Affaire Guéant : "C'est une faute grave contre l'exemplarité"

Affaire Tapie, affaire Guéant... François Bayrou a dénoncé les "abus extrêmement lourds" suspectés par la Justice, mardi sur RMC et BFMTV. Le leader centriste en appelle à "l'exemplarité" des politiques.
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Jean-Jacques Bourdin - Stéphane Richard, le PDG d'Orange, est actuellement en garde à vue dans l'affaire Tapie-Lagarde-Crédit Lyonnais. S'il est mis en examen, doit-il rester à la tête de Orange ?
François Bayrou - La règle de démission si mise en examen s'applique pour les ministres, c'est normal. Pour des raisons très simples, ils ne peuvent pas résister à une interpellation à l'Assemblée Nationale qui dirait "Monsieur, vous êtes mis en examen", donc il est impossible de rester. Ce n'est pas la même chose pour un président d'une entreprise publique, surtout quand il est soutenu par ses salariés, sauf décision de son Conseil d'administration. Ça dépend évidemment de la mise en examen. La France a un problème, c'est que les instances prévues pour faire un certain travail ne le font pas. Elles sont court-circuitées, doublées, par des ordres qui viennent du sommet. Nous devons sortir de cette culture de la soumission à un pouvoir absolu et que entrer dans une culture plus responsable. Il y a un Conseil d'administration d'Orange, il fera son travail.
Enfin, l'Etat est actionnaire à 27%.
Il est actionnaire à 27%, il est donc représenté à hauteur de 27% au sein du Conseil d'administration, il faut qu'il fasse son travail.
Un PDG mis en examen, l'Etat actionnaire à 27% de cette entreprise, comment l'Etat peut-il accepter que le PDG reste en poste ?
Le Conseil d'administration le dira.
Nous allons revenir sur la moralisation politique, sur la moralisation publique, au-delà de la vie politique, c'est pour ça que je vous ai posé cette première question sur Stéphane Richard. Mais allons un peu plus loin sur cette affaire si importante. C'est quoi cette affaire, François Bayrou ?
Vous savez que je me suis battu pendant des années sur ce sujet.
Je sais, c'est pour cela que je vous en parle.
Cette affaire, c'est l'organisation, au cœur de l'Etat, par le pouvoir d’État, d'une opération de détournement de 400 millions d'euros.
Détournement au profit de Bernard Tapie ?
Oui.
Mais quel peut être le mobile ?
Moi qui ai beaucoup travaillé sur cette affaire, je suis incapable de vous dire pourquoi. On imagine des hypothèses, naturellement, mais ce qui apparaît de plus en plus, et qui d'ailleurs n'est plus nié par qui que ce soit, c'est qu'il y a eu inspiration, au moins bénédiction, de cette opération par le pouvoir politique dont le rôle est de protéger l'Etat.
Il n'y a aucune preuve à cela. Vous dites "Je regrette l'immunité absolue dont bénéficie Nicolas Sarkozy en tant qu'ancien Président de la République".
Je n'ai pas prononcé la phrase comme ça.
Qu'est-ce que vous avez dit ?
J'étais interrogé par un de vos confrères disant "si ça vient du sommet de l'Etat, alors Nicolas Sarkozy, Président de la République de l'époque, devrait être mis en cause", et j'ai dit que c'était impossible, car l'immunité présidentielle – et je le regrette – est absolue, ou pour ainsi dire absolue. De ce point de vue, il ne peut pas y avoir de mise en cause.
Il n'y aura pas de poursuite éventuelle contre Nicolas Sarkozy ?
Il n'y aura pas, dans l'état du droit, de poursuite contre un Président de la République dans l'exercice de ses fonctions.
Vous le regrettez ?
Je pense que c'est une erreur, je pense qu'on ne devrait pas avoir une immunité absolue. Parce qu'il faut aller un petit peu plus loin. Pourquoi ces dérives ? Toutes les affaires devant lesquelles nous nous trouvons, dont vous savez que j'avais fait un livre, qui s'appelle Abus de pouvoir, et qui explosent aujourd'hui parce que les juges sont devant la réalité, si elle est prouvée. Pourquoi tout cela ? Parce que nous avons en France un pouvoir tellement important, absolu, incontrôlé, qui donne à ceux qui le détiennent, ou à ceux qui les entourent, le sentiment d'une impunité absolue. Vous savez, les hommes sont ce qu'ils sont, ils sont faibles. Les institutions sont faites pour maîtriser la faiblesse des hommes. Elles sont fortes et elles doivent être fortes. Mais, en France, il n'y a pas de contrôle du pouvoir. Il y a trop de pouvoir entre les mêmes mains sans qu'il y ait la transparence nécessaire, l'éclairage nécessaire. N'en déduisez pas que je plaide pour un pouvoir faible. Il faut à un pays comme la France un pouvoir exécutif dont la force, l'efficacité, soit reconnue par tout le monde. Nous avons fait hélas l'expérience de pouvoirs faibles, et ce n'était pas une bonne choses.
Mais vous avez été au pouvoir, François Bayrou ?
J'ai été au gouvernement, ce qui n'est pas tout à fait la même chose.
Avec du pouvoir.
Avec du pouvoir limité, et Dieu sait qu'au ministère de l’Éducation Nationale, vous êtes observé, scruté, par tous les parents, par les syndicats. Ce que je récuse, ce n'est pas le pouvoir, c'est l'abus de pouvoir.
Il y a peut-être abus de pouvoir dans cette affaire Tapie ?
Il n'y a aucun doute. Quand les magistrats mettent en examen pour escroquerie en bande organisée, alors évidemment nous sommes devant un abus extrêmement lourd et qui doit nous faire réfléchir, car c'est ça le plus important, à l'organisation de l'Etat. Dans toutes ces affaires, économiques, juridiques, judiciaires, dans tout ce qui vient et qui est en train de désespérer les Français, qu'est-ce qu'il faut ? Il faut une seule chose, il faut que les responsables publiques disent : "Nous pouvons nous en sortir, voilà quel est le chemin". Si vous ne dites pas quel est le chemin, on se contente de la désespérance générale et je ne travaille pas à la désespérance, je préfère travailler à l'espérance.
Un mot encore en ce qui concerne Stéphane Richard. Il a servi la République, il était au cabinet du ministre à l'époque.
Oui, et c'est un homme très intelligent.
Il sert une entreprise importante aujourd'hui, dont l'Etat est actionnaire. S'il est mis en examen, il ne doit pas démissionner ?
S'il est mis en examen, le Conseil d'administration d'Orange devra prendre ses responsabilités.
Mais vous, quel serait votre avis si vous étiez au Conseil d'administration, en tant que représentant de l'Etat ?
Je regarderais quel est le chef de mise en examen, pour l'instant je ne le connais pas, je ne sais même pas s'il va être mis en examen. Je sais qu'il y a une affaire, je sais qu'il y a quelque chose dont nous parlerons très longtemps comme l'une des faiblesses de la République, peut-être la plus importante. Mais laissons les juges faire leur travail. Pour l'instant il n'y a pas de mise en examen, nous verrons si elle est prononcée.
Puisque nous parlons de moralisation, Claude Guéant, qui aurait utilisé 10.000 euros par mois pendant deux ans alors qu'il était directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur. Argent qui devait servir à aider les policiers dans leur travail quotidien. Là encore, le soupçon se porte sur un ancien responsable politique. Que dites-vous ?
C'est une faute grave contre l'exemplarité. Le ministère de l'Intérieur, normalement c'est l'un des ministères où l'on doit défendre le plus la loi, l'Etat de droit. Si ces dérives sont avérées, il y aura évidemment des suites. J'imagine que, auprès de ceux qui sont sur le terrain, des policiers de terrain, qui ont cette espèce de possibilité de financer des indicateurs...
Ou de récompenser une équipe qui a bien travaillé.
Voilà. J'imagine qu'il doit y avoir quelque chose de l'ordre d'une colère. Ce n'est pas fait pour les très hauts fonctionnaires, c'est fait pour le terrain, si ça existe.
Est-ce que le ministre de l'Intérieur a raison de porter l'affaire devant la justice ?
Non seulement il a raison, mais il ne peut pas faire autrement. C'est-à-dire qu'il y a un article dans notre droit qui fait que, quand vous êtes un responsable public ou un fonctionnaire public, et que vous avez connaissance de choses qui sont contraires à la loi, votre obligation est de porter l'affaire devant la justice.
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