Patrick Mignola : "Une conférence sociale n’a pas vocation à empêcher la grève"

Le député de Savoie, président du groupe MoDem à l’Assemblée nationale était l’invité du Talk-Le Figaro, lundi 25 novembre 2019.

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Patrick Mignola, vous avez plaidé pour la tenue d’une "conférence sociale", êtes-vous toujours sur cette position ?

Patrick Mignola : Oui, c’est absolument indispensable que l’on parle des inégalités dans notre pays. Depuis la crise des Gilets Jaunes, il y a un an, on a fait beaucoup. On a fait beaucoup pour le pouvoir d’achat. Le président a apporté quasiment 13 milliards d’amélioration du pouvoir d’achat. Si on met tout bout à bout, depuis le début, on a vraiment fait mieux. Pour autant, le malaise social est toujours autant profond dans le pays.

Ce n’est pas cela qui va empêcher la grève du 5 décembre…

P.M : Le but, ce n’est surtout pas d’empêcher la grève. Une conférence sociale n’est pas faite pour faire diversion. Un conférence sociale sert à rapprocher les politiques, le gouvernement, le parlement, les acteurs sociaux, les grandes associations, les ONG, pour discuter d’un point fondamental : les Français savent que depuis 10 ans leur travail n’est pas suffisamment rémunéré. Depuis 10 ans, on a payé 7 fois plus le capital que l’on n'a payé le travail.

Je ne suis pas engagé à la France Insoumise, mais pour autant, je considère que lorsqu’il y a un peu plus d’argent le pays, et incontestablement, on a réussi à faire cela… D’abord dans le quinquennat Sarkozy, on a bien vu qu’il y avait eu le grand moment de crise internationale économique, qui avait empêché de conduire toutes les grandes réformes de structure. Dans le quinquennat Hollande, on a bien senti que l’immobilisme, avait été au rendez-vous plus que l’action. Et au niveau des entreprises, ce qui est tout à fait normal, chacun a essayé d’attirer les capitaux pour s’en sortir. Et pour attirer des capitaux, il faut les payer. Mais il a une chose dont je suis sûr, c’est que pour garder les capitaux ou les attirer encore, il ne faut pas que l’on aille vers l’instabilité sociale. Or, là, on y est…

Quelle forme prendrait cette conférence sociale ? Où, avec qui… ? Avant le 5 décembre ?

P.M : J’ai lancé l’idée, avec mes amis, Jean-Christophe Lagarde et Hervé Marseille. Et au fond, tout cela est une vieille idée de François Bayrou, et c’est de dire que les inégalités sociales sont tellement ressenties dans ce pays, qu’il faut que l’on soit capable de parler des salaires. Cela doit servir à quoi ? On fixe l’objectif d’abord, et l’objectif est de se dire que lorsqu’il y a de l’argent dans une entreprise, quand une entreprise fait des bénéfices, on doit avec la participation, avec l’intéressement, avec l’actionnariat salarié, avec l’attribution d’actions gratuites, donner à toutes celles et ceux qui travaillent dans ce pays, la possibilité de mieux bénéficier des fruits de la croissance, de récupérer aussi de la richesse pour eux.

Quand est-ce que l’on le fait ?

P.M : On doit commencer, je le crois, par une discussion au mois de décembre pour qu’ensuite, dans les mois qui suivent, - parce que dans le mois de décembre, il y a certes le 5, la date Totem que vous rappeliez – mais il y a aussi les élections professionnelles, dans toutes les entreprises. Et on sait bien que c’est sans doute aussi pour cela que les syndicats sont un peu radicalisés aujourd’hui ; ils sont autant en campagne qu’en contestation contre les retraites. Mais au lendemain de cela, dans les branches, dans les entreprises et à l’échelon nationale, je crois que le rôle des acteurs sociaux est parfois d’exprimer une contestation, une angoisse, une inquiétude sociale, de porter des pancartes, mais c’est aussi de porter des propositions, des idées et des négociations.

Le climat est dû certes aux inégalités sociales, mais il y a aussi cette réforme des retraites qui est bien mal emmanchée. Reprochez-vous au gouvernement de manquer de clarté ?

P.M : Je reproche à l’ensemble de la majorité, et j’en suis un des responsables à l’Assemblée, de ne pas avoir dit les choses comme il le fallait. Pourquoi fait-on la réforme des retraites ? Pour que mes enfants aient une retraite demain ! D’abord, le système aujourd’hui est complètement déséquilibré et le comité d’orientation des retraites l’a redit la semaine dernière. On a vécu pendant deux ans et au moment où on est arrivé aux responsabilités avec le fantasme que l’on pourrait arriver à l’équilibre, ce n’est pas le cas. Pourquoi ? Pour des raisons assez simples : quand on a bâti ce régime de retraite au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, il y avait 4 actifs pour un retraité. Aujourd’hui, il y en a 1,7 et on arrivera d’ici 2050 à 1,3. Donc, il y a deux solutions : soit on se remet à faire massivement des enfants et c’est ce que je souhaite, que l’on relance la natalité dans ce pays, soit on est capable de prendre des décisions responsables.

Etiez-vous pour cette réforme dite systémique ? N’aurait-il pas été plus efficace de travailler sur une réforme paramétrique, c’est-à-dire de reculer l’âge de départ à la retraite ?

P.M : D’abord, il faut changer le système, lui-même. C’est bien une réforme systémique qu’il nous faut ! Au MoDem, on défend depuis 2007, l’idée de la retraite par point. La retraite par point, c’est : on cotise tous de la même façon comme on le fait aujourd’hui, sauf qu’aujourd’hui, quand on cotise, on ne touche pas la même chose à la retraite selon sa branche et son secteur d’activité. Il faut qu’on y aille dans le respect et avec peut-être certains délais. Mais en tout cas, il faut qu’on aille vers ce régime-là, pourquoi ? Parce que celui actuel est injuste.

Est-ce qu’il faut un âge pivot ?

P.M : Il faudra discuter sur l’âge pivot, sur la durée de cotisation et sur la durée du travail. Il faut dire les choses simplement : les Français savent compter. En 1980, on travaillait jusqu’à 65 ans. Aujourd’hui, on travaille jusqu’à 62 ans, on part un peu plus tard à la retraite, 63,63,4…

Mais en 1980, on vivait dix ans de moins qu’aujourd’hui. Donc si on veut que les retraités vivent bien, si on veut réparer les injustices, si on ne veut plus avoir des retraites à moins de 1.000 euros chez les agriculteurs, chez les artisans, il faut que l’on fasse cet effort.

Puis, il faut qu’on répare l’injustice principale de ce régime de retraite. C’est pour les carrières hachées, fracturées, ceux qui ont eu des accidents de vie professionnelle et les femmes. C’est quand même plus de la moitié de la population française qui est aujourd’hui pénalisée par le système de retraite.

Le Président de la république et le Premier ministre sont-ils sur la même longueur d’onde ?

P.M : Je crois qu’ils ont totalement aligné leurs positions, en se disant :

On doit dire la vérité aux Français en équilibrant le système. Donc oui, une discussion est possible, une négociation est possible. Mais il faut tous qu’on ait en tête et le Président de la République l’a rappelé, que nous devrons travailler plus longtemps, et veiller à ce que les pensions ne baissent pas. C’est l’engagement premier que l’on doit prendre avec les Français.

Et permettre que nos enfants puissent avoir l’espoir d’avoir une retraite. Si on peut le faire de façon juste parce que l’on avait un système qui avait été bâti, en gros, pour les hommes qui avaient une carrière linéaire pendant toute leur vie. C’est-à-dire la société économique française des années 50. Au fond, que l’on fasse un système qui reconnaisse le droit à la différence sociale, voire le droit à des accidents de vie professionnelle…

Faut-il adopter, comme le Président de la République l’avait suggéré, la clause dite du « grand-père », c’est-à-dire, la réforme ne s’applique qu’aux nouveaux entrants sur le marché du travail.

P.M : Le Président de la République avait posé la clause du « grand-père » sur la table, comme d’autres options. Si on considère que le système est injuste, injuste pour mes parents, injuste pour mes enfants, injuste pour toutes les femmes de ce pays, il ne faut pas le faire dans 40 ans, ce changement ! Ou alors c’est que ce système n’est pas injuste ?

Il faut qu’on y aille maintenant. Il faut qu’en 2025 le régime soit équilibré. Et à partir de 2025, il faut que la retraite par point soit appliquée. Et pour tout le monde, bien sûr.

Que nous reste-t-il à discuter ? Au lendemain du 5 décembre, il faudra bien discuter, se remettre autour de la table et négocier avec l’ensemble des syndicats. Il nous reste à discuter si on part de la génération 1963,1964, 1965. Il nous reste à discuter pour savoir si ce sera 63 ans, 64 ans, 65 ans… Finalement ce sont des chiffres assez faciles à comprendre. On fait génération 63, 63 ans, génération 64, 64 ans, génération 65, 65ans… Tout est sur la table.

Il y a deux élément supplémentaires qu’il faudra ajouter dans la discussion : le premier, les petites retraites. En 2025, il ne devra plus avoir dans ce pays de retraite inférieure à 1.000 euros. C’est une avancée sociale majeure. C’est absolument fondamentale. On l’avait écrit dans le programme du Président de la République : on doit tenir cet engagement !

La deuxième chose, est qu’il faut penser la fin de carrière professionnelle. A 55 ans, on est au summum de sa compétence professionnelle mais on n’est pas au summum de sa capacité physique. Et dans certains métiers qui sont pénibles, il faut pouvoir se dire que de 55 à 64 ans, on va travailler une heure de moins, puis deux, puis 10 heures de moins dans la semaine pour transmettre son savoir.

Et les régimes spéciaux ?

P.M : Il faut plus lutter contre les injustices que contre les régimes spéciaux. Les régimes spéciaux, on sait bien pourquoi ils sont déséquilibrés. Aujourd’hui à la RATP, il y a un actif pour deux retraités. C’est une situation presque accélérée de la situation du pays. Donc, il faut, dans le respect parce qu’il y a beaucoup de gens très compétents à la SNCF, à la RATP, et même si ce n’est pas populaire de le dire, je pense qu’il faut respecter ces métiers-là ! En revanche, il faut leur dire simplement qu’il ne peut pas y avoir une partie de l’impôt des Français qui sert à équilibrer leur retraite.

Pour ceux qui sont là depuis 25 ou 30 ans, c’est un contrat passé avec la société, autant qu’il est passé avec l’entreprise publique, et donc il faudra trouver un atterrissage. Ce n’est pas leur manquer de respect, ce n’est pas ne pas reconnaître leurs compétences professionnelles, mais c’est leur dire qu’eux et leurs enfants devront tous demain converger vers un système de retraite universelle.

Souhaitez-vous que le gouvernement ait une parole claire sur les retraites d’ici le 5 décembre ?

P.M : Je crois que la parole a déjà été claire. Il y a tous ceux qui ne veulent pas de la réforme, de la CGT au Front National, qui d’ailleurs aujourd’hui met en scène leur désaccord, mais alors qu’en réalité, ils sont d’accord sur le fond. Ils proposent l’un et l’autre, de partir à la retraite à 60 ans, ce qui est une absurdité mathématique, et ils proposent d’abandonner l’un et l’autre le régime de retraite en pillant ainsi nos parents, nos enfants et les femmes de ce pays.

On doit aller à l’équilibre. Les Français doivent nous dire si ils préfèrent un âge d’équilibre, un âge pivot, une plus large durée de cotisation.

Deuxième chose, comment on lutte contre les injustices ? Est-ce qu’on est d’accord pour avoir tous le régime par point ?

On est avant le 5 décembre et on le dit. Je vous le dis. Le Premier Ministre, le Président de la République, tout le monde l’a dit. Tout ceux qui considèrent que l’on n’est pas clair ou qu’on est flou, c’est juste parce qu’ils veuillent éviter que l’on fasse cette réforme des retraites. Alors qu’elle est indispensable.

La majorité, guère solide, peut-elle explosée sur ce sujet, si jamais le climat se tend encore plus ?

P.M : La majorité a un immense avantage : elle est multiple ! On n’est plus les godillots qu’elle avait connu avec le PS ou le RPR auparavant. Et je pense que c’est une richesse de mieux représenter ainsi le pays. Il peut avoir sur certains sujets des divergences d’approche, des désaccords et il faut les vivre bien. Sur le sujet de la réforme des retraites, nous avons tous pris ces engagements lors des élections présidentielles puis législatives. Et notre responsabilité de parlementaires, je le ressens très fort aujourd’hui à l’Assemblée nationale, est de réparer les injustices qui trop longtemps ont vécu dans ce pays et notamment à travers les retraites.

Cette réforme sera-t-elle bouclée ? Votée ? Avant la fin du quinquennat ?

P.M : Il le faut absolument. D’abord comme vous l’avez remarqué je suis à l’Assemblée et je veillerai à l’Assemblée si on nous apporte des textes de réforme de retraite, à  ce qu'ils puissent progresser et être votés. De toute façon si on veut un système qui fonctionne, qui soit équilibré en 2025, alors il faut le faire avant 2022. Puis tout simplement pour retourner devant les Français. Il faudra qu’on puisse leur dire : on vous avait dit Code Du Travail, on vous avait dit SNCF, on vous avait dit, on veut relancer la croissance, on vous avait dit les retraites, et tout cela, on l’a fait ! Et au moment, où l’on vous rend les clés, la voiture marche un peu mieux.

Le quinquennat est à un tournant ?

P.M : Je crois qu’on est effectivement à un tournant. Après la réforme des retraites, il faudra que les uns et les autres, on soit capable de revenir, sur le début de notre conversation, c’est-à-dire, comment on lutte contre les injustices sociales dans notre pays, et comment on rémunère mieux le travail. C’est aussi une des clés du camion de 2022. 

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