Frédéric Petit : "Le Bélarus possède une histoire commune avec au moins deux pays européens, la Lituanie et la Pologne, ce passé ne peut pas être ignoré, il forge aussi une communauté de destin"

Frédéric Petit
(© Laure Lachaise)

Le député des Français établis en Allemagne, Europe centrale et Balkans, Frédéric Petit, nous a apporté son expertise sur la situation au Bélarus. Interview. 

Mouvement Démocrate - Quelles sont les revendications portées par le peuple biélorusse ?

Frédéric Petit - Avant toute considération politique, ce qui se joue actuellement au Bélarus c’est la renaissance de la nation bélarusse. C’est encourageant pour l’avenir du pays. Auparavant, on avait le sentiment d’un pays endormi, d’une société civile amorphe. On ne percevait pas une volonté forte chez la majorité des Bélarusses de vivre dans une démocratie. Aujourd’hui, c’est évident : des ouvriers aux cadres supérieurs, des agriculteurs aux étudiants, les citoyens bélarusses ne veulent plus vivre sous le régime d’Aleksandar Lukashenka, « la dernière dictature d’Europe », ils veulent pouvoir choisir librement leurs dirigeantes ou leurs dirigeants politiques.

Dans l’immédiat, le peuple demande le départ de Lukashenka, l’arrêt total des violences et la libération des plus de 250 prisonniers politiques. Le temps des procès des responsables politiques et administratifs de cette terrible répression viendra ensuite…

Que se passe-t-il depuis plusieurs mois au Belarus ? Y a-t-il eu une évolution de la situation ?

Quelques mois avant l’élection présidentielle d’août 2020, Lukashenka avait pris soin d’éliminer de la course les candidats qu’il jugeait dangereux pour sa réélection en les mettant en prison. Le mari de Svietlana Tshikhanouskaya, Sergueï Tshikanouski, était considéré par le régime comme un concurrent dangereux de par la popularité qu’il avait acquise dans l’opinion grâce à sa chaîne YouTube et son combat politique depuis des années. Il avait également pris soin d’enfermer deux autres « concurrents sérieux » l’ancien banquier Viktor Babaryka et Valery Tsepkalo. C’est ainsi que le trio de femme, Svietlana Tsikhanouskaya, Maria Kolesnikova (soutien de Barbaryka ) et Veronika Tsepkalo s’est formé et a incarné l’opposition bélarusse. C’est ce trio de femme qui a gagné l’élection présidentielle, scrutin volé par le régime !

Depuis le 9 août, les Bélarusses manifestaient donc pacifiquement contre ce truquage grossier de l’élection présidentielle et contre la violence extrême qui frappe les manifestants. Cette violence est ressentie comme une véritable « trahison » du régime de Lukashenka par la majorité des Bélarusses. Le samedi et le dimanche, jusqu’à mi-novembre, étaient des moments de manifestations de masse avec des dizaines de milliers (à certains moments des centaines de milliers) de Bélarusses dans les rues de toutes les villes du pays.

Depuis mi-novembre, le mouvement de contestation est moins visible. Plusieurs facteurs expliquent ce ralentissement : la fatigue de la violente répression, le nombre de morts, de disparus et de prisonniers politiques qui grandit, le grand froid d’hiver qui fait son retour, la pandémie de Covid-19 très peu traitée par le régime et qui inquiète les Bélarusses… Ce ralentissement est naturel ! Qui souhaiterait manifester lorsqu’il fait plus de -10 degrés en risquant de se faire tabasser, de se faire tirer dessus par les sbires du régime, de se faire arrêter sans avoir enfreint la loi, de finir en prison pour une durée indéterminée ou d’attraper la Covid-19 ? Pas grand monde. Mais je souhaite rendre un très grand hommage aux milliers d’irréductibles Bélarusses, qui ont très courageusement continué à manifester malgré tous ces risques, en s’organisant intelligemment. Ils formaient des petits paquets d’une cinquantaine de manifestants et étaient donc très mobiles et difficilement « arrêtables ».

Désormais, le printemps arrive à grand pas, et le régime commence à s’inquiéter d’une subite floraison de manifestations de masse qui referaient surface. La contestation n’est pas finie, la révolution contre la dernière dictature d’Europe n’est pas terminée et le régime a raison de s’inquiéter. Je souhaite par-dessus tout que les manifestants gardent leur admirable pacifisme et que la violence n’explose pas.

Quels rôles l’Union européenne et la France peuvent-elles jouer dans ce conflit ?

L’Union Européenne et la France sont déjà mobilisées dans ce conflit. Deux pays de l’Union Européenne, la Lituanie et la Pologne apportent déjà une aide exemplaire à l’opposition bélarusse et cette aide doit être soulignée ! Ils accueillent des milliers d’exilés, la Lituanie accueille le Conseil National de Coordination incarnée par Svietlana Tsikhanouskaya à Vilnius, dans sa capitale elle accueille également des centaines d’étudiants Bélarusses dans l’Université libre du Bélarus. La Pologne accueille et finance les associations d’aides aux prisonniers politiques, des médias indépendants et des organisations de la société civile bélarusse.

La France est solidaire avec le peuple bélarusse, le Président de la République a appelé au départ d’Aleksandar Lukashenka, il a rencontré Svietlana Tsikhanouskaya, lui a témoigné son soutien, mais on sent bien que la France devrait et pourrait faire bien plus. Elle devrait, elle aussi, financer des organisations qui aident l’opposition, accueillir des réfugiés en simplifiant sa procédure de visas, accueillir des étudiants… Elle devrait aussi, mettre certains différents avec la Pologne et la Lituanie de côté, pour mieux se coordonner avec ces deux pays et aider au maximum l’opposition bélarusse. C’est à cela que pense Tsikhanouskaya quand elle exhorte les européens « à être plus courageux » !

Enfin, l’Union Européenne a imposé des sanctions à des dizaines de responsables politiques, administratifs et économiques du régime. Elle doit continuer dans cette voie-là et coordonner ses sanctions avec les États-Unis et la Suisse, deux pays où beaucoup de responsables du régime ont des actifs. C’est aussi pour l’Europe un moment de vérité et elle doit se montrer à la hauteur des valeurs que nous défendons.

Vous posez la question du rôle de la France et de l’Union Européenne dans ce conflit au Bélarus mais je souhaite également poser la question du rôle du Bélarus pour l’Europe. Le Bélarus possède une histoire commune avec au moins deux pays européens, la Lituanie et la Pologne, ce passé ne peut pas être ignoré, il forge aussi une communauté de destin. Le Bélarus est un pays avec lequel l’Union Européenne doit développer une relation particulière parce qu’il est à sa frontière ! C’est avec ce pays (et avec l’Ukraine) que l’Union Européenne doit redéfinir sa politique de voisinage, sa politique au-delà de ses frontières. Le Bélarus a un grand rôle à jouer dans notre politique de voisinage.

Est-ce que ces mouvements de lutte doivent être soutenus par les citoyens européens ? Qui peut faire évoluer les choses ?

Bien sûr ! Les citoyens européens ne doivent pas détourner le regard de ce qui se passe à nos portes ! Malgré la pandémie, malgré la très difficile et inédite période que nous traversons, nous ne pouvons pas oublier que la « dernière dictature d’Europe » est peut-être en train de tomber. La première chose à faire est déjà de s’informer, de suivre les évènements, de soutenir toutes les communautés et diasporas bélarusses qui s’organisent à travers l’Europe. La communauté bélarusse de Paris par exemple est très active, propose des événements en ligne, des manifestations : ne les lâchons pas, ne les laissons pas tomber. Ils ont besoin de notre énergie et de notre soutien.

Qui peut faire évoluer les choses ? Les Bélarusses. Les prochains mois seront décisifs et je crois profondément que s’ils redémarrent les manifestations de masse, les grèves dans les grands sites industriels du pays, les grèves dans les universités et que les démissions tombent en cascade dans les administrations du régime, le pays sera totalement à l’arrêt et Lukashenka n’aura plus le choix, il devra partir. Et toutes ces actions, nous pouvons les soutenir !

Financer les comités de grève, les associations d’aides aux opposants politiques et les médias indépendants, cela participe à fragiliser cette dictature et à offrir des perspectives de liberté et de démocratie au peuple bélarusse.

Lorsque la petite flamme de la résistance se rallumera intensément au printemps, nous devrons l’aider à rester allumée le plus longtemps possible, elle ne doit pas s’éteindre.

Thématiques associées

Je reçois la lettre d'information du Mouvement Démocrate

Engagez-vous, soyez volontaires

A nos côtés, vous serez un acteur de nos combats pour les Français, pour la France et pour l'Europe.

Chaque engagement compte !

Votre adhésion / votre don

Valeur :

Coût réel :

20 €

6,80 €

50 €

17 €

100 €

34 €

Autres montants

Qu'est ce que la déclaration fiscale sur les dons ?
Filtrer par