler.
Le Parlement étudie le projet de loi dit Florange, portant sur la reprise des sites rentables. Pensez-vous qu'il permettra d'éviter à l'avenir des situations comme celle d'Amiens-Nord ?
Malheureusement, non. La loi Florange, promise depuis longtemps, a été profondément amoindrie par rapport aux ambitions de départ. Le texte stipule que les salariés pourront saisir le tribunal de commerce s'ils estiment que leur employeur n'a pas fait les démarches nécessaires pour favoriser une reprise. S'ils obtiennent satisfaction, l'employeur sera condamné à leur verser une indemnité. L'indemnisation c'est important, mais ça ne vaut pas la préservation de l'outil industriel. À Amiens-Nord, la pénalité pour Goodyear s'élèverait à 28 millions d'euros quand l'entreprise prévoit de faire 60 millions d'économie en fermant l'usine. Faites la soustraction et vous verrez à quel point la loi Florange ne sera pas dissuasive. Elle coûtera un peu plus cher aux employeurs, mais ne répondra pas au problème de fond.
Quel est ce problème de fond ?
Rien n'empêche qu'une entreprise laisse pérécliter tout ou partie d'un de ses sites industriels pour mieux délocaliser ensuite son activité. Nous sommes aujourd'hui obligés de nous reposer sur sa volonté de vendre. Pour le reste, nous sommes démunis. Il y a donc urgence à ce qu'une loi, des outils législatifs, permettent aux pouvoirs publics d'agir. Je suis convaincu qu'il y a quelque chose à imaginer autour du droit de préemption, comme il existe un droit de préemption pour les communes qui veulent protéger leurs commerces de proximité.
Pour aller plus loin : le site de Jean-Christophe Loric.