François Bayrou : "Pour tenir nos engagements sur l'électricité décarbonée, il faut augmenter le renouvelable, avec une énergie pilotable sans effet de serre donc le nucléaire."

François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité de Grégory Philipps sur France culture, Samedi 30 octobre à 12h45, dans l'émission "Politique !"
Retrouvez la retranscription de cette émission. 

Grégory Philipps - Bonjour François Bayrou.

François Bayrou - Bonjour.

Maire de Pau, mais plusieurs fois Ministre, Président du Modem et, depuis un peu plus d'1 an, Haut-Commissaire au Plan, nommé par Emmanuel Macron.

Avec vous, on va parler de ce que devrait être la France dans 10, 20 ou 30 ans. On a du temps pour cela, mais, d'abord, je voudrais que l'on aille tout de suite à la présidentielle. Vous avez été candidat 3 fois à l'Élysée, en 2002, 2007, 2012. Pas il y a 5 ans et donc pas en 2022. Est-ce à dire, sur un plan personnel, que vous avez renoncé à devenir, un jour, Président de la République française ?

C'est drôle, c'est une question qui revient si souvent que je vais vous faire une réponse que j'ai déjà faite.

Dans ma vie de citoyen, parce que c'est cela que nous sommes, vous, moi, ceux qui nous écoutent, des citoyens, il n'y a pas de place pour le renoncement, à rien. Je fais ce que je crois être nécessaire et l'idée que je pourrais tirer un trait sur l'engagement de ma vie, quelle que soit la forme qu'il prend et qu'il sera peut-être amené à prendre, cette idée n'est pas la mienne.

Je pense que l'on est citoyen de plein exercice et que, dans cette citoyenneté, on fait ce que l'on croit devoir faire, le devoir, l'engagement, la responsabilité, le partage des responsabilités, tout cela, c'est la vie d'un citoyen.

Chacun a sa place, et chacun comme il pense être le mieux.

Je le disais, on est à 5 mois du premier tour. Quel rôle vous comptez jouer dans cette campagne ?

Celle d'un citoyen engagé. C'est une campagne dont vous voyez bien l'enjeu, enfin le caractère crucial, tout le monde voit bien ce qui est en train de se passer.

Une société française dont se révèlent, désormais, aux yeux de tous, des faiblesses qui cheminent à bas bruit, comme l'on dit, depuis des années et des années, depuis des décennies. Il y a des décennies que ce que nous avons sous les yeux se prépare. Il y a une fermentation dans la société, révélatrice de beaucoup de problèmes et de beaucoup de faiblesses.

Ce mal français qui est, aujourd'hui, un mal de tous les pays développés en vérité, c'est précisément ce qui va servir de cadre ou c'est la question principale de l'élection présidentielle : est-ce que l'on peut rompre, tourner la page sur ce mal français ? Retrouver une période ou une époque qui soit de foi dans l'avenir, de confiance dans l'avenir, de certitude que nous sommes un peuple soudé et qui relèvera tous les défis qui se présentent à lui ? Moi, je crois que l'on peut le faire. Je crois que ce grand tournant est possible. Il est souhaitable, bien entendu, et il est à portée de la main.

Sur un plan politique, est-ce à dire que lorsqu'il sera candidat, on vous verra aux côtés du président Emmanuel Macron, faire campagne, tenir meeting ?

En tout cas, je suis engagé auprès du Président de la République parce qu'il me paraît sans conteste, aujourd'hui, être celui qui a le plus de force, de caractère, le plus de volonté, le plus de conscience des difficultés et les incroyables crises qu’il a traversées dans les 4-5 années qui viennent de s'écouler le montrent.

Et je ne vois pas qui peut offrir au pays un avenir, un horizon, une volonté qui soit semblable ou du même niveau que celle qu’Emmanuel Macron peut offrir le jour où il aura décidé de se présenter.

Je le disais tout à l'heure, vous avez participé à trois campagnes présidentielles. Quel regard portez-vous sur ce début de campagne aujourd'hui où l'on débat, par exemple, du Maréchal Pétain, de l'identité française, où un polémiste, pas encore candidat, occupe une part importante de l'espace médiatique ? Quel regard vous portez là-dessus ?

Je vous le disais, je trouve que tous ces désordres cheminent depuis longtemps. Ce n'est pas nouveau. Ce n'est pas neuf. Je vous rappelle qu'il y a 20 ans, en avril, le 21 avril 2002, on a eu des surprises du même ordre. Donc, ces mots ne sont pas neufs, mais, pour la première fois, ils se révèlent aux yeux de tous. On ne peut plus les ignorer.

Vous allez trouver choquant ce que je dis, je trouve que ce dévoilement de la vérité est, finalement, une bonne nouvelle. Au bout du compte, cela nous oblige à ne plus accepter les bandeaux que nous avons sur les yeux, à regarder les choses en face.

Vous dites, il y a des problèmes qui tournent autour de l'identité française. Sans aucun doute. Il y a des problèmes qui tournent autour de l'identité dans tous les pays développés, qui nous entourent, et aussi dans bien d'autres pays chez lesquels, parmi les pays développés, parmi ceux qui ne le sont pas ou pas encore, la question de l'identité tourne à une névrose, à une maladie de l'âme.

Est-ce que c'est ce qu'il se passe en France aujourd'hui ?

En partie, oui, mais c'est bizarre, je n'arrive pas, je suis, comme vous le savez, maire d'une ville, responsable de communautés politiques importantes, chez nous, au pied des Pyrénées. On est sans doute loin des parties, des très grandes agglomérations qui sont en crise plus profonde, mais je pense que le chemin non seulement existe, mais qu'il est atteignable et que l'espèce de perpétuelle dépression dans laquelle on veut nous plonger, ce n'est pas la réalité.

Ce que j'en vois, et dans de multiples parties de la France et de l'Europe où j'ai rencontré des concitoyens, n'a pas le caractère complètement déstabilisé de ce que l'on nous dépeint et ce que l'on nous raconte.

Donc, oui, la France traverse une crise de cet ordre, mais cette crise-là, on peut en sortir, on peut la regarder en face et en sortir à condition d'accepter de poser les questions comme elles se posent.

Vous parliez de l'identité. Moi je pense qu'il y a un droit à l'identité pour une société, pour un peuple. Il y a un droit, j'ai écrit cela dans plusieurs livres dans les années passées, pour une société à souhaiter que ces modes de vie, "ces valeurs" comme l'on dit, le mot est un peu fourre-tout, un peu valise, il y a un droit à ce que ces valeurs se perpétuent dans l'avenir, à ce que les femmes et les hommes pensent que, demain, ne sera pas l'effacement de tout ce qu'ils ont construit ensemble.

Vous savez bien, les très grands auteurs qui sont, pour moi, très importants, Péguy, par exemple, c'est exactement ce qu'ils portent, ce qu'ils disent, et donc ce désir-là ou cette attente-là est une attente saine. Ce qui n'est pas sain et qui n'est pas normal, qui est extraordinairement dangereux, c'est de passer sa vie à verser de l'essence sur les braises parce que, là, vous êtes sûr que l'on ira vers un incendie destructeur.

Éric Zemmour qui, selon les informations de nos confrères de France Inter, pourrait annoncer sa candidature dans les prochains jours, depuis Colombey-les-Deux-Églises, avec, évidemment une référence au Général de Gaulle. Cela vous choque ?

C'est une provocation. On ne peut pas, à la fois, se vêtir, au moins dans les mots, de la toge du Général de Gaulle, de ce que le Général de Gaulle, cette figure historique incroyable, a apporté à la France et, en même temps, défendre précisément tous ceux qui ont essayé, toute leur vie, de détruire l'œuvre du Général de Gaulle.

Se prétendre de la famille, même lointaine, du Général de Gaulle en se faisant le défenseur du pire dans Pétain, comment est-ce possible ? En prétendant que Pétain, ce qu'il a fait, c'était pour sauver les Juifs français, comme s'il était indifférent de livrer des enfants juifs étrangers, étrangers européens, en plus voisins de la même culture, de la même manière de vivre ?

Nous sommes ici, dans les Pyrénées-Atlantiques, il y avait, comme vous le savez, sans doute l'un des grands camps de concentration français, c'est le camp de Gurs, que nous honorons et que nous voulons présenter à ceux qui nous entourent. On enfermait là des enfants juifs avant de les expédier.

Le nombre de très grands esprits qui, à cette époque, étaient stigmatisés parce qu'ils appartenaient à cette culture et à cette communauté juive, par exemple, Hannah Arendt. Elle a été enfermée au camp de Gurs. Vous croyez que c'est indifférent d'avoir été de ce côté-là, de ceux qui enfermaient, de ceux dont l'autorité, le prestige couvraient ces abominations ?

Vous croyez que c'est indifférent de pouvoir défendre cela et se dire, en même temps, se prétendre du côté du Général de Gaulle ? Mais de quelle incroyable imposture on parle ? De quel incroyable dévoiement de la vérité ?

Vous disiez, tout à l'heure, "la vérité éclate enfin" ; avec quel mot pouvez-vous qualifier Éric Zemmour ?

Tout le monde, parmi nous, connaît Éric Zemmour depuis des décennies. C'était un journaliste intellectuellement agile, avec des prises de position et, peu à peu, il s'est laissé enfermer dans son propre piège. Il est devenu amoureux de sa propre dérive. Il s'est enivré de ce qui est, pour moi, historiquement, un terrible danger pour la société française, et pour la France et pour l'image de la France.

Je me suis fâché, l'autre jour, parce que les organisateurs d'une journée qui s'appelait "la journée des conservateurs", je crois, avaient invité Zemmour, mais Zemmour n'est pas un conservateur. C'est quelqu'un qui porte la subversion, qui essaie de détruire ce qui est le plus précieux de l'héritage français.

Alors vous voyez bien, évidemment, comment cela peut régaler un certain nombre de personnes, mais ceci est un danger épouvantable pour notre pays, pour notre nation et pour ce qu'elle a apporté au monde.

François Bayrou, si l'on regarde ce qu'il se passe maintenant au Centre, il y a donc ce projet de "Maison commune", est-ce toujours ainsi qu'on l'appelle d'ailleurs ? Dites-moi.

Il n'y a pas encore de nom fixé, arrêté, dévoilé.

En tout cas, un rapprochement entre votre parti, le Modem, et la République en Marche. Quel calendrier ?

On a toujours dit depuis le premier jour où nous allons lancer cette idée, avant Noël.

Donc, d'ici fin novembre, décembre, on peut imaginer voir officialisé ce rapprochement. Quelle est la philosophie derrière ?

C'est très simple et, pardonnez-moi de le dire, c'est essentiel. Il y a au centre de la vie politique française depuis plus d'un siècle, des courants que l'on appelle "démocrates" pour simplifier. Un grand courant central, un grand socle central qui porte une philosophie qu'il est à peu près le seul à porter et à assumer jusqu'au bout. Je vais prendre le mot le plus simple pour le définir, "une philosophie humaniste".

Ceux qui pensent que l'homme n'est pas au service de l'économie, mais que l'économie devrait être au service de l'homme. Ceux qui pensent qu'il est improbable et absurde de dire que l'on multipliera les solidarités, y compris financières, mais que l'on ne produira pas les biens, les richesses qui permettent d'assumer ces solidarités-là.

Vous voyez que cette volonté de réunir en une seule, tout ce qui fait la volonté historique de la France que l'on a appelée, tour à tour, "République", "démocratie", c'est la même idée, c'est-à-dire, pour aller un tout petit peu plus loin, j'aime beaucoup la définition qu'un philosophe, le grand philosophe de notre famille politique, qui s'appelle Marc Sangnier, il y a déjà très longtemps, presque un siècle, a donnée de la démocratie. Il a dit : "la démocratie, c'est l'organisation sociale qui, porte à son plus haut, la conscience et la responsabilité des citoyens".

Cette idée civique-là que nous ne sommes pas des consommateurs uniquement, que nous ne sommes pas des producteurs uniquement, que nous ne sommes pas des sujets, que nous ne sommes pas là uniquement pour obéir, cette idée, selon laquelle nous sommes coresponsables du destin du pays, voilà la philosophie politique que porte cette famille politique.

Il se trouve que, pendant des décennies, on a voulu effacer cette famille politique et on a dit que tout ceci n'existe pas, ce qui compte, c'est droite ou gauche.

Il se trouve qu'aucune des raisons que je viens d'invoquer devant vous, ne peut être, comment dirais-je, expliquée, éclairée par la bipolarisation et, donc, cette famille politique qui, pendant longtemps, a été minoritaire, vous l'avez dit gentiment, que j'ai défendue au long de ma vie politique en prenant des risques, parfois, je reconnais, déraisonnables, en tout cas, pour ceux qui font carrière, mais bon, des risques personnels et politiques pour cette famille dont je portais la responsabilité, il se trouve que l'on a réussi en 2017, par l'alliance avec Emmanuel Macron, à l'installer comme majoritaire.

Il faut maintenant qu'elle s'organise parce que les temps exigent que cette famille soit présente et qu'elle soit forte. C'est ce que nous allons faire.

Et, à côté de cela, vous avez, par exemple, l'ancien Premier ministre, Édouard Philippe, qui crée son mouvement, lui aussi, pour soutenir Emmanuel Macron. Qu'est-ce qui vous divise ou qui vous rapproche avec Édouard Philippe ? On a l'impression que ce qui vous divise est plus important.

Non je récuse absolument ce genre de vision.

Édouard Philippe et moi, nous avons une différence politique depuis longtemps, c’est que, il l'a exprimée à beaucoup de reprises, l'aventure dans laquelle il s'est reconnu, c'est celle de l'UMP, c'est-à-dire une famille politique qui affirmait que la droite et le centre, c'était la même chose. Et moi, comme vous savez, j'ai refusé cette interprétation, j'ai refusé cet embrigadement pour au contraire défendre l'idée que je viens d'exprimer devant vous, qu'il y a une droite et qu’elle a parfaitement le droit d'exister et on peut travailler avec elle et il y a une gauche, il y a plusieurs gauches d'ailleurs et plusieurs droites, elles ont le droit d'exister, on peut travailler avec un certain nombre d'entre elles et sans doute est-ce nécessaire.

Et cependant, il y a un courant central qui a son identité et son originalité, qui a son message, sa philosophie et sa nécessité historique.

Sur ce point, Édouard Philippe a dit : Je suis un homme de droite. Moi, je suis un homme du centre. Si vous voulez que cela rende compte de différences, c’en est une, mais on ne va pas les exacerber.

Cela veut dire qu’ensemble vous pourrez faire campagne pour Emmanuel Macron ?

Sans aucun doute. En tout cas, moi, je ferai campagne pour Emmanuel Macron, s’il décide de se présenter ou quand il aura décidé de se présenter et je ferai campagne avec tous ceux qui décideront de soutenir le même candidat et la même démarche politique, car le candidat, cela compte énormément, on ne vote pas pour une idée, on vote pour une personne, mais les idées cela compte aussi. Et tout ce que j'ai vu depuis cinq ans dans les choix, dans les affirmations du Président de la République correspond en profondeur à cet engagement-là qui se retrouve dans des hommes comme Mendès France, comme Jacques Delors, comme tous ceux qui avaient, dans la vie politique française, ces grands choix humanistes-là.

Depuis septembre 2020 vous êtes Haut-commissaire au Plan sous l'autorité du Président de la République. Votre mission, c'est d'offrir des perspectives, d'imaginer la France dans 10, 20 ou 30 ans et, comme chaque samedi, j’accueille dans ce studio l'historien Nicolas Roussellier.

Bonjour Nicolas et c’est évidemment votre regard d’historien qui nous intéresse. Elle remonte à assez loin, cette notion de plan.

Nicolas ROUSSELLIER : Oui et effectivement j'aimerais bien saisir l'occasion de l'invitation de François Bayrou Haut-commissaire au Plan pour s'interroger sur ce drôle de retour.

Le drôle de retour de ce mot, de cette chose qui s'appelle le Plan parce que cela fait déjà un moment que l'on avait oublié le mot. Le mot avait été remplacé par celui de stratégie, comme dans l'expression « Etat stratège ». Cela fait à peu près 30 ans que l'on ne parle plus réellement de Plan. Donc l'idée comme le mot semblaient bel et bien enterrés. Or, je pense qu'il lui restait toujours une dimension de prestige.

D'où vient cette notion de prestige ?

Nicolas ROUSSELLIER : il faudrait rappeler quelles ont été les grandes heures de la planification. Cela a presque un côté légendaire aujourd'hui si l’on se souvient du premier Plan de 1946 associé au nom de Jean-Monnet.

Pourquoi cet aspect légendaire ? Parce que vous aviez d'abord le côté reconstruction, on se retrousse tous les manches. Vous aviez le côté un État fort, efficace, qui finalement se fixe un nombre assez limité d'objectifs pour le premier Plan de 1946, s'appuie sur les nationalisations, secteur public très important, le contrôle des prix et, dans une certaine mesure même une mesure assez importante, cela marche.

Vous aviez aussi le côté consensus que l'on peut appeler le consensus de 1945 : communistes et socialistes sortis de la Résistance voient dans la planification en quelque sorte la première étape vers une société socialiste et, peut-être plus surprenant, dans de Gaulle, les gaullistes, une partie de la droite, se félicitent aussi de la planification. Ce sont eux qui la portent, car ils y voient un gage de puissance, y compris sur les aspects militaires, une puissance nationale.

Vous aviez aussi les partenaires sociaux, les commissions de modernisation associées au Plan permettaient cette rencontre entre patronat, syndicats ouvriers, ce n'était pas toujours facile, mais il y avait l'idée qu'une démocratie sociale était à l'horizon. Enfin, cerise sur le gâteau, vous aviez des choses concrètes qui ont marqué les esprits : très intéressant de voir que le TGV, qui peut être considéré comme un symbole de succès, a été décidé dans le VIe Plan au tout début des années 70 quand il est encore temps, si je puis dire, de faire un Plan et d'y croire, c'est-à-dire avant les crises du pétrole.

Pourquoi est-ce qu’un temps en tout cas, on a abandonné cet instrument ?

Nicolas ROUSSELLIER : Pourquoi abandonner un instrument qui marche aussi bien ? Il marche parce qu'il est fondamentalement associé à un certain type d'État, à un État que l'on pourrait qualifier de souverain et régalien à la fois. Et, ça, cela a été abandonné à partir des années 80 et surtout début 90.

Vous aviez d'un côté le mot décentralisation. Si vous avez des régions qui sont avec des assemblées et des présidents démocratiquement élus, vous avez une avancée démocratique donc vous ne pouvez plus faire un Plan à Paris, jacobin ; il faut maintenant négocier ce Plan ; c'est ce que l'on appelle les contrats État-Région, il faut négocier avec les collectivités locales.

Vous avez un détricotage par le bas et, à la même époque, début des années 90, l'Union européenne, la France ne peut plus se permettre de faire dans son coin, à l'abri de son hexagone, un Plan pour elle toute seule, elle doit forcément se concerter avec la commission de Bruxelles et, là, vous avez un détricotage par le haut. Et tout cela, c'est dans un cadre, un contexte tout à fait important, le contexte de privation, de recul du secteur public industriel, la mondialisation, l'idée au fond qu'un État ne peut plus être conçu comme supérieur, comme c'était le cas en 1945.

C'est presque ontologique, il était considéré comme supérieur au marché lui-même, car le marché était considéré comme déficient.

Si je vous suis, tout a changé. Pourquoi le retour du Plan aujourd'hui ?

Nicolas Roussellier : Oui, tout a changé.

Pourquoi revenir au mot de Plan ? J'y vois deux raisons. La première, c'est parce que, quand on a abandonné le Plan au début des années 90, en fait, au même moment, on a multiplié des petits plans comme des petits pains, on a multiplié des plans sectoriels, un Plan pour l'université 2000, un plan Cancer, un Plan contre la pauvreté. Chaque sujet étant bien sûr légitime, mais du même coup l'État a confié son action publique au modèle des agences et les plus célèbres et qui sont très critiquées, ce sont les ARS, les Agences Régionales de Santé.

Du coup, un impératif apparaît depuis la crise Covid, c'est l'impératif de la coordination : comment coordonner tous ces petits plans qui ont tendance à avoir étendu l'État en horizontalité, mais plus de verticalité.

Enfin, la deuxième raison, cela rejoint l'idée de notre émission, Grégory, c'est-à-dire la campagne présidentielle, est plus politique et plus profonde. Dans notre élection présidentielle, la convention implicite, c'est que nous choisissons un président, une présidente à condition que l'on donne à ce président tout une série d'horizons, d'annonces et de promesses qu'il a pu faire. On n’imaginerait pas un président ou une présidente en quelque sorte doté(e) de toutes nos attentes, les attentes des électeurs et qui, ensuite, ne pourrait pas embrayer sur une administration en état de marche.

Si l’on nous disait que l'administration ne suit pas derrière, ce serait un véritable problème.

Donc je pense que le retour du mot, peut-être la chose, c'est plus compliqué, mais le mot de Plan est un peu le retour d'un mot qui est ici pour conjurer tous les doutes que nous avons sur la puissance publique et que certains appellent l'impuissance publique.

Merci Nicolas Roussellier.

François Bayrou en tant que Haut-commissaire au Plan, comment est-ce que vous comptez ou pouvez peser sur le débat public en France ?

D'abord je trouve que ce que Nicolas Roussellier vient de dire est très juste et comme on ne fait pas souvent de compliments dans les émissions, qu'au moins on puisse faire celui-là.

Je vais le dire à ma manière, d'abord il est tout à fait juste que ce que nous avons voulu relever, c'est le mot et l'ambition contenus dans cette tradition du Commissariat au Plan.

C'est tout à fait exact.

Évidemment, le Plan aujourd'hui n'est pas le même qu'il était en 1945, mais je voudrais vous dire ce qui est pour moi essentiel.

Est essentielle d'abord l'idée que l'on puisse réintroduire dans le débat public la réflexion à 10, 20, 30 ans.

Alors que le débat public, vous l'avez souligné vous-même, vous pousse à l'immédiateté, les chaînes de télévision en continu, les réseaux sociaux, les emballements journalistiques, il y en a comme vous savez, tout cela pousse à l'immédiateté et on veut des mesures tout de suite pour une situation que l'on a découverte hier matin et qu'il faut avoir résolue demain soir.

Donc ayons cette perspective 10, 20, 30 ans.

La Chine a un Plan qui est un Plan à 30 ans dans lequel ils décident secteur par secteur - c'est la puissance du parti communiste chinois et Dieu sait que je ne l'envie pas comme type d'organisation, mais la perspective est très importante.

Ensuite, en effet, ce que Nicolas Roussellier a dit est extrêmement juste, mais on peut aller je crois encore un peu plus loin dans cette analyse.

Pourquoi est-ce que l'idée de Plan avait disparu ? L'idée d'un Plan auquel on réfléchit ensemble et en tout cas de la perspective que l'on se donne.

Pourquoi ? Parce que le Plan suppose une idée de l'intérêt général et, pendant des années et des années, cette idée avait disparu, depuis Reggan - Thatcher pour simplifier au profit d'une certitude ou d'une idéologie ou si on voulait comme on est à France Culture, on peut dire une méta idéologie, une idéologie souterraine qui était l'idée qu'on n'avait pas à définir par une démarche commune ce que devait être le choix des entreprises.

Je l'avais dit, j'ai écrit cela il y a très longtemps, l'idée s'était introduite qu'au fond l'intérêt général n'était pas autre chose que la somme des intérêts particuliers.

Et le Plan, c'est l'inverse de cela.

Et c'est exactement l'inverse de cela, c'est-à-dire l'idée que, oui il y a des enjeux nationaux en particulier, pas seulement nationaux, européens aussi, il y a des enjeux de société et de civilisation qui devraient orienter les efforts de toute la communauté nationale publique et privée.

On avait complètement rompu avec cette idée et, permettez-moi de le dire, y compris à gauche qui normalement, idéologiquement, aurait dû être sur une autre ligne, mais y compris à gauche, l'idée s'était introduite depuis en effet les années 80 que, bon, le Plan cela ne marchait pas.

Vous vous souvenez de ce congrès du parti socialiste incroyable dans lequel Michel Rocard défendait l’idée qu’entre le Plan et le marché il n'y avait rien et où Laurent Fabius, dans une formule géniale, il en a eu quelques-unes, était monté à la tribune pour dire : Michel Rocard, vous vous trompez, entre le Plan et le marché il y a le socialisme. »

Moi, je crois que cette nécessité de trouver - ma réponse ne serait pas la même - l'intérêt général qui s'exprime dans la société - la phrase que je vais dire est pour moi très importante même si on n'a pas le temps d'y insister - et l'État devrait être non seulement stratège, définir l'intérêt général, mais l'État devrait être fédérateur, c'est-à-dire que les grands acteurs de la société et les entreprises privées autant que l'action publique devraient être invités à partager ces objectifs.

Je vais en citer un qui est très simple, qui est pour nous un programme de travail : ce n'est pas possible que la France soit en déficit commercial de 60 Md€ par an alors que l'Allemagne est en excédent commercial de 250 Md€. Ce n'est pas possible parce qu'il n'est pas vrai que les Allemands soient tellement plus forts, tellement mieux organisés, tellement plus adaptés aux évolutions du temps que nous ne le sommes.

C'est parce que nous avons renoncé peu à peu, il y a eu une dérive, on a laissé partir l'activité, on a laissé partir la production.

Justement, parce qu’il s'agit, en tant que Haut-commissaire au Plan, d'avoir un regard à 10, 20 ou 30 ans, c'est ce que vous disiez à l'instant, je vous présente Nora Abadi qui vient d'entrer dans ce studio, productrice de l'émission Sous les radars sur France Culture juste avant cette émission.

Nora, tout à l'heure vous évoquiez ce manque de main-d’œuvre dans certains secteurs avec certaines régions vous avez pris l'exemple de Cherbourg je crois qui peine à recruter et vous avez une question pour François Bayrou sur ce thème-là.

Nora ABADI : Oui, bonjour.

Nous avons exploré les raisons qui conduisent à un manque de main-d’œuvre chronique dans certains territoires français.

On voit à quel point l'industrie, la construction, le tertiaire, notamment la restauration et tous les métiers du soin en fait ont des difficultés à recruter. Cela fait plusieurs semaines que l'on en parle.

Est-ce que vous, Haut-commissaire au Plan vous considérez qu'il faut augmenter substantiellement les salaires dans ces sphères d'activité ou alors diminuer le temps de travail pour attirer les candidats ?

Pardonnez-moi, je crois que les remèdes magiques comme cela, c'est une pensée fausse, c'est une boussole fausse.

Lorsque la candidate du parti socialiste dit : « Je vais doubler le salaire des enseignants au moins » mais c'est purement et simplement une promesse fallacieuse.

Il n'y aura pas d'augmentation durable des salaires s'il n'y a pas d'augmentation durable de la production.

C'est vrai, entreprise par entreprise, mais c'est vrai pour l'ensemble de la société. C'est une illusion que de prétendre le contraire.

Quels sont les problèmes que nous avons ?

Nous allons écrire avec le Plan une note sur le sujet de l'orientation vers l'emploi.

Premièrement, la formation, deuxièmement, une organisation du travail, troisièmement, le gouvernement s'y emploie, essayer d'éviter les trappes à inactivité, essayer d'éviter si l’on peut les trappes à bas salaires parce qu'on a organisé toutes les choses dans la société depuis longtemps, depuis des gouvernements successifs, pour que le Smic soit totalement dépourvu de charges de sorte que les employeurs ne font pas sortir leurs salariés du Smic, car, sans cela, ils vont avoir des avalanches de charges - c'est comme cela qu'ils le ressentent - et donc on fait des trappes à bas salaire.

On fait aussi des trappes à inactivité. Dans un très grand nombre d'entreprises dans ma région par exemple dans le bâtiment où de jeunes garçons absolument capables, absolument doués viennent et disent : « moi, je veux un contrat de 4 mois et pas plus parce qu’après je veux reprendre d'autres activités, d'autres expériences », mais, cela, ce sont des trappes à inactivité.

Donc les salaires augmenteront, doivent augmenter au fur et à mesure que la capacité de production augmente. Et c'est la raison pour laquelle je défends le fait que l'on facilite à l'extrême ce qui est participation et intéressement. Le bénéfice de l'entreprise devrait aller beaucoup plus facilement encore vers les salariés qu'il ne va aujourd'hui.

On a fait des progrès. Je suis persuadé que l'on peut aller encore plus loin dans ce sens-là et c'est probablement le moyen que chacun des salariés mesure le bénéfice qu'il peut attendre de son engagement professionnel.

François Bayrou, je rebondis sur ce que vous disiez tout à l'heure en évoquant cette promesse d'Anne Hidalgo de quasiment doubler le salaire des enseignants. Avez-vous le sentiment que, dans ce début de campagne, les promesses pleuvent comme à Gravelotte ?

C'est exactement cela et tout le monde le sait. Il n'y a pas un seul de ceux qui nous écoutent qui ne sache cela. Les promesses sont multipliées, on ensevelit la campagne sous des promesses qui sont toutes aussi intenables les unes que les autres et on y ajoute des promesses de baisse d'impôts, baisse de taxes. Les mêmes candidats/candidates disent en même temps : on va multiplier les salaires.

Arrêtons-nous une seconde car nous sommes sur une radio qui est très écoutée par mes collègues enseignants.

On ne peut pas augmenter le salaire des enseignants sans augmenter les retraites. Il y a un cadre légal, une loi qui crée un lien de solidarité entre le salaire d'activité et le montant de la pension.

Et on ne peut pas augmenter en raison de la grille de la Fonction publique les uns sans augmenter les autres, le personnel de santé par exemple et donc ce sont des promesses fallacieuses.

On se moque du monde avec une désinvolture incivique, ce n'est pas de cette manière que j'imagine l'engagement politique.

J'entends ce que vous dites et à la fois on voit dans les sondages par exemple que le pouvoir d'achat est la priorité absolue des Français et qu'il faut faire quelque chose parce que, quand on va à la pompe par exemple, payer son plein d’essence, certains se privent d'autres dépenses.

Vous avez vu que le gouvernement vient précisément de prendre des décisions sonnantes et trébuchantes pour aider ceux qui ont des difficultés précisément au passage à la pompe.

Est-ce que vous craignez, François Bayrou, si la question du pouvoir d'achat ne s'améliore pas, que l'on voie éclore à nouveau un mouvement gilets jaunes avant la présidentielle ?

Je ne pense pas que le mouvement des gilets jaunes soit limité à cette question du pouvoir d'achat.

Je pense que c'est un mouvement très profond qui doit être pris en compte de manière sérieuse, pas dans ses manifestations qui sont parfois scandaleusement violentes ou à d'autres moments répétitives et agaçantes pour l'observateur inattentif sur bien des sujets.

En revanche, je pense qu'il y a plusieurs questions.

D’abord, ce que l'on a appelé le mouvement des gilets jaunes, ce n'est pas un mouvement des marginaux dans la société française, c'est un mouvement de ceux qui étaient au cœur de la société française, salariés, salariés du bas de la pyramide ou du milieu de la pyramide, retraités, ruraux, rurbains, c'est-à-dire ceux qui faisaient depuis des décennies le socle le plus solide de la société française.

Et donc pourquoi ? Parce qu'ils ont eu peu à peu le sentiment, et il n'y a pas de doute qu'il y a des décisions, des mesures où l'on n'a pas fait attention à ce qui était en train de se passer et si vous m'interrogez à nouveau tout à l'heure dans une dernière question je vous dirai quoi…

Il nous reste 2 minutes François Bayrou !

Ils ont peu à peu été envahis de la certitude du manque de considération.

C'est pourquoi je pense qu'une des décisions ou une des orientations les plus fortes du Président de la République a été le Grand débat, c'est-à-dire prendre des heures et des dizaines d’heures, et des centaines d’heures pour parler d'homme à homme les yeux dans les yeux avec tous ceux qui étaient là quel que soit leur statut, il y avait des élus et il y avait des gilets jaunes.

Donc, manque de considération et aussi un certain nombre d'idées qui étaient des idées de facilité, et je tiens la promesse que je vous avais faite, je pense qu'il s'est introduit dans un certain nombre d'esprits l'idée qu'il y avait un truc assez facile pour résoudre les problèmes des finances publiques et que, ce truc, c'était qu'on allait remplacer les impôts directs par des taxes sur les carburants en même temps, car cela faisait plaisir aux écologistes et, quand même, c'était drôlement rentable pour le portefeuille de l'État.

Je pense que cette idée était une idée dangereuse et fausse.

Il nous reste 30 secondes et vous évoquiez les promesses des différents candidats.

Yannick Jadot qui évoque une sortie du nucléaire dans les 20 ans qui viennent, vous êtes Haut-commissaire au Plan, est-ce possible ?

C'est impossible et je pense qu'il le sait, et c'est démagogique.

Je pense que, si l'on réfléchit à la question, nous avons produit une note avec le Haut-commissariat au Plan il y a 6 mois qui a, je crois, changé le climat autour du nucléaire.

Cette note dit quelque chose d’extrêmement simple : si l'on veut tenir notre engagement de produire de l'électricité sans émettre du gaz à effets de serre, il faut à la fois conduire l'augmentation du renouvelable et dans le pilotable : quand il n'y a pas de vent, il n'y a pas de vent et quand il n'y a pas de soleil il n'y a pas de soleil donc il faut à la fois du renouvelable et ce que l'on appelle du pilotable.

Le seul pilotable qui n'émette pas de gaz à effets de serre en dehors de l’hydro électricité qui est limitée, c'est le nucléaire. Il n'y a pas d'autre solution et il faut prendre des décisions rapides si l’on veut éviter à la société la crise de l'énergie qui se dessine à l'horizon.

François Bayrou, merci.

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