La mémoire pour lutter contre l'obscurantisme et se tourner vers l'avenir

Le 11 Novembre 1918, il y a 102 ans, à 5h15, les combats du premier conflit mondial prenaient fin, avec la victoire des Alliés. Aujourd’hui, nous nous souvenons. Pour Geneviève Darrieussecq, Ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants, et Sarah El Haïry, Secrétaire d'État chargée de la Jeunesse et de l’Engagement, ce devoir de mémoire est au fondement des valeurs de la République et au cœur de la transmission de ces fondamentaux aux jeunes générations. Interview croisée. 

Mouvement Démocrate - Qu’est-ce que la Mémoire et en quoi est-elle utile, importante ?

Geneviève Darrieussecq - La Mémoire, c’est ce lien entre le passé et le présent qui nous lie, nous incite à regarder le futur. La mémoire, c’est la transmission de notre histoire. La transmission de notre histoire mais de façon un peu différente. Transmission de notre histoire au travers des hommes et des femmes qui ont fait cette histoire. Cela nous permet, je crois, d’avoir une incarnation importante des faits historiques. La mémoire, c’est la transmission des valeurs de notre république. C’est la transmission de notre socle républicain. C’est de transmettre comment certains se sont battus pour conserver ce socle républicain, pour conserver notre liberté. C’est un pan essentiel des politiques de notre pays.

Sarah El HaïryLa mémoire c’est se souvenir, c’est garder un morceau du passé dans son esprit, c’est ressentir un passage de son Histoire jusqu’au plus profond de son être. La mémoire, c’est continuer de penser à ce qui a été, à ceux qui se sont engagés pour nous, pour notre Nation, c’est reconnaître que nous leur devons ce que nous sommes.

La terminologie de mémoire est généralement associée aux guerres qu’ont connues nos Nations. C’est se souvenir de ceux qui ont accepté que leur sang coule pour protéger leur patrie, c’est ceux qui ont été capables du sacrifice ultime pour que nous soyons ce que nous sommes. Par la mémoire, nous honorons leur action, par la mémoire nous les faisons vivre parmi nous, par la mémoire nous les remercions. Car oui, la mémoire est déterminante dans la constitution de ce que nous sommes. Elle explique ce que l’on est aujourd’hui et elle détermine encore ce que nous serons demain.

Qui est concerné par le devoir de mémoire ? Ceux qui combattent, ceux qui résistent, ceux qui sont victimes de l’horreur d’une guerre ou d’un attentat ?

Geneviève Darrieussecq - Les acteurs du travail de mémoire, bien entendu, sont ceux qui l’ont vécu directement quand ils existent encore. Mais je crois que les acteurs doivent être les professeurs, les historiens, toutes les personnes en capacité de transmettre ce fil.

Parce que la mémoire est un fil tendu entre le passé, le présent et l’avenir. Je suis au cœur de ces sujets autour de la mémoire combattante et je mesure à quel point à l’heure actuelle dans notre société tourmentée et fracturée, il est important de pouvoir construire avec tous ces acteurs un chemin de la mémoire afin que les jeunes générations en particulier connaissent mieux leur pays, la façon dont il s’est construit, la façon dont notre République a été secouée mais préservée, la façon dont les combattants se sont engagés pour sauver le pays de l’obscurantisme. Tout cela est absolument essentiel.

Les acteurs, ce sont donc ceux qui ont vécu, les transmetteurs et puis à l’arrivée, ceux qui reçoivent les messages, les assimilent et qui sont ainsi imprégnés des valeurs de notre République. Je crois qu’au bout du compte, l’important est que chacun comprenne que la liberté dans laquelle nous vivons a été chèrement gagnée et que nous devons en être particulièrement respectueux.

Sarah El Haïry - La Mémoire est l’affaire de tous. Elle est évidemment l’affaire de ceux qui combattent puisqu’ils ont vécu les événements dont nous nous souvenons, ils ont été en première ligne et ont parfois vu tomber leurs frères d’armes. Comme ils l’ont vu, vécu, ils deviennent les premiers témoins et donc les premiers à faire vivre et transmettre ce fait qui deviendra mémoire.

Elle est également l’affaire de ceux qui résistent puisque, à leur façon, ils prennent part, dans l’ombre, à l’effort de guerre. Ils sont des combattants, ils vivent également une autre facette de l’affrontement et ne sont pas épargnés par les actions violentes. Dès lors, eux aussi sont les premiers témoins, les premiers maillons de la chaîne dans le travail mémoriel.

Elle est, en outre, l’affaire de ceux qui sont victimes de l’horreur d’une guerre ou d’un attentat. Blessées dans leurs chairs ou dans leur psyché, ces personnes ont l’expérience de ce malheur, elles l’ont vécu et contribuent, dès lors, à la transmission de ce souvenir et des conséquences qui en ont été tirées.

Elle est, enfin, l’affaire de toutes les personnes qui composent la société. La mémoire, c’est notre bien commun, c’est ce qui nous unit. Le devoir de mémoire repose sur chacun, la transmission est le fait de tous. Et je crois que, plus encore, ceux qui sont encore là pour en parler, pour le raconter, et donc pour participer à la transmission de ce flambeau mémoriel, ont le devoir de remplir cette mission.

Comment faire vivre la Mémoire quand les derniers témoins ont disparu ?

Geneviève Darrieussecq - Il est vrai qu’un des piliers de la transmission mémorielle, ce sont les témoins. Les témoins qui vont dans les établissements scolaires, qui écrivent, qui répondent aux sollicitations de ceux qui veulent savoir ce qui leur est arrivé. Et ces grands témoins disparaissent.

Nous avons recueilli leurs témoignages, bien sûr. Il y a toute une médiathèque, photothèque, audiothèque de ces morceaux de vie. Mais nous devons aussi faire évoluer nos modes de transmission mémorielle. Les commémorations sont un pilier de la transmission mémorielle, à des dates fixes, qui représentent des moments importants de la vie de la nation. Mais nous avons besoin de nouveaux outils.

C’est pour cela que j’ai lancé un appel à projets afin d’inciter tous les créateurs, tous les documentaristes, tous les adeptes de jeux vidéo, tous les citoyens engagés dans ces sujets à me faire parvenir des projets pour adapter la transmission mémorielle à la vie et à la façon de se documenter des jeunes, et aussi du reste de la population et des adultes. C’est vrai que les jeunes ont une appétence pour le numérique, pour des formats particuliers, pour des jeux. Et je crois qu’à travers tous ces moyens nouveaux, nous pouvons évoluer dans notre travail de mémoire et dans cette transmission.

Sarah El HaïryJe crois, en réalité, que mémoire et histoire coexistent. L’histoire est une vision objective, dénuée de la dimension sentimentale que l’on attribue à la Mémoire. L’histoire c’est le récit national, la vision aussi objective que possible de ce qu’a été notre monde, notre peuple, notre Nation. C’est raconter des faits avérés. La Mémoire, c’est ajouter du pathos, au sens noble du terme, c’est ressentir, c’est adjoindre une émotion à un fait historique. La Mémoire c’est la reconnaissance, l’humilité, la compassion, l’empathie. La Mémoire, c’est l’affectif. Dès lors, un même fait peut s’inscrire autant dans l’Histoire que dans la Mémoire. Les deux visions sont complémentaires.

A priori, on pourrait être tenté de dire qu’avec le temps, le ressenti se dissipe et donc qu’à distance de l’événement, l’Histoire l’emporterait. A titre personnel, je crois qu’il n’en est rien. Je crois, au contraire, que parce que nous sommes là, parce que nous nous devons d’honorer ceux qui sont tombés pour notre patrie, nous devons toujours garder cette émotion et donc faire vivre cette mémoire.

Depuis 2020, une journée national d’hommage aux victimes du terrorisme a été instaurée. Est-ce que ces journées sont une façon de rappeler et de transmettre les valeurs de la République ?

Geneviève Darrieussecq - Malheureusement, nous sommes en plein dans cette actualité de terrorisme. C’est la plaie de notre siècle. Le terrorisme islamique en particulier. Il est très important, je crois, d’avoir ce moment de commémorations. C’est important à deux titres. D’abord, pour les familles et les victimes d’actes de terrorisme. Qu’ils sachent que la nation ne les oublie pas et qu’elle marque un temps important pour se souvenir. Et ensuite, c’est aussi l’occasion de transmettre les dangers du terrorisme, de l’obscurantisme et de faire de nous des citoyens éclairés.

Comment la Mémoire sert-elle la cohésion et l’engagement ?

Sarah El HaïryLa Mémoire, c’est ce qui nous unit, par-dessus tout. C’est ce moment vécu et partagé par une société qui fait que ses membres sont liés à jamais.

Lorsque l’on se souvient, on le fait ensemble ; on se souvient de ces moments, de ces événements qui nous ont unis. On regarde dans la même direction et cela donne du sens au fait que nous fassions, aujourd’hui encore, société.

En honorant ce que fut notre passé, et ceux qui se sont battus pour que notre société soit aujourd’hui ainsi, on se soude, on est dans la cohésion.

Aussi, la Mémoire sert l’engagement. Parce qu’elle donne du sens, parce qu’elle permet de comprendre ce que nous sommes, elle fait naître des vocations, des vocations d’engagement pour notre pays, notre patrie.

L’homme n’aspire pas à se battre ou à combattre. Mais il sait s’engager lorsque la situation l’y oblige, lorsqu’il sait ses essentiels, son modèle social, sa communauté menacée.

En transmettant la Mémoire, nous enseignons à nos jeunes ce qu’est l’engagement ultime et cela facilite, le moment venu, la compréhension de l’enjeu et l’engagement de toute une génération.

J’en veux pour preuve le formidable engagement de nos jeunes dans les deux grandes crises que notre société connaît actuellement : la crise sanitaire et la crise sécuritaire. Que ce soit par la réserve civique ou par la réserve citoyenne, nos jeunes s’engagent et sont au rendez-vous de l’Histoire.

Les temps troublés que nous vivons nous font prendre conscience que les faits ne sont pas toujours observés de manière objective. Comment faire admettre l’horreur ? Quels sont les leviers qu’il convient d’actionner pour lutter contre le négationnisme et les contre-vérités ?

Sarah El HaïryLe négationnisme et les contre-vérités sont des phénomènes anciens. La preuve en est : le législateur a ressenti le besoin d’intervenir en 1990 pour lutter contre le négationnisme, qui est une injure au devoir de mémoire.

La différence aujourd’hui ? L’approche mondialisée et le développement des voies de communication, au premier plan desquelles les réseaux sociaux, contribuent à rendre plus facile la circulation d’informations, y compris d’informations erronées, de fake news. Certains en usent même, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières nationales pour déstabiliser notre société, voire tenter de semer le chaos.

Aussi, et sans vouloir accabler les réseaux sociaux, qui présentent par ailleurs de vraies qualités, la viralité qui existe sur ces réseaux peut aboutir au fait qu’une fake news prenne une ampleur considérable et devienne une vérité pour certains.

Mais pour répondre à votre question de manière plus précise, je crois qu’il ne faut pas se résoudre à faire admettre l’horreur. Il faut expliquer les faits, transmettre la mémoire, enseigner avec pédagogie afin qu’une lumière sorte de l’obscurité et que ces esprits éclairés par la connaissance de se laissent pas happer par ceux qui n’ont pour seule ambition que de détricoter notre histoire et souiller notre Mémoire.

L’enseignement, la pédagogie sont nos meilleures armes face à l’obscurantisme.

En quoi le SNU offre-t-il à la jeunesse une opportunité de s’investir dans ce travail de mémoire ?

Sarah El HaïryCe qui a présidé à la création de ce nouveau dispositif qu’est le Service National Universel, c’est la conscience que nous avions besoin de retrouver des moments de souvenir commun.

Ecoutez les générations précédentes, le service militaire reste pour beaucoup un excellent souvenir de cohésion, qui faisait naître un sentiment d’appartenance sociale et qui créait du lien, au-delà des diversités socio-économiques. C’était un moment d’unité.

Avec le SNU, on cherche à faire renaître ces souvenirs communs, à rappeler à chacun qu’ils fait partie d’un même ensemble : la communauté nationale. Dans une période où les divisions s’exacerbent, où les affrontements apparaissent, il est plus que jamais important que nous nous questionnions sur ce qui nous unit, ce qui fait qu’un jour, nous avons décidé de nous constituer en société.

Tous ces symboles qui figurent à l’article 2 de notre Constitution : le drapeau, l’hymne national, la devise de la République, son principe, doivent retrouver un sens, y compris chez nos jeunes. Ils doivent redevenir le ciment de notre société.

Le SNU permet cela grâce aux deux temps proposés aux jeunes : un moment de cohésion, qui vise à ressouder la communauté nationale, notamment en créant des souvenirs communs ; et un temps d’investissement au profit de l’intérêt général qui vise à enseigner l’intérêt de l’autre, de s’investir pour le groupe social auquel on appartient.

La mémoire a évidemment une place à avoir dans ce dispositif car, comme nous l’évoquions précédemment, elle est ce qui nous lie, ce qui fait que nous sommes un. Elle doit, dès lors, retrouver cette place centrale et cette mission d’union.

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