Code du travail : "Quand la loi est illisible, la responsabilité en incombe à ceux qui l’ont rédigée"
Le président du MoDem était l’invité du 7/9 de Patrick Cohen ce matin sur France Inter. Il a notamment évoqué les questions liées à la situation des migrants à Calais, à la réforme du droit du travail et à sa place dans le jeu politique.
Patrick Cohen : Bonjour François Bayrou.
François Bayrou : Bonjour.
Des violences hier soir près de Grenoble, des émeutes liées à une décision de justice, des violences sociales comme à Air France, la violence du débat public – parfois - avec ces marques d’hostilité dans le sillage du Président de la République, on l’a vu hier à La Courneuve… Est-ce qu’il y a quelque chose de violent ou d’explosif dans le climat ou l’humeur du pays, ou est-ce que l’on exagère ces signes ?
Je pense que c’est pire que ce que vous dites. Ce que je ressens, c’est une ambiance de décomposition de la société française. Elle n’est pas la seule. C’est ce que Bernard Guetta vient de dire à propos du Moyen-Orient, c’est également ce qui se passe dans des sociétés voisines ou lointaines. En tout cas, il y a des symptômes de décomposition absolue, et si l’on veut prendre l'exemple de la France, la décomposition la plus lourde, c’est l’incapacité de l’État à agir, à faire respecter - y compris - sa propre loi.
J’écoutais sur France Info ce matin un ministre, un membre du gouvernement, qui disait : « Mais oui c’est inacceptable et ça ne doit pas se reproduire ». C’est exactement ce que nous entendons chaque fois qu’il y a des événements de cet ordre. Ce que l’auditeur entend, c’est l’impuissance absolue de ceux qui sont au pouvoir. Évidemment, ce n’est pas d’aujourd’hui que cela date. C’est une décomposition continue, qui vient de loin, et qui doit appeler des réponses qui, pour l’instant, sont totalement absentes.
On parle de réponses d’ordre sécuritaire, de Calais où la population est passée, je le rappelle, de 3000 à 6000 en quelques semaines.
C’est vrai que c’est un camp où les conditions de vie sont absolument épouvantables. Mais les conditions de vie, c’est quoi ? Pardon d’être simple et même trivial, les conditions de vie ce sont : des toilettes accessibles, des chemins et routes à l’intérieur du camp accessibles. Sur tous ces plans, l’État du XXIème siècle est en vérité incapable de trancher, de décider, d’aller vite et d’appliquer un certain nombre de choses. Et c’est vrai pour l’ordre, c’est vrai pour la sécurité, c’est vrai pour l’ensemble des décisions de l’État !
Il ne faut pas s’étonner que tous les chiffres que vous égrenez tous les jours, les uns après les autres sur les antennes, ceux de l’Unédic hier soir, soient toujours aussi mauvais et chaque jour plus mauvais que le précédent.
Ceux de l’Unédic montrent qu’il devrait y avoir une inversion de la courbe du chômage l’an prochain…
Non ! Ceux que l’Unédic a annoncés hier soir disent que les chiffres précédents, qui étaient optimistes, ne sont pas justifiés et que l’on va avoir une situation pire que celle que l’on anticipait. Alors on vous dit : « peut être qu’à la fin de l’année il se passera quelques inflexions », mais enfin vous voyez bien que le constat fait, c’est que la dégradation est ininterrompue !
Bon, une fois que l’on a fait ce constat, François Bayrou, d’une impuissance face à des problèmes dont vous voudrez bien admettre qu’ils ne sont pas simples à résoudre et à traiter, qu’est-ce que l'on fait sur un plan sécuritaire et sur le plan du règlement de Calais ? On en est à la septième visite du ministre de l’Intérieur aujourd’hui…
Il y a eu des ministres avant 2012 et il y a eu des camps et des jungles avant 2012.
Et des discussions avec la Grande-Bretagne, qui est quand même le premier pays concerné. Un accord encore récent a été conclu avec l’Angleterre. Qu’est–ce qu’il faudrait faire de plus selon vous ?
Il est impossible que la Grande-Bretagne s’en remette à la France pour faire assurer sa propre frontière !
C’est pourtant le principe qui est retenu depuis des années.
Oui, mais la Grande-Bretagne dit « On ne veut pas être en Europe ». Elle veut s’éloigner de l’Europe et ne veut pas de l’espace Schengen… C’est exactement la même chose que nous faisons avec l’Italie. Et donc il n’y a qu’une action possible, c’est celle que décideraient ensemble les gouvernements de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, pour ne prendre que le secteur immédiat dans lequel nous sommes. L’action solitaire, individuelle d’un pays qui laisse à l’extérieur de ses décisions les autres pays européens est impossible ! C’est pourquoi il y a tant de mensonges qui circulent parce que l'on fait croire qu’il suffirait de reprendre notre décision d’État, notre décision personnelle, individuelle, mais évidemment on s’aperçoit ne serait-ce qu’à Calais, que plus vous avez des pays voisins qui décident sans vous, et vous sans eux, plus vous êtes dans l'impuissance. Ce sont de vastes mouvements qui sont devant nous et qu’il faut traiter sur un plan européen et à la source. Je ne sais pas si vous avez vu les images terrifiantes hier soir à la frontière de la Slovénie où vous aviez d’immenses foules ininterrompues avec des enfants en bas âge qui pataugeaient dans la boue, dans le froid. C’est évident que la France ne peut pas résoudre toute seule ce qui se passe à la frontière slovène. Et donc l’action doit être une action partagée avec les États voisins, frontaliers, avec qui nous décidons d’agir. Et on ne pourra agir qu’à la source en créant des zones protégées, sécurisées avec un début d’économie viable dans les pays d’où viennent les réfugiés. Vous voyez bien que cela ne peut être une action nationale. Ça ne peut être qu’une action partagée, coopérative pour employer des mots simples.
Sur le plan économique et social, je voulais vous faire réagir aux annonces de la conférence sociale de lundi notamment sur un dossier qui devrait vous contenter, l’idée qu’il y aura un nouveau code du travail d’ici l’été. Je me souviens de votre apparition à France 2 dans l’émission "Des paroles et des actes" avec le code du travail français et le code suisse. On va vers un allègement avec un gouvernement qui s’engage dans une voie libérale.
Il ne s’agit pas d’une voie libérale. Il s‘agit d’une voie civique qui pose le principe qu’il faut s’adapter pour qu’un chef de petite entreprise ou un artisan puisse comprendre ce qui est écrit dans le code du travail. Je ne demande pas plus. Mais vous voyez à quel point on perd du temps. La scène que vous indiquez, elle est déjà ancienne, et quand j’ai montré ce code du travail toute la gauche m’est tombée dessus en disant « mais ce n’est pas possible il s’attaque aux acquis, c’est un homme de réaction ou de régression ». Et il a fallu des mois et des mois pour qu’on en arrive à poser ce principe simple : un code, c’est fait pour être compris. Nul n’est censé ignorer la loi et quand la loi est illisible, la responsabilité en incombe à ceux qui l’ont rédigée. Dans ce domaine mais il y en a beaucoup d’autres, il y a une incapacité du pays à traiter simplement des problèmes qui exigent des réponses rapides.
Est-ce que cette fois, la question sera traitée ? On verra le résultat.
Oui...
Justement un commentaire sur le calendrier : projet de loi en décembre et vote d’ici l’été prochain.
On verra…
Un mot sur le pré-accord des partenaires sociaux sur les retraites complémentaires qui acte le recul d’un an du départ à taux plein de 62 à 63 ans ?
Est-ce qu’il y a un seul de nos concitoyens qui ignore que l’âge de la retraite va reculer ? Est-ce qu’il y en a un seul ?
À la base certains le contestent ?
Oui. Ils le contestent parce que c’est le jeu de rôle. À la vérité, tous ceux qui nous écoutent savent que l’âge moyen de la vie avançant, le nombre de personnes qui sont à la retraite augmentant, il faudra un mouvement qui soit un mouvement de l’âge de la retraite progressif, afin de trouver un équilibre progressivement entre les cotisants et pensionnés. Tout le monde le sait et c’est pourquoi j’ai de longue date proposé une retraite par point, c’est-à-dire un système d’équilibre constant : vous partez plus tôt vous touchez moins ; vous partez plus tard vous touchez plus.
C’est le principe qui a été retenu lundi dernier.
Oui c’est le principe qui a été retenu mais vous voyez bien à quel point les mois passent et les années passent, et on a l’impression constante de perdre du temps.