Affaire Tapie: " L'État doit soigner son recours pour ne pas échouer"

François Bayrou a appelé l'Etat à être "précautionneux" et "prudent" dans la formulation et la présentation de son recours dans l'affaire Tapie pour ne pas subir un échec que "les Français ne toléreraient pas", sur le plateau de Public Sénat.

Michel Grossiord - Bernard Tapie a été rejoint par son avocat, Maurice Lantourne, dans sa garde à vue. Est-ce que vous avez le sentiment que la justice, avec ces mises en examen répétées pour escroquerie en bande organisée, vous donne peu à peu raison ?

François Bayrou - Il est indiscutable que la justice avance et il paraît indiscutable qu’elle avance dans la direction de cette gigantesque manipulation, dont tout le monde aujourd’hui, même les plus incrédules, voit la gravité par une série de rebondissements qui, s’ils étaient présents dans un roman, donneraient à penser aux gens que le scénariste a une imagination trop fertile. Comme je le dis depuis le premier jour, cette affaire sera à mes yeux, si c’est prouvé, l’affaire la plus grave de la Vème République.

Une "affaire d’État", vous utilisez d’ores et déjà l’expression ? 

Je l’utilise depuis cinq ans parce qu’il n’y a aucun doute que, contrairement à ce qui est présenté, la question ce n’est pas Bernard Tapie. Bernard Tapie est un homme d’affaires, c’est-à-dire un homme d’aventures, un homme de flibuste quand il faut, mais ce n’est pas lui l’auteur de cette affaire. L’auteur de cette affaire, c’est l’État, c’est au sein de l’État…

Qui ? 

Demandez-le aux juges. C’est au sein de l’État et au plus haut niveau de l’État que cette affaire a été acceptée, voulue et organisée. Tout le monde le sait, il n’y a plus désormais aucun doute, on a même découvert des réunions de préparation auxquelles participait Bernard Tapie lui-même.

À l’Élysée. 

Alors qu’il a prétendu à plusieurs reprises que ce n’était pas vrai. Mais vous voyez bien la différence qu’il faut faire. C’est l’organisation de l’État qui, par le sentiment d’impunité qui était le sien, la désinvolture à l’égard du droit, le fait qu’on ne respectait plus en France les principes et même la légalité formelle, a entrainé cette situation. Une situation dans laquelle les contribuables, c’est-à-dire vous, et tous ceux qui nous entendent, ont été spoliés de plus de 400 millions d’euros au profit d’intérêts privés dont on ne voit pas très bien le périmètre d’ailleurs aujourd’hui. 

On a compris que tout était conçu selon vous à l’Élysée. D’ailleurs, les juges se rapprochent effectivement de l’Élysée. 

Je n’ai pas dit que tout avait été conçu à l’Élysée.

Les réunions au sommet de l’État, c’était à l’Élysée. 

Faisons attention à ce que nous disons. Tout a été voulu, approuvé et organisé. "Conçu", on ne sait pas encore très bien qui a eu l’imagination, la technicité, de concevoir ce système. Mais en tout cas l’Élysée a donné son approbation, sans aucun doute.

Mais quel était, selon vous, le mobile de tout ça ? 

J’ignore quel était le mobile. 

Vous avez des idées, peut-être ? 

En tout cas, je ne crois pas du tout à plusieurs des pistes qui ont été évoquées. L’idée qu’il s’agirait d’une récompense politique pour un soutien politique donné en 2007, je n’en crois pas un mot. Je ne crois pas du tout qu’il y ait eu une entente politique avec des courants. D’autres hypothèses ont été formulées sur votre plateau, je ne sais pas, je n’ai aucun élément dessus.

Vous n’avez pas une idée ? Pourquoi cette fleur coûteuse à Bernard Tapie ? 

J’ai écrit un livre sur ce sujet dans lequel je retiens deux hypothèses principales. La première, ce sont des pressions. Bernard Tapie a pu avoir les moyens de faire pression sur le pouvoir. La deuxième hypothèse, le chapitre du livre que j’ai consacré à cette affaire s’appelle "L’arbitraire", c’est l’idée que, parce qu’on est dans l’orbite du pouvoir, on a tous les droits, et si on est hors de l’orbite on n’en a aucun. Cette idée est celle de tous ceux qui cultivent le pouvoir absolu. Peut-être qu’on a simplement dit : "Arrangez-moi cette affaire". Au bout du compte, l’image de la République, l’idée même de la République et de l’État, et les intérêts des plus pauvres, ont été mis à mal gravement. 

Bernard Tapie va lui aussi publier un livre dans quelques jours sur cette affaire. Le livre est titré "Un scandale d‘État, oui ! Mais pas celui qu’ils vous racontent". Dans cet ouvrage il vous épargne. Vous avez fait d’ailleurs le distinguo entre cette affaire et lui il y a un instant sur ce plateau. Lui se présente en volé qui serait devenu le voleur. 

Le coup de génie de Bernard Tapie, c’est d’avoir réussi à persuader un grand nombre de personnes qu’il avait été lui-même victime au début de cette affaire, en 1992. Je crois que les éléments de preuve sont innombrables pour montrer que c’est absolument le contraire. Le Crédit Lyonnais n’est pas venu pour le spolier mais pour le sauver sur injonction directe du pouvoir de l’époque, c’est-à-dire du gouvernement de François Mitterrand. La preuve, c’est qu’à l’époque je suis un jeune député de l’opposition, et j’interpelle le gouvernement en disant qu’il est totalement inacceptable qu’une banque nationalisée vienne faire des affaires avec un ministre en poste. Vous comprenez bien, ça veut dire que c’est une prise illégale d’intérêts, là encore on ne respecte pas les principes. Vous voyez que, au fond, ce qui est cause au travers du temps, que ce soit pour le gouvernement de Mitterrand ou celui de Sarkozy, c’est une certaine idée de l’absolutisme du pouvoir. "Je fais ce que je veux parce que, là-haut, on décide de tout et tout le monde obéira." Ça s’est passé en 1992 pour le rachat d’une entreprise qui était sur une pente très glissante et au bord de la liquidation, et ça s’est passé de la même manière pour cet arbitrage complètement abracadabrant.

Aujourd’hui, des recours sont engagés par l’État dans cet arbitrage. Est-ce qu’on mesure bien, est-ce que vous-même vous mesurez bien, les dangers de cette nouvelle procédure qui va être très longue et coûteuse ?

C’est complètement faux, c’est un des éléments de la mystification.

Elle sera longue.

Si elle est longue, elle est longue, mais peut-être moins qu’on ne le croit. Mais je voudrais dire quelque chose sous forme d’avertissement. Il n’y a rien de plus facile que de perdre un recours. Il suffit de mal choisir les arguments, de mal le formuler, de ne pas être dans les formes, parce que les formes d’un recours de cet ordre sont subtiles, il s’agit de 400 millions d’euros. J’imagine qu’il y a des juristes puissants dans l’entourage du gouvernement, mais je demande qu’on fasse attention à la manière dont le recours sera présenté et formulé. Je demande que l’État – parce que derrière cette maison de liquidation du Crédit Lyonnais il y a l’État, c’est le contribuable qui paye jusqu’à la dernière minute – soit plus précautionneux cette fois, plus prudent, qu’il ne l’a été dans les deux épisodes précédents. Les Français ne tolèreraient pas que cette affaire soit mal conduite. J’espère que mes craintes n’ont pas de fondements.

Vous craignez des erreurs de droit, des erreurs juridiques, sur le choix des avocats par exemple qui pourraient être mêlés à ce dossier ?

Par exemple. Je pense qu’il faut faire attention.

Mais vous croyez quand même à la détermination politique ? 

S’il n’y a pas de détermination politique là, alors il n’y a plus qu’à tirer l’échelle. Nous sommes devant la révélation, qui a été niée par beaucoup de monde pendant longtemps à l’intérieur de l’État, d’une offense faite à tous nos principes. Quelque chose qui, quand ce sera connu, révoltera les citoyens au-delà du possible. Il est du devoir des responsables de l’État de faire ce qu’il faut pour que l’intérêt général soit protégé. 

Vous croyez donc à la détermination du gouvernement dans ce dossier ? Est-ce que vous pensez qu’il peut y avoir aussi une orchestration politique de ce recours et de cette affaire ? C’est ce qu’on attend par exemple à l’UMP. Jean-Pierre Raffarin a dénoncé une "justice-spectacle". D’autres, proches de Nicolas Sarkozy, disent que tout ça est fait pour barrer la route à son éventuel retour.

Ça, c’est le jeu de rôles politique. L’opposition dit "regardez, c’est de la faute du gouvernement" et le gouvernement dit "regardez, c’est de la faute de l’opposition". Moi je ne suis pas dans ce jeu de rôles. J’essaie d’être un représentant de ces citoyens qui n’en peuvent plus, qui ne peuvent pas accepter que durent ces pratiques. Donc, ma conviction profonde c’est qu’il n’y aucune manipulation politique. S’il y avait quelque chose à dire de la gauche pendant les années où nous avons mené le combat, c’est qu’elle a été indulgente pendant longtemps. Pour les raisons que tout le monde voit bien, c’était le gouvernement Mitterrand. Sur la fin, un certain nombre de responsables politiques du Parti socialiste, dont – par ironie – Jérôme Cahuzac, ont pris leurs responsabilités. Au début, il y en avait très peu, pour ne pas dire aucun. 

Est-ce que les affaires peuvent empêcher un jour Nicolas Sarkozy de revenir ? 

Je ne veux pas aborder cette question. Vous comprenez, nous n’avons pas fait tout cela, les quelques uns qui se sont battus, la petite poignée, pour des raisons politiciennes. Ce n’était pas parce que j’étais contre Nicolas Sarkozy, d’ailleurs je n’ai jamais été contre un homme, j’étais contre la politique qu’il menait et les choix qu’il faisait. Ce n’était pas contre quelqu’un, c’était que sous nos yeux, en tout cas ça aurait dû être sous les yeux de tous les Français – permettez-moi de dire au passage que les médias aussi ont leur part de responsabilité, il y avait un très grand scepticisme à l’égard de ce que nous disions, vous le savez bien –, était en train de se perpétrer quelque chose qui était une offense absolue à notre pacte civique. J’ai été responsable de l’éducation civique des jeunes Français. J’ai une petite idée de ce qu’on doit transmettre et enseigner, et d’abord par l’exemple. L’éducation civique commence quand ceux qui sont en haut se comportent de manière respectable. Je ne dis même pas "exemplaire", le mot a été tellement utilisé par d’autres.

Je vais utiliser un terme fort à mon tour : est-ce qu’il faut en France que des scandales éclatent régulièrement pour que l’on prenne le chemin de la probité ? Je pense par exemple au vote de la loi sur la transparence après l’affaire Cahuzac.

Dans toutes les démocraties, c’est comme ça. Nous avons la chance d’avoir les plus grands philosophes de la démocratie en France. Il y a trois siècles, bientôt, Montesquieu a dit quelque chose d’extraordinairement frappant. Il a dit : "Il n’y a qu’une manière de modérer l’absolutisme, c’est la séparation des pouvoirs". C’est lui qui, le premier, a indiqué ce que pouvaient être ces trois pouvoirs. Au moins trois, puisque la presse est maintenant le quatrième pouvoir. Si vous avez une justice libre, une presse indépendante et la séparation des pouvoirs entre une Assemblée et un gouvernement, l’une, l’Assemblée, contrôlant l’autre, le gouvernement, alors vous avez des chances d’avoir un gouvernement honnête. 

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