Choc de simplification: "Les effets peinent à prendre leur envol"

Alain Lambert, proche de François Bayrou et à la tête de la Commission consultative d'évaluation des normes, "désespère" que le choc de simplification soit réellement appliqué par l'administration, dans une interview à l'Express.
L'Express - Au-delà de l'affichage politique, le "choc de simplification" ne porte-t-il aucun fruit?
Alain Lambert - La volonté politique est incontestable, contrairement au précédent gouvernement. François Hollande a évoqué un "choc de simplification", et Jean-Marc Ayrault a émis une nouvelle circulaire le 17 juillet dernier, dans laquelle il évoquait un "gel de la réglementation". Mais à la dernière réunion de la CCEN que j'ai présidée ce jeudi, personne ne semblait l'avoir lue! Disons, en termes diplomatiques, que les effets peinent à prendre leur envol, malgré les exhortations...
Remplacer un formulaire par trois formulaires, au nom de la "simplification"? C'est absurde!
C'est l'administration centrale qui est en cause. Elle ressemble à un grand appareil de production de normes qui aurait encore des textes à cracher et que rien ne peut endiguer, alors qu'il faudrait un arrêt brusque. Chaque jour, les préfets reçoivent 320 pages de circulaires. Et chaque jour encore, un nouveau texte est pondu. Ce jeudi, nous avons refusé un texte qui, au nom de la "simplification" du Code des marchés publics, proposait de remplacer un formulaire... par trois formulaires. Oui, trois. C'est absurde. La machine est folle!
Avez-vous chiffré le coût de cette "machine folle" pour l'économie française?
Nous n'avons pas de statistiques précises sur les travaux qui ne sont pas réalisés à cause de ces normes. Par exemple quand des travaux ne sont pas engagés dans le secteur du bâtiment en raison de normes trop strictes sur l'accessibilité. Mais des chiffres parlants ont été publiés. L'OCDE ou la Commission européenne établissent à 3 points de PIB le coût de la complexité du droit en France, soient 60 milliards d'euros. A l'heure où l'on craint de devoir toucher au modèle social français pour faire des économies, il y a là une réserve conséquente... Faire un colloque sur l'atonie de la croissance française ne sert à rien si on laisse le pays s'étouffer dans cette toile d'araignée.
N'est-ce qu'un problème de quantité de normes?
La dégradation de la qualité des textes est également invraisemblable. Dans un texte sur la qualité de l'air, nous avons trouvé des équations mathématiques que seul un polytechnicien sait résoudre. Il n'y a que la dérision qui empêche de devenir fou... Les administrations rattachées au ministère de l'Ecologie sont parmi les pires en la matière: leurs ingénieurs écrivent la loi comme un mode d'emploi d'appareil électronique. Celles des ministères des Affaires sociales et de l'Agriculture sont aussi de mauvais élèves, alors qu'il n'y a aucun problème avec le ministère de la Justice: ce sont des juristes, ils savent écrire en langage juridique.
Le fond du problème, c'est que ces administrations ont perdu le sens du rôle qui est le leur. Elles ont le sentiment que la société doit s'adapter à elles, alors qu'elles devraient être au service de la société. Ceux qui étudient ou qui sont malins s'en sortent, certes, mais les autres? J'y vois une tyrannie rampante contre laquelle nous avons le devoir de résister. Le corps politique est bien naïf quand il croit que l'administration est loyale: elle a perdu le réflexe d'obéissance. Pire, elle est déloyale quand elle écrit que les collectivités "peuvent" payer. Alors qu'il s'agit d'une obligation de paiement dissimulée. En somme, c'est un renvoi de facture bien peu honnête.
L'administration traîne des pieds... Mais que pouvez-vous faire pour accentuer la pression sur elle, pour mettre en oeuvre cette "simplification"?
Outre nos réunions mensuelles du CCEN, il faut mettre en place un rendez-vous trimestriel au cours duquel nous examinerons les suites données à nos recommandations dans les administrations. Si rien n'a été fait, nous alerterons le Premier ministre à ce sujet. Quant à sa circulaire du 17 juillet, laissons passer les vacances et nous verrons si elle a un effet à la rentrée.
Pour aller plus loin : lire l'interview sur le site de l'Express