Les enjeux de la crise au Bélarus

Pour le premier Grand débat de la saison, notre secrétaire générale adjointe Alice Le Moal a choisi de nous parler de la crise au Bélarus, révélatrice de fractures et de tensions internationales. Le philosophe et essayiste Nicolas Tenzer et le député des Français établis hors de France Frédéric Petit analysent la situation du Bélarus, qui est aussi porteuse d’espoirs pour la démocratie et la liberté.

En ouvrant ce grand débat, Alice Le Moal a exprimé notre communion à tous avec l’hommage rendu ce mercredi 21 octobre à Samuel Paty, sauvagement tué pour avoir enseigné les valeurs républicaines de laïcité et de liberté.

C’est précisément de liberté qu’il est question dans ce Grand débat sur le Bélarus. Si l’on a trop souvent coutume, en France, au quai d’Orsay, de parler de Biélorussie, le député des Français hors de France, Frédéric Petit nous rappelle que les Bélarus s’appellent eux-mêmes Bélarus, depuis 1998. Lorsque Staline avait intégré ce pays à l’URSS, il en avait fait une partie de la Russie. Le nom Bélarus exprime la liberté, l’autonomie conquise. Et c’est ainsi qu’à l’ONU on nomme ce pays.

Chef de l’Etat depuis 1994, Alexandre Loukachenko a été réélu en août dernier dans des conditions très contestées. La répression, les emprisonnements d’opposants témoignent de son pouvoir dictatorial, qui n’a aucune légitimité. L’accès à internet, les transports en commun sont étroitement contrôlés. Loukachenko n’est pas aujourd’hui reconnu comme le président élu, il est important de le souligner, nous explique le philosophe Nicolas Tenzer. De la rue est venu un soulèvement, une indignation : ce sont jusqu’aux femmes enceintes qui manifestent pour la démocratie et la liberté.

Si le Bélarus est très en pointe sur les nouvelles technologies, la liberté d’expression ne peut pas s’épanouir encore. La radio et la télévision officielles sont aux mains de personnes envoyées par le Kremlin.

Frédéric Petit, qui connaît intimement ce pays et cette région, nourrit une inquiétude : les opposants ont beau être, pour l’instant, dans une forme de sagesse, une explosion de violence reste toujours possible.

C’est une recherche d’identité que mène le Bélarus actuellement, bien plus qu’un simple changement d’alliance. Le prix Nobel de littérature décerné en 2015 à Svetlana Aleksievitch montre bien cette dignité retrouvée. Il faut lire le très beau livre Les cercueils de zinc, qui parle des mères et de leur force. Pour autant, l’économie du Bélarus est dépendante de la Russie et le restera, quoi qu’il arrive.

Le parcours de Svetlana Tikhanovskaïa, qui a pris le relais de son mari, emprisonné et empêché d’être candidat, impressionne fortement. Derrière elle, deux autres femmes se sont engagées : Veronika Tsepkalo et Maria Kolesnikova. La première est la compagne de Valery Tsepkalo, dont la candidature a été rejetée au printemps dernier, la seconde s’est engagée après l’arrestation de Viktor Babaryko, un ex banquier dont elle était la directrice de campagne. Or, Frédéric Petit nous explique que ces trois femmes n’avaient, au départ, rien de commun. Une solidarité féminine s’est créée, qui leur permet d’avancer ensemble. La place des femmes, dans les sociétés slaves, est essentielle.

Nicolas Tenzer abonde dans ce sens, admirant le courage des manifestantes enceintes, la force de la société civile qui revendique son envie de liberté. Ces trois femmes sont en effet en train de passer du stade, naturel, de la révolte à quelque chose de beaucoup plus politique. Svetlana Tikhnovskaïa forme même une sorte de cabinet fantôme, structurant son opposition. Nicolas Tenzer, comme Frédéric Petit, reconnaît que le mouvement n’était, à l’origine, ni anti-russe, ni pro-européen : il correspondait à un désir d’identité et se dirigeait contre le régime russe. Vladimir Poutine méprise certainement Loukachenko mais il le soutient, car il souhaite garder un régime à sa botte.

Le Bélarus n’a aucune volonté de rejoindre l’Union européenne. Mais, le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Clément Beaune le remarquait à juste titre, les valeurs défendues par le Bélarus sont les mêmes que celles de l’Europe : la liberté, l’égalité, le pluralisme. Au cœur de l’aspiration à la liberté du peuple Bélarus, ce sont bien nos valeurs européennes que l’on retrouve.

Et, nous explique le député Frédéric Petit, si le Bélarus n’a pas vocation à intégrer l’Union européenne, son destin aura un impact sur l’aventure européenne. Le Bélarus est notre voisin et la politique de voisinage compte pour beaucoup dans l’évolution de l’Europe. Nous devons mener une réflexion sur les frontières de l’Europe, en termes de responsabilités. Cela vaut également pour l’environnement, pour le culturel. Nous devons pouvoir dire au Bélarus : « Vous êtes un bon voisin, nous comprenons ce que vous êtes, il faudra que l’on trouve un accord. »

Pourquoi est-il si important que la France s’implique ? demande Alice Le Moal, Pourrait-elle s’impliquer davantage ? Cette implication trouve-t-elle des limites ? Nicolas Tenzer répond que, si la France, et son président, veut incarner l’Europe, il faut se tenir aux côtés de l’ensemble des peuples qui luttent pour la liberté. L’Europe ne doit pas être uniquement une zone de libre-échange, mais une Europe des valeurs. Pour Emmanuel Macron, qui avait amorcé un reset, une « architecture de confiance » avec la Russie qui n’a rien donné, cela constitue un changement de perspective : se rapprocher du Bélarus, dont le régime est menacé et menacé par son grand voisin qui veut mettre la main dessus, cela revient à défendre l’idéal européen. Certes, l’implication pourrait être renforcée, notamment par une aide aux étudiants, une aide aux dissidents, à la société civile. Mais, évidemment, nous n’allons pas agir militairement. Accueillir des étudiants bélarus chez nous, pour les former, serait une excellente initiative. Aider les médias libres à se développer également.

Pour le Kremlin, avoir l’expérience, à ses frontières, d’une démocratie réussie, c’est quelque chose d’insupportable. Le régime russe ne veut pas de la liberté du Bélarus. Frédéric Petit souligne que nous sommes vraiment dans un moment européen : les Polonais, les Lituaniens ont d’ailleurs immédiatement réagi, en tant qu’Européens.

Le 7 octobre, Svetlana Tikhanovskaïa a été auditionnée par l’Assemblée nationale française, dont on oublie parfois qu’elle a cette liberté : inviter des personnes à être auditionnées, au nom du peuple français. Frédéric Petit a été le premier, alors, à saluer Svetlana Tikhanovskaïa. Il lui a fait signer un drapeau bélarus, qu’il a rapporté aux Bélarus de Paris. Les parlementaires doivent jouer ce rôle crucial d’intermédiaire entre le gouvernement et la société civile.

Frédéric Petit livre une analyse : si l’on veut créer en Europe une défense commune, il va nous falloir accepter les fantasmes des autres. Ainsi des fantasmes de la Russie. L’Union européenne a sanctionné une quarantaine de responsables bélarus, dont le ministre de l’Intérieur, mais pas Loukachenko. Si l’on doit négocier son départ, cela n’aurait pas été habile. Pour que l’Union européenne arrive à des sanctions, il fallait l’unanimité. Chypre s’y opposait tout d’abord, car elle avait un différend avec la Turquie sur les forages. Il y a entre les pays de l’UE des intérêts, des préoccupations divergents. Pour certains, les principales menaces viennent du régime russe, d’autres du régime d’Erdogan, d’autres du régime chinois. Il y a des priorités différentes. Il est important de faire du lien.

Nos deux intervenants s’accordent sur ce point : Il faut définir quels sont les ennemis, quelles sont les menaces conjointes pour nos valeurs ?

Il y a cette Europe des valeurs. On est obligé d’être unis et d’avoir ces compromis.

Ni Frédéric Petit ni Nicolas Tenzer ne voient Loukachenko se maintenir au pouvoir. Toutefois, ils ne croient pas que Tikhanovskaïa y parviendra non plus. Ils verraient plutôt l’un des opposants emprisonnés, comme Viktor Babaryko. En effet, Loukachenko ne croyait pas à Tikhanovskaïa. Il a mis en prison ceux qu’il redoutait. Et ce sont ces hommes qui ont la confiance des usines, des syndicats.

Nos deux intervenants s’interrogent sur l’issue de cette crise : il serait très dommage que le Bélarus se contente d’un régime de semi-libertés. Une attente très forte, née de la rue, porte un vif espoir de liberté.

Le Bélarus se soulève pour sa liberté, pour sa souveraineté. Quelle politique de voisinage pourrons-nous tisser avec lui ? Nous allons mettre en place une machine qui va prendre une ou deux générations pour consolider quelque chose qui ne sera plus menacé, estime Frédéric Petit. Créer des partenariats de voisinage est d’une grande importance : comme entre l’Ukraine et la Géorgie, entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, ou sur la rive sud de la Méditerranée. Alice Le Moal dit que cela lui évoque la politique de voisinage menée par Giorgio La Pira, maire de Florence, dans les années 1950. Oui, lui répond Frédéric Petit, cette notion de politique de voisinage est ancienne, connue dans le processus de construction européenne.

Nicolas Tenzer conclut en rappelant cette idée forte : ce qui se passe en dehors des frontières de l’Europe, mais en Europe, détermine le futur de l’Europe elle-même. Les politiques de voisinage permettent de mettre à niveau la justice, les systèmes de gouvernance publique, les normes environnementales. L’Europe œuvre beaucoup pour les politiques de voisinage : hélas, elle communique encore très mal. Or, ces politiques permettent de mettre à niveau la justice, les systèmes de gouvernance publique, les normes environnementales. L’Etat de droit, les libertés et la sécurité en sont renforcés.

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