Se sentir mal dans une France qui va bien : analyse du démographe Hervé Le Bras

Hervé Le Bras

Pour le dernier Grand débat avant la nouvelle année, le Mouvement Démocrate recevait le démographe Hervé Le Bras. À la veille du mouvement social du 5 décembre, il est venu parler d’un paradoxe français : les Français ont tendance à se sentir mal dans une France qui va bien.

Démographe, Hervé Le Bras observe comment le pays se porte

"Qu’est-ce qu’un démographe ?" En lançant cette question, Alice Le Moal, secrétaire générale adjointe du Mouvement démocrate, permet à Hervé Le Bras d’exposer le cœur de sa démarche. "C’est un social scientist", répond-il, "quelqu’un qui s’occupe des questions de population, qui observe comment le pays se porte". Mais, Hervé Le Bras y insiste, suivant en cela Max Weber, "le savant et le politique n’ont pas la même mission. Ce n’est pas au chercheur de formuler des propositions politiques. Son rôle est d’éclairer les chemins possibles : examiner, pour telle décision prise, les conséquences."

Se sentir mal dans une France qui va bien, dernier ouvrage d’Hervé Le Bras (éditions de l’Aube), met l’accent sur un décalage étonnant : entre les opinions et les faits. D’un côté, les indicateurs sont plutôt positifs, notamment pour les prestations sociales ; de l’autre, les Français ont souvent une perception négative de leur situation. 94% des Français s’estiment heureux de vivre dans leur pays. Or, si l’on regarde les Eurobaromètres, ils sont généralement dans le dénigrement de l’action publique, du politique, des institutions, de l’administration.

Les raisons du dénigrement de l’action publique

Sur la crise des gilets jaunes, Hervé Le Bras se montre circonspect. "L’histoire des gilets jaunes est délicate à retracer, selon les épisodes". Et surtout, selon lui, "c’est l’incompréhension persistante du gouvernement sur un point qui a envenimé la situation : le rôle essentiel de la voiture dans le quotidien des gens n’a pas été suffisamment pris en compte". Le démographe invite aussi à être prudent dans l’interprétation des sondages sur le soutien aux gilets jaunes : entre « avoir de la sympathie », « soutenir » et « vouloir être un gilet jaune », le sens n’est pas le même.

"La cartographie de la France des gilets jaunes ne coïncide pas", selon Hervé Le Bras, "avec la France du vote Rassemblement National. Elle correspond, bien plutôt, à une France du vide, qui se dépeuple". Un bon indicateur du malaise ressenti serait ainsi la distance et le temps mis en voiture qui sépare d’endroits essentiels comme un hôpital, une école, un petit commerce.

Pourquoi les Français se sentiraient-ils mal dans une France qui va bien ?

Pour Hervé Le Bras, la situation d’un pays ne se comprend pas isolément. On se sent mal lorsqu’on se compare aux autres, comme le disait déjà Jean-Jacques Rousseau. Et c’est de l’envie que naît le ressentiment.

Selon Hervé Le Bras : "Dans un pays qui va plutôt bien, plutôt mieux, les aspirations, les manques se font sentir d’autant plus vivement".

"C’était l’analyse de Tocqueville sur la Révolution française, qui a éclaté à un moment où la France n’était pas en détresse économique. On parle alors de frustration relative pour décrire ces points de bascule vers une crise".

La méritocratie en crise

Lors de la discussion avec la salle, la question du ressenti individuel face à un relatif bien-être de la société a été évoquée. Les nouvelles trajectoires professionnelles, plus hachées et incertaines, où l’on peut monter, descendre, remonter, peuvent expliquer un sentiment de peur. Les jeunes ont tendance à penser que l’ascenseur social, pour eux, est bloqué, là où il fonctionnait encore pour leurs parents, qui ont généralement pu s’élever socialement au-dessus de leurs propres parents. La question de l’éducation est primordiale, Hervé Le Bras l’a bien souligné : "le rôle d’un enseignant ne devrait pas être de valoriser seulement ceux qui réussissent, mais aussi d’aider ceux qui ont le plus de mal". Si le gouvernement fait des efforts en faveur de l’apprentissage, la frontière, très française, entre les métiers manuels et les métiers intellectuels est encore difficile à franchir. En Allemagne, il n’existe pas une telle séparation. "En France, la méritocratie a été érigée en idéal, en mythe, et cela a son revers. Arrivés à 30 ans, certaines personnes ont l’impression d’être bloquées, empêchées, comme à l’arrêt. D’où un fort ressentiment".

Hervé Le Bras a rappelé son attachement au département, un bon échelon, que la Révolution avait bien pensé. En 200 ans d’histoire, le département a même modelé le paysage social.

Sur le mouvement social qui débute, Hervé Le Bras comprend que les agriculteurs n’aient pas souhaité se joindre au mouvement, tant leur retraite est maigre. Cette question des retraites met en jeu des trajectoires de vie. Il importe vraiment de prendre en compte la diversité des situations. Dans cette perspective, la retraite à points, défendue depuis longtemps par François Bayrou, lui paraît une bonne idée.

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