"François Hollande doit assumer sa politique de réforme"
"Pour gouverner bien, il faut clarifier", a estimé Marielle de Sarnez, invitée dimanche du Grand entretien de RCJ. Elle lance un appel au président de la République : "Vous ne mobiliserez les Français qu'en assumant la politique de réforme".
RCJ - Nous allons parler de la semaine politique, et quelle semaine ! Le choc de moralisation, la transparence, la demande de publication du patrimoine des ministres, le mariage gay dont le projet de loi a été avancé, le départ du Grand Rabbin de France. Vous êtes chamboulée, comme tout le monde ?
Marielle de Sarnez - Je considère surtout que maintenant il faut agir. Ce qui m'intéresse, c'est de savoir ce qu'on peut reconstruire, ce qu'on peut faire, ce qu'on peut refonder. Je crois que c'est une crise profonde, économique et sociale, qui se double par une crise morale et politique. Je crois qu'on est au bout d'un système. Jean Monnet disait que "les hommes sont faibles", il faut donc de bonnes institutions. Nos institutions il faut les changer, les réformer. Ce qu'a proposé pour le moment François Hollande ne va pas jusqu'au bout, ne touche pas du tout à l'organisation de la vie politique française. Je trouve cela dommageable. On va parler du patrimoine et de la transparence, qui agitent beaucoup de monde, les politiques et les médias. Ça ne répondra pas en profondeur à la crise du politique d'aujourd'hui.
Hier, dans Le Monde, on a vu le sociologue Pierre Birnbaum s'inquiéter des effets d'une transparence totale. Vous aussi ça vous inquiète ?
Écoutez, je suis pour la transparence, je n'ai pas de problème avec ça. Mais je ne pense pas que le seul fait de rendre public les patrimoines va régler la crise politique française. Le raconter, c'est raconter des blagues ! Je pense qu'il faut aller beaucoup plus loin que ça.
Quel est l'intérêt de raconter des blagues comme ça ?
Ça occupe, ça agite. Tous ces hommes et femmes politiques qui vont au plus vite pour faire la dépêche AFP, pour faire l'info à la télévision et à la radio, en donnant leur patrimoine... Tout ceci n'a pas de sens. Rendons les patrimoines publics, déposons-les à une haute autorité de déontologie de la vie politique française. C'est une très bonne chose. Que les parlementaires et les ministres fassent aussi des déclarations d'intérêts, comme nous le faisons nous au Parlement européen. C'est-à-dire que s'il a un intérêt, par exemple une action dans une entreprise, il le déclare. Quand on vote dans le domaine concerné par l'entreprise, ce parlementaire lève la main et dit qu'il ne prend pas part au vote car il est en conflit d'intérêt potentiel.
Ça ne fait pas un petit peu rêver ça ?
Non, c'est bien. Si on le fait au Parlement européen, on doit pouvoir le faire en France. Ce que je n'aime pas, c'est que les politiques se saisissent de cette affaire de transparence de patrimoine pour faire des coups de communication. Il y a là quelque chose qui me dérange.
C'est peut-être aussi un écran de fumée ?
En tout cas, si François Hollande pense qu'il règle la crise politique en faisant la déclaration de patrimoine, il se trompe. Il faut aller beaucoup plus loin et beaucoup plus en profondeur.
Le président Hollande a parlé de "lutte implacable contre les dérives de l'argent", de "cupidité", de "finance occulte". Est-ce qu'il y a une dérive populiste dans son vocabulaire ?
C'est très facile de cibler la finance et l'argent. Mais c'est toujours la même idée qu'il y a un bouc émissaire qui est responsable de tous nos problèmes. Je ne participe pas du tout de ça. Évidemment qu'il faut réguler la finance, qui vous dirait le contraire ? Droite, gauche et centre, nous devrions tous être d'accord avec ça. Évidemment qu'il faut faire disparaître les paradis fiscaux. Nicolas Sarkozy avait dit : "Les paradis fiscaux, c'est fini." Ce serait bien que, là, ça finisse vraiment. On voit que c'est possible, Obama a pris de bonnes décisions et je demande à l'Europe de faire la même chose. Bien sûr qu'il faut réguler et encadrer. Bien sûr qu'il faut apprendre à nos enfants que la finalité dans la vie ce n'est pas uniquement les questions d'argent, qu'il y a beaucoup mieux que ça, qu'on peut penser beaucoup plus haut.
En même temps, vous devriez être contente puisque la moralisation est au cœur du discours du MoDem. Le Monde disait hier : "est-ce que c'est l'heure de François Bayrou ?"
Je ne suis pas contente de la situation. C'est vrai que François Bayrou a placé cette question de la moralisation de la vie publique au cœur de ses propositions et de son projet présidentiel. Nous l'avons relancée aujourd'hui avec notre site moralisation.fr, un site qui fait confiance aux citoyens pour pousser et porter un appel que, j'espère, le pouvoir et le président de la République entendront. La moralisation, c'est bien sûr la transparence des patrimoines. Mais ça doit être, par exemple, la diminution drastique du nombre de parlementaires et la fin du cumul des mandats, tout de suite et pas après demain. Il faut un choc pour que les gens vous refassent confiance. Ce pays est dans de graves difficultés, les Français qui nous écoutent le savent bien. Nous ne le redresserons pas sans régler cette question de la moralisation de la vie publique. On a besoin urgemment de régler la question de la vie publique française, refaire une vie publique honnête et digne, avec un Parlement qui - comme dans les autres grandes démocraties du monde - est un contre-pouvoir fort, qui représente la diversité des sensibilités françaises, …
Donc avec de la proportionnelle ?
Évidemment. Vous avez deux forces politiques aujourd'hui. On voit ce que ça donne depuis trente ans ! Ce n'est quand même pas formidable, ni sur le plan de la moralisation de la vie publique, ni sur le plan de notre économie, de notre capacité à produire et à créer des emplois !
Ça veut dire que le Front national entrerait, peut-être en grand nombre, à l'Assemblée.
Je combats le Front national, et il y a d'autres courants politiques que je combats, mais j'aime autant les combattre dans un hémicycle. Le centre aussi serait présent. Ce qui obligerait à des débats et des confrontations démocratiques, et donc à un Parlement qui serait utile.
Pour vous, la moralisation, c'est aussi le non-cumul des mandats ?
Oui, le non cumul des mandats, tout de suite. Qu'ils le fassent avant les élections municipales, pour qu'on sache quel candidat est amené à rester Maire.
Les opposants au non-cumul disent qu'être uniquement député, c'est être à Paris et se couper du terrain. On est plus dans sa province, on est détaché de ses électeurs.
Vous pouvez tout à fait continuer à habiter là où vous habitiez, continuer à représenter ceux qui vous ont élu. Imaginer qu'un parlementaire qui ferait son job à temps plein ne serait pas un meilleur parlementaire, j'ai du mal à le croire ! Il serait meilleur, car il serait plus impliqué. Il faut aussi réduire le nombre de parlementaires, passer à 400 députés et 200 sénateurs. Aujourd'hui, nous en avons trop par rapport aux autres grandes démocraties. Je préfère moins de parlementaires, mais avec plus pouvoir, qui exercent un véritable contre-pouvoir. Cela veut dire également la fin des micro-partis. Il y a près de 300 micro-partis : chacun au fond chacun profite de la loi sur le financement public en détournant tout cela à son profit. Tout cela ne va pas. Si on soumettait ce texte de loi de moralisation de la vie publique au Parlement, il y a de bonnes chances pour qu'il le refuse. Dans ce cas, il y a une solution : c'est le référendum.
Et que fait-on de Jérôme Cahuzac ? Il ne va pas retourner à l'Assemblée nationale, mais il n'a pas non plus démissionné. Est-ce que ce qu'il a fait relève uniquement de la sphère privée ?
Avec François Bayrou, nous étions contre la précédente réforme de la Constitution voulue par Nicolas Sarkozy, qui a inscrit l'automaticité du retour des ministres à l'Assemblée nationale. Ceci n'est pas une bonne chose dans le cadre de la Ve République et de nos institutions. Si un ministre sait qu'il a un parachute doré, un plan B, qu'il redevient automatiquement député quoi qu'il fasse au gouvernement, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas là dedans. Je suis pour que l'on revoit cette disposition. Il n'y a aucune raison d'avoir l'automaticité pour ceux qui quittent le gouvernement. En ce qui concerne Jérôme Cahuzac, je n'imagine pas qu'il revienne à l'Assemblée nationale.
L'Express fait cette semaine sa Une sur "M. Faible". Est-ce que vous croyez qu'il y a un pilote dans l'avion ?
Écoutez, je l'espère. J'ai de la considération pour François Hollande, je pense que c'est quelqu'un d'intelligent, quelqu'un de politique, quelques fois peut-être trop politique. Je trouve qu'il y a un moment où il faut savoir s'extirper de la petite politique. Cela vaut pour tout le monde. Quand un pays est en crise, il faut faire de la grande politique, de la politique par le haut, qu'on soit dans la majorité ou dans l'opposition. Cela implique de dire la vérité aux Français sur la situation, assumer la politique que l'on mène et pas mener une politique comme ça, un peu cachée, sans oser dire les choses. On doit réformer ce pays, réformer l'État, nos collectivités locales en réduisant par exemple le nombre de niveaux de ce millefeuille, …
On comprend bien ce que vous dites, mais a-t-il les épaules ?
Je fais partie des gens qui souhaitent que notre pays sorte des difficultés dans lesquelles il est. Je veux croire que François Hollande va prendre la mesure de ce qui est à faire. Je vois bien qu'il a des politiques de baisse du déficit, mais il faut qu'il assume cela. Il ne pourra pas continuer à essayer de faire les choses sans le dire. Si vous n'assumez pas, vous n'avez pas la confiance des Français pour soutenir votre politique. Quand vous redressez un pays, vous devez mobiliser ce pays, mobiliser les énergies des habitants, y compris des entrepreneurs, … Vous ne les mobilisez qu'en assumant la politique courageuse qui est nécessaire.
Vous dites "que l'on soit dans la majorité ou dans l'opposition", mais on a du mal à vous situer, vous le MoDem.
C'est bien que vous ayez du mal à nous situer, car je pense que notre vite politique est hémiplégique. Si vous êtes dans l'opposition, tout est nul de la part du gouvernement. Si vous êtes dans la majorité, tout est génial venant du gouvernement. C'est stupide. Vous voyez bien que ça n'a pas de sens. Nous sommes un mouvement démocrate, au centre de la vie politique française. Nous avons envie que le pouvoir réussisse, mais nous sommes exigeant avec ce pouvoir. Nous lui demandons d'agir et d'assumer la politique nécessaire.
Avez-vous été choquée par les propos d'Arnaud Montebourg, qui disait l'autre jour dans Le Monde qu'il fallait augmenter les dépenses publiques ?
Personne ne peut imaginer que, demain, nous ayons une politique consistant à laisser filer la dette et les déficits. Ceci est absurde. C'est raconter des bobards aux Français. C'est, une fois de plus, leur mentir. Ce qu'il faudrait, c'est assumer clairement la politique de sérieux budgétaire, tout en relançant la production et en soutenant plus et mieux l'économie française. Ça veut dire ne pas changer la fiscalité tous les jours, que l'on donne aux entrepreneurs un environnement stable et qu'on leur fasse confiance.
Vous avez voté pour François Hollande. Est-ce que vous êtes déçue ?
Je ne suis pas déçue pour le moment. Ce que je dis, c'est que François Hollande ne pourra pas s'imaginer qu'il va pouvoir continuer à gouverner en faisant un peu de réformes nécessaires au pays, sociales-démocrates, et en conservant tout le temps la gauche du Parti socialiste. Il mène une politique sans l'assumer clairement, en espérant pouvoir rester au confluent de ces deux gauches. Au fond, il n'a pas la majorité nécessaire à sa politique de réformes.
Il est resté dix ans comme ça premier secrétaire du PS.
Être président de la République et premier secrétaire du PS, ce n'est pas la même chose. Pour gouverner bien, dans les temps très difficiles dans lesquels nous sommes, il faut clarifier.