Économie : "Regardons les enjeux en face et restons mobilisés"

Invité de la matinale de RFI, Robert Rochefort a jugé François Hollande "excessivement optimiste" sur la reprise de l'économie. "Cette façon de faire de la politique n'est ni juste, ni éthique, ni même efficace", dénonce-t-il.
RFI –Les ministres des finances du G20 se retrouvent aujourd’hui et demain à Moscou. C’est une réunion de préparation en vue du sommet des chefs d’État et de gouvernement qui aura lieu début septembre. Les Etats-Unis vont demander au G20 et particulièrement à l’Union européenne d’encourager leur demande intérieure pour favoriser la croissance. L’Allemagne, elle, va une nouvelle fois plaider pour l’assainissement des finances publiques. Cette division entre relance et rigueur n’est pas nouvelle, elle continue. Vous pensez que les pays du G20 vont la surmonter ?
Robert Rochefort – Honnêtement, je ne crois pas. Cette réunion est utile mais malheureusement il n’en sortira pas grand chose. Il faut bien comprendre que cette réunion a une apparence technique, technicienne, parce qu’on réunit des ministres de l’économie et des patrons de banque centrale, comme si on espérait que la solution soit technique. Or, aujourd’hui, surtout à l’échelle du monde, la solution, comme la situation, est politique. Nous sommes dans une situation un peu étrange, le monde n’a jamais été autant interconnecté et en même temps, alors qu’on parle d’un monde multipolaire, on est dans un monde totalement désagrégé. Il reste effectivement quelques grandes puissances, c’est le cas des Etats-Unis, mais vous l’avez dit vous-même, les Etats-Unis s’adressent à l’Union européenne mais nous n’avez pas parlé de réponse de l’Union européenne, vous avez parlé de réponse de l’Allemagne. Qui elle-même ne risque pas d’être la même réponse que celle de la France, que celle de l’Angleterre… On pourrait en rajouter, avec en particulier – il ne faut pas les oublier dans cette réunion évidemment – les pays dits émergents, les fameux BRIC qui ne sont d’ailleurs plus émergents, et qui eux-mêmes aujourd’hui sont dans des situations compliquées. Vous savez qu’il y a également la Chine qui risque de s’interroger et de demander aux Etats-Unis d’avoir une politique peut-être encore plus laxiste, pourrait-on dire, de façon à favoriser leurs exportations.
Chacun arrive avec ses intérêts. Vous, vous ne voulez pas de rigueur. Alors selon vous c’est possible de relancer la croissance tout en fermant le robinet de la dépense publique ?
Je pense que oui. Je pense que la dépense publique, en particulier, est un outil État par État, une nouvelle façon de se faire des concurrences entre pays alors qu’on ne peut plus tellement le faire par la guerre des monnaies, en tout cas dans certaines zones, c’est le cas de l’Europe. Avec la zone euro, on ne peut évidemment plus se faire la guerre entre les monnaies. Si on pouvait rêver quelques instants ce matin, il faudrait que nous inventions un modèle coopératif, il faudrait que nous arrivions – au niveau de la planète – à avoir un modèle coopératif. Pour l’instant, nous en sommes extrêmement loin. Quant aux monnaies, puisque les gouverneurs de banque centrale seront là, il faut que l’on arrive petit à petit vers l’idée d’une convergence, vers non pas ce que l’on pourrait appeler une monnaie unique mondiale parce que c’est évidemment très utopiste, mais en tout cas – comme ça existe d’ailleurs déjà au niveau du FMI – une sorte de panier de monnaies dans lequel les uns et les autres essaient d’avoir des éléments coopératifs. Mais encore une fois, comme je vous le disais au début, le sujet n’est pas technique, il est fondamentalement politique. Regardez, ce sommet va aussi probablement se réjouir du fait que l’on ait fait des progrès sur la question de la fraude fiscale, des paradis fiscaux etc. Vous voyez bien que, d’abord, ces progrès sont assez minces. Certains sont faits, il ne faut pas cracher dessus, mais vous voyez bien en même temps que tout ce qui concerne la régulation et l’interdiction des paradis fiscaux est un problème politique et pas économique.
On y parlera aussi chômage. Selon l’OCDE, le chômage devrait atteindre des records l’an prochain dans la zone euro et dépasser le seuil des 11% en France. L’INSEE prévoit une croissance nulle au troisième trimestre. Et pourtant, François Hollande a déclaré la semaine dernière que la reprise était là, vous le croyez ?
Soyons clairs, l’année prochaine, il y aura en France un peu de croissance. C’est vrai qu’il y aura peut-être 0,7 ou 0,8% de croissance. Mais, tout le monde le sait, tout le monde l’a prévu, c’est un effet un peu technique par rapport aux années de crise très vive durant lesquelles nous avons perdu dix points de PIB. L’année prochaine il va y avoir une petite croissance, mais ce n’est en aucun cas un retour de la croissance. C’est en tout cas une croissance qui ne permettra pas de faire baisser le chômage, et c’est une croissance que l’on pourrait appeler de rebond technique. Je trouve que le Président de la République, lorsque d’une certaine façon il se cache derrière ce rebond technique pour annoncer la fin de nos vraies difficultés et en même temps l’inversion de la courbe du chômage, est excessivement optimiste. Là, pour le coup, c’est une façon de faire de la politique qui ne me semble ni juste, ni éthique, ni même efficace. Parce que, il faut le dire, les réformes structurelles sont importantes, la France a à faire des réformes structurelles. Elles ne sont pas faciles, elles sont dures. Ce n’est pas que la réduction des dépenses, c’est la réforme de l’État, c’est la réforme des retraites, c’est la réforme du marché du travail. Je crains qu’en laissant croire aux Français qu’une hypothétique croissance serait de retour, on les démobilise alors qu’aujourd’hui il faut voir les enjeux en face et rester mobilisés.
Parlons de l’Europe si vous le voulez bien. Les négociations sur un accord de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis se poursuivent. Washington a décidé d’exclure les services financiers de la négociation, ce que voulaient les Européens. Finalement l’Union est divisée, elle est en train de se faire avoir dans cette discussion ?
Je vais vous donner une information très personnelle, je n’ai pas voté pour cet accord, et en particulier pour les mots qui sont utilisés dans le mandat de négociation. Je trouve que l’Europe a, de ce point de vue, comme souvent, une position extrêmement naïve. Le débat s’est focalisé, vous vous en souvenez, sur l’exception culturelle. Il y a bien d’autres sujets que l’exception culturelle. Il y a la question des services financiers, il y a la question de la Défense également qui a été exclue de cet accord de libre-échange. Mais, fondamentalement, il faut d’abord que l’Europe se renforce, que l’Europe soit capable d’être solide, y compris politiquement, elle-même, pour faire face aux Etats-Unis. Je dis ça sans aucune animosité, j’adore les Etats-Unis, c’est un pays ami, mais néanmoins dans la situation dans laquelle nous sommes, l’amitié existe, mais ce sont d’abord les rapports de force qui importent.
Vous souhaitez la mise en place pour les Européennes de listes centristes avec d’autres centristes, l’UDI, et pourquoi pas l’élargir à certains Verts. Hervé Morin, pour l’UDI, n’est pas partant. Est-ce que vous avez eu des nouvelles des écologistes à votre appel ?
Ce que je veux dire, c’est que nous avons deux défis majeurs devant nous. Le premier défi c’est évidemment la construction de l’Europe parce que ce n’est pas sur cette antenne que je vais expliquer à vos auditeurs que le monde est tel qu’il faut une puissance qui s’appelle l’Europe. Et puis, le deuxième défi, c’est le défi environnemental, nous faisons comme s’il n’existait plus. Les Etats-Unis avec le gaz de schiste ont donné le sentiment que la croissance pouvait s’asseoir sur les contraintes environnementales. Vous allez voir que d’ici quelques semaines, à la rentrée, on va annoncer que le défi climatique est bien plus important que nous ne le pensions, que ce ne sont pas deux mais probablement quatre degrés qui vont réchauffer la planète. Par rapport à ça, je veux que ce défi là soit présent, et je pense qu’effectivement certains écologistes, qui peuvent avoir un point de vue généraliste, et pas partisan droite ou gauche, peuvent avoir leur place dans ce rassemblement. Ils viendront s’ils le veulent.
Et vous avez des nouvelles de certains Verts ?
D’abord, il y a au sein du MoDem un courant écologiste, et puis, vous savez, l’écologie est une pensée qui traverse les différentes familles politiques. En tout cas, j’y crois toujours, c’est une proposition qu’il faut faire.
Philippe Verdon, l’un des otages français retenu au Sahel a été assassiné. L’autopsie de son corps nous l’a révélé hier. François Hollande doit rester sur la même ligne face aux ravisseurs, aux preneurs d’otages ?
Je crois que oui. Je crois qu’il ne faut surtout pas faire comme si ce drame devait masquer que, dans le bilan positif de François Hollande depuis un an, il y a eu ce qu’il s’est passé au Mali. Le Mali était à quelques jours d’une prise de pouvoir par des terroristes et des ultras, la France a joué son rôle, évidemment ce drame est terrible, mais je ne remets pas en cause ce soutien.