Economie et écologie : Grand débat avec Bertrand Badré, Yann Wehrling, Jean-Noël Barrot

Les crises dans lesquelles nous entrons nous obligent à la raison : la question du lien entre l’économie et l’environnement est absolument vitale. Notre Secrétaire générale adjointe Alice Le Moal a convié pour un Grand Débat à distance Bertrand Badré (fondateur du fonds d’investissement Blue like an Orange Sustainable Capital, ancien Directeur général de la Banque Mondiale), Yann Wehrling (Ambassadeur de France chargé des questions d’environnement, conseiller de Paris et conseiller général d’Île de France) et Jean-Noël Barrot (Secrétaire général du Mouvement démocrate, député des Yvelines).

Panser la crise, l’expression est heureuse : nous nous devons, collectivement, de réfléchir à une sortie de crise qui ne néglige pas le souci de l’homme dans son environnement. Car, comme l’a rappelé Alice Le Moal en ouverture, on songe souvent aux solutions au lieu de se pencher, déjà, sur la cause d’une crise. L’ambassadeur de France chargé des questions d’environnement, Yann Wehrling, a souligné que cette pandémie a une singularité. Nous connaissons des pandémies depuis mille ans, mais la pandémie actuelle a pour origine, avérée, la consommation par l’homme d’une viande de pangolin, une espèce sauvage qui a été consommée comme une viande ordinaire. Cette rencontre des espèces est nouvelle. L’humain, comme la poule rousse pondeuse, est un vecteur suffisamment puissant et nombreux pour véhiculer à grande vitesse cette pandémie. Depuis 30 ans, une grande majorité des pandémies sont des zoonoses, car l’homme est de plus en plus en contact avec des espèces sauvages qu’il ne fréquentait pas avant. Nous devons revoir notre manière de consommer, notre manière de détruire ou de préserver les habitats, et notre façon de nous déplacer.

Bertrand Badré, ancien directeur général de la Banque mondiale, reconnaît qu’après 20 ans passés dans la finance, il est bien conscient de l’impossibilité de tourner purement et simplement le dos au capitalisme. Mais il est possible d’agir : en ouvrant le capot, en prenant un tournevis et en ajustant le système.

Le fonds qu’il a créé vise à développer les pays émergents. Si la bataille du développement durable est âpre en France et en Europe, elle l’est encore plus dans ces pays. Avec pédagogie, Bertrand Badré nous rappelle qu’au 19e siècle, nous étions attachés au rendement avant tout ; au 20e siècle, nous avons lié le rendement au risque, en les comparant ; au 21e siècle, nous avons compris la nécessité de nouer ensemble le rendement, le risque et l’impact, le durable. Bertrand Badré œuvre pour faire en sorte que toute l’industrie financière intègre cette dimension, au lieu de raisonner de manière purement financière.

Economiste, Jean-Noël Barrot a insisté sur l’importance des comportements des épargnants. Certes, les citoyens cherchent à protéger leur épargne. Mais ils désirent également, de plus en plus, la diriger vers des projets qui ont du sens. Aussi souligne-t-il le rôle très puissant de l’épargne, comme levier vers des projets verts, solidaires. Face à une finance sans goût et sans saveur, l’épargnant doit saisir l’opportunité de donner une vraie direction à son argent.

Sur la question des plastiques, qui représentent une pollution monstrueuse à l’échelle mondiale, nos trois intervenants ont souligné l’importance d’une coordination à l’échelle européenne, mais aussi internationale. 80% des plastiques se retrouvent dans les cours d’eau, et donc dans les océans. L’enjeu sanitaire et environnemental est énorme. Yann Wehrling a été clair : il nous faut des décideurs publics qui tiennent bon sur l’expertise publique. Trop souvent, l’existence d’un doute sur la dangerosité pousse au statu quo, et les lobbies en jouent habilement. Nous allons voir fleurir un nombre impressionnant de tribunes sur la relance verte, mais nous devrons prendre garde aux interventions de lobbies qui, à l’inverse, demanderont un allègement des normes environnementales pour favoriser la relance.

Bertrand Badré a renchéri : la grande erreur serait de confondre les lignes de temporalité. Nous avons 3 horizons : le sauvetage sanitaire ; la relance ; la construction d’un monde meilleur. Or, il ne faut pas tout mélanger et vouloir tout faire en même temps. De plus, il ne faut pas oublier la justice sociale, l’équité. Nous faisons face à un choc financier, où le système international risque de voler en éclats. Nous atteindrons un niveau de dette jamais imaginé. La société internationale se fragmente, avec un fort risque de guerre froide entre les Etats-Unis et la Chine. Quels vont être les interlocuteurs ? L’Europe va-t-elle se montrer à la hauteur et avoir voix au chapitre ? Il est important de poser les termes du débat dès maintenant.

Aux nombreuses questions des internautes, nos intervenants répondent avec franchise, loin des grandes déclarations de principes. Ainsi, Bertrand Badré évoque ce 12 février où, lors d’une réunion du FMI sur le climat, il a évoqué la possibilité d’une crise imminente. Cela lui semble il y a un siècle. C’était deux semaines à peine avant le déclenchement de la crise. La leçon : on n’a pas enraciné la capacité à penser juste, il faut enraciner, arrimer ce qui fait la vie quotidienne du capitalisme. Pas tout changer du tout au tout mais, encore une fois, ouvrir le capot pour relancer la machine.

Sur la question des plastiques, Jean-Noël Barrot a partagé une expérience plus optimiste. Face à la pénurie de matériels sanitaires, certaines entreprises ont compris qu’il fallait produire intelligemment des masques lavables et réutilisables et ont ainsi opté pour une production tout tissu. Retrouver une souveraineté sanitaire est impératif. Et, oui, il faut aller beaucoup plus loin dans la construction d’indicateurs qui s’imposent aux entreprises, en les obligeant à déclarer très précis au marché, aux épargnants l’impact sur l’environnement. Dès 2021 devrait être mis en place un green budgeting, avec une classification des dépenses et des recettes pour voir si elles sont favorables à l’environnement ou non.

Bertrand Badré a insisté sur le risque géopolitique : la guerre froide sino-américaine se profile et monte en puissance. L’Europe va devoir se positionner et affirmer son indépendance. Sa crainte est qu’elle n’en ait pas la force et se trouve forcée de choisir. Va-t-on vers une crise de l’euro ? Va-t-on, surtout, être capable d’éviter une crise de l’euro ?

Si l’on retourne à des économistes comme Adam Smith ou Milton Friedman, nous devons réfléchir au sens du profit. Pas comme fin en soi mais comme un moyen vers une autre fin : la bonne santé de cette planète et de ses habitants.

Quand on ne donne pas de contraintes, les choses suivent malheureusement leur ligne de pente.

Anne Terlez, conseillère régionale du Mouvement démocrate, a posé une question sur l’importance des territoires. Et, en effet, nos 3 intervenants se sont dit d’accord avec cette idée. Les intercos ont un rôle à tenir. Si l’Etat a un rôle de péréquation, les territoires, à leur échelle, permettent d’introduire de la souplesse, de la flexibilité. Yann Wehrling a ainsi rappelé qu’il était favorable, au moment de la taxe carbone, à une direction de cette taxe vers la transition environnementale, en la territorialisant, plutôt que dans un pot commun. Bercy, à ce moment, était contre. Il est vraiment regrettable que l’abandon de la taxe carbone soit l’une des seules choses que l’on ait retenu de la crise des gilets jaunes. Si l’on flèche cette taxe carbone, on peut confier le budget aux régions, pour qu’elles l’utilisent à bon escient. La Convention citoyenne pour le climat réfléchit dans ce sens.

Le député du Finistère Erwan Balanant interpelle Jean-Noël Barrot sur la nécessité d’aller plus loin dans les critères d’évaluation des politiques budgétaires. Oui, lui réponde celui-ci, il faut que l’on aille vers une analyse beaucoup plus précise sur l’impact environnemental, climatique des textes de loi.

Jean-Noël Barrot réaffirme la nécessité, pour l’Europe, de se coordonner. Sur le plan sanitaire, cela semble pour l’instant insuffisant, même si la Commission et le Parlement essaient qu’un dialogue se noue. Il faut dépasser le classique clivage nord-sud. Les stratégies de déconfinement ne peuvent pas se faire isolément. La Banque centrale européenne met en place un plan historique. Mais les pays ne sont pas allés jusqu’à une mutualisation complète au niveau budgétaire. La députée européenne Sylvie Brunet intervient à ce moment du grand débat pour acquiescer : dès demain, la question de la souveraineté sanitaire est à l’ordre du jour de la plénière du Parlement.

Bertrand Badré souligne la nécessite d’une éthique du bien commun. Nous sommes à un moment particulier de notre histoire collective : en 2010, nous n’avons pas utilisé à plein les outils pour sortir de la crise. Face à cette nouvelle crise, si nous ne saisissons pas l’occasion, nous connaîtrons d’autres crises ? Il ne faut pas que ce moment verse du carburant au populisme. L’Europe a une responsabilité particulière. Jean-Noël Barrot approuve : il faut fixer les règles et se retrousser les manches.

Nos 3 intervenants, remerciant chaleureusement Alice Le Moal, remarquent qu’ils sont d’accord entre eux : Mais, bien évidemment, la bataille est loin d’être gagnée avec d’autres interlocuteurs. Yann Wehrling souligne la nécessité où nous sommes de changer de modèle et de repenser les rapports de l’homme et de la nature.

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