Allocations familiales : "La question est celle du troisième enfant"

Robert Rochefort a pointé le risque "de toucher aux classes moyennes" et à "la natalité" que ferait encourir une modulation des allocations familiales, jeudi sur France Info.
Jean Leymarie - Ce matin, sur France Info, nous allons essayer de répondre à une question qui est à la fois simple et compliquée : combien coûte un enfant ? Ou, pour le dire autrement, combien cela coûte d’élever un enfant ?
Robert Rochefort - Je préfère la deuxième question.
Economiste, ancien responsable du CREDOC, aujourd’hui vice-président du MoDem, est-ce que vous avez des chiffres là-dessus précisément ?
Oui, j’ai des chiffres mais vous allez me dire que toutes les personnes qui donnent des chiffres sont des menteurs, sans mauvais jeu de mot avec l’actualité. C’est évidemment un peu vrai parce que les moyennes ne veulent pas dire grand chose. Nous allons essayer d’être très pédagogiques. Un couple et un enfant, normalement pour être à peu près à l’aise, doivent avoir 2.500 euros. Avec 2.500 euros, ils arrivent à peu près à satisfaire leurs besoins. Là-dessus, le premier enfant va leur coûter de l’ordre de 400 à 500 euros, ce qui est cher. Parce qu’il faut bien comprendre que, quand le premier enfant arrive, le couple ne peut plus vivre dans un studio avec un canapé-lit. Il faut qu’il y ait une chambre et il y a des dépenses supplémentaires. Mais c’est une moyenne. Si le deuxième enfant arrive, cela va coûter 200 à 300 euros de plus, c’est-à-dire beaucoup moins cher que le premier enfant. Tout simplement parce que les deux enfants sont en général mis dans la même chambre. Et il y a certain nombre de choses que l’on a achetées pour le premier, la poussette par exemple, que l’on n’est pas obligé d’acheter pour le deuxième. Et puis arrive le troisième enfant, qui coûte plus cher à ce moment-là, de l’ordre de 300 à 400 euros. C’est-à-dire un peu plus que le deuxième enfant parce que nous savons bien qu’avec trois enfants, on ne peut plus tenir dans un appartement avec une seule chambre pour les trois. Vous voyez, cela fonctionne comme ça. Mais, si vous vivez dans une région où le coût de la vie est moins cher ou si vous habitez en Île-de-France, si vous êtes propriétaire – ce qui est rare quand vous avez deux ou trois enfants mais cela arrive parfois – ou si vous vivez dans une capitale régionale où les loyers sont très élevés, tout cela bouge évidemment beaucoup.
Encore une fois, derrière la moyenne, il faut voir d’énormes différences.
Bien entendu.
"UNE DIMINUTION DES ALLOCATIONS DE 25 OU 50% EQUIVAUT AU COÛT D’UN ENFANT ET DEMI"
Qu’est-ce qui coûte le plus cher globalement ?
Ce qui coûte le plus cher, c’est le logement d’un côté et l’alimentation de l’autre. Parce que les enfants, il faut évidemment les nourrir. Quant au logement, si vous avez par exemple deux enfants et que vous êtes un couple, en moyenne vous allez mettre 750 euros sur votre logement. Sur un budget de 2.700 euros cela fait quand même pas mal. Et puis vous allez mettre à peu près 700 euros en alimentation. Mais, quelque chose qu’il faut savoir en particulier pour le débat sur les allocations familiales, c’est que, quand l’enfant grandit, il coûte de plus en plus cher. En gros, un enfant de plus de 14 ans coûte 400 euros de plus qu’un enfant de moins de 14 ans.
Cela fait une grosse différence.
Oui. Sauf l’enfant du tout début de la vie, il coûte très cher au début parce qu’il y a le mode de garde et qu’il faut aussi souvent acheter des choses. Mais quand vous avez un enfant de 6-8 ans, cela coûte beaucoup moins cher qu’un enfant de 16 ans. Tout le monde le sait. Je le dis en forme de boutade, je vais me faire attraper après ça, mais si vous avez une adolescente à la maison de 16 ou 17 ans, vous savez qu’elle veut une garde-robe comme si elle était adulte, qu’elle veut commencer à se maquiller, qu’elle veut beaucoup de choses… Et les garçons ce sera autre chose.
Ce qui est intéressant par rapport au débat sur les prestations familiales c’est que, quand vous avez trois enfants, vous en avez souvent un qui va être au-delà de 14 ans, peut-être même le deuxième, et alors il vous faut quand même 3.500 euros par mois. Si vous n’avez pas 3.500 euros, c’est très difficile de joindre les deux bouts. Je ne dis pas qu’il n’y en a pas qui y arrivent, on peut se priver, on peut être très heureux en ayant une dépense minimale, mais il faut à peu près cela. Et quand vous avez 3.500 euros et que vous avez trois enfants, les allocations familiales, c’est-à-dire ce qui vous est donné sans condition de ressource, c’est entre 300 et 450 euros, selon l’âge des enfants. Si vous avez quatre enfants, les familles nombreuses existent aussi, les allocations ce sont entre 450 et 600 euros par mois. Donc vous voyez qu’à ce niveau-là, quand on envisage de dire qu’on va diminuer les allocations de 25 ou de 50%, cela représente quelque chose comme le coût d’un enfant ou d’un enfant et demi. C’est loin d’être négligeable. Donc, quand on est à 5.000 euros alors qu’il faut 3.500 euros pour s’en tirer à peu près, on touche aux classes moyennes.
"LA FRANCE EST UN DES SEULS PAYS D’EUROPE A ASSURER LA CONTINUITE DE SA POPULATION "
Et cela explique que le débat soit important. Je voudrais que l’on revienne plus précisément sur la question des systèmes de garde pour les petits enfants parce que c’est un gouffre financier pour certaines familles. Que savons-nous là-dessus plus précisément ?
C’est très simple. Nous savons que c’est, comme vous le dites, un gouffre financier, avec plusieurs cas de figure. Soit vous avez un mode de garde qui est socialisé, c’est-à-dire par des crèches familiales ou parentales qui dépendent de la mairie et de la CAF, et vous avez quelque chose qui est en partie pris en charge par les prestations familiales. Soit vous n’en avez pas, beaucoup de parents connaissent cela, et c’est la course à la débrouille. Il faut dire d’ailleurs à cet égard que les mesures qui ont été prises l’année dernière, et qui sont moins avantageuses par rapport aux dépenses familiales de garde à domicile ou d’aides dans la famille, se traduisent par le fait que vous avez tendance soit à repartir vers quelque chose qui est au noir, soit à être beaucoup moins aidés. Donc, si on cumule les deux, on est devant quelque chose qui est effectivement assez problématique.
Je voudrais dire en deux mots que finalement, la question qui peut se poser par rapport au coût de l’enfant, c’est de se demander si les allocations familiales font que l’on fait des enfants. La réponse est non. Est-ce qu’à l’inverse, toucher aux allocations familiales peut faire que dans un certain nombre de cas de figure il n’y ait pas le troisième enfant, or celui-ci est essentiel à la natalité ? La réponse est oui. Donc, quand même, attention danger.
Cela reste formidable d’avoir des enfants, malgré tous les chiffres que vous venez d’égrener ?
Bien entendu ! Et vous savez très bien que l’ensemble de la politique familiale française n’est pas uniquement lié aux allocations familiales, même si cela y participe. La France est, avec l’Irlande, le seul pays en Europe qui fait suffisamment d’enfants pour à peu près assurer la continuité de sa population et même sa progression grâce au fait que nous vivons plus longtemps et en meilleure santé.