François Bayrou : « Il faut une grande Maison commune pour que la vie politique soit équilibrée. Une organisation avec chacun son histoire et sa philosophie, sur le modèle d'une coopérative. » 

Retrouvez François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, sur LCI, lundi 4 octobre à 20h45, dans l'émission "Ruth Elkrief 2022".

Bonjour François Bayrou.

Nous savons bien que vous aimez beaucoup les animaux, les chevaux !

Les chiens et les chats aussi !

Ce qui m'a frappé dans cette réponse du Président à Paul, c'est : "Il faut réconcilier les chasseurs et les défenseurs de la cause animale". Il faut réconcilier…

Nous en avons parlé tout à l'heure, cela n'a rien à voir évidemment, mais nous parlions de la réconciliation des mémoires s'agissant de la guerre d'Algérie.

Le Président veut-il être le Président réconciliateur ?

C'est une question très importante et très profonde. Selon moi, la mission d'un Président de la République, de n'importe quel Président de la République, cela devrait être de concilier, réconcilier, entretenir la compréhension mutuelle entre Français.

Si quelqu'un ne fait pas cela, selon moi, il manque à sa mission.

Vous savez qu'il est vécu comme un diviseur, comme quelqu'un qui montre les uns contre les autres. L'opposition le critique pour cela.

Et bien, je crois que c'est une erreur de jugement.

Ce n'est pas comme cela qu'il est. Ce n'est pas comme cela qu'il est personnellement. Il déteste entretenir des affrontements, y compris dans son camp et cela arrive assez souvent. Il a de sa mission l'idée que c'est une mission qui va permettre aux Français d'avoir des raisons de vivre ensemble.

C'est cela le socle, car, si vous laissez aller les choses dans un pays, qu'est-ce qui l'emporte c'est la haine, la détestation, la stigmatisation, c'est "On cible celui-ci où celle-là", depuis la cour de récréation jusqu'aux enceintes politiques.

Xavier Bertrand était sur ce plateau il y a quelque temps et il disait qu' « il ne sait pas ce que pensent les gens, il n'a jamais été élu local, il ne comprend pas ce que pensent les gens. Il les monte les uns contre les autres. »

Eh bien, ceci est une blague malintentionnée.

C'est un candidat contre un candidat potentiel, un Président !

Nous verrons.

Ce que je sais, pour l'avoir vu et pour l'avoir comparé avec beaucoup d'autres, pour l'avoir vu de près, de près sans caméra, de près avec des personnes qui n'appartiennent à aucun réseau, aucun establishment, aucune force ou puissance. Ce que je sais, c'est son regard, son attention et je vais dire quelque chose, sa gentillesse franche.

Il ne s'échappe pas quand il a des trucs à dire, ce que je trouve plutôt respectueux, vous voyez. Je n'aime pas ceux qui enrobent de sucre les personnes qu'ils ont en face d'eux, alors qu'en réalité ils les méprisent.

Lui ne les méprise pas et je vous dis cela, pas comme politique, mais je vous dis cela pour l'avoir vu. J'atteste de ce que je vois.

J'ai passé des heures, des heures et des heures jusqu'à la nuit très avancée avec des élus locaux de base, de petits villages et leurs amis à discuter de leurs problèmes, des problèmes de la nature, des problèmes de l'élevage.

Ce qu'il vient de dire sur les vêlages…

Lorsque les animaux mettent bas pendant la nuit.

Aucun homme politique ne parle de ces sujets-là en sachant ce qu'ils disent.

Il dit qu'il ne se lève pas la nuit pour le faire.

Quelques-uns qui se sont beaucoup levés la nuit pour le faire.

Juste un mot pour finir sur ce côté portrait un peu personnel. Il y en a aussi qui disent qu'il est sans affect, qu'il est, de ce point de vue-là, un très bon homme de campagne, car il a une relation avec les personnes forte, mais c'est aussi quelqu'un totalement sans affect.

Vous voyez, il y a une contradiction absolue dans ce que vous dites et je ne vous prête pas de le dire vous-même.

Je vous rapporte des propos.

Oui.

On ne peut pas avoir une relation forte avec les personnes, en campagne électorale, si on est sans affect. On a connu des personnes sans affect, mais on ne peut pas.

Lorsque vous êtes sur cette vague-là, à cet instant-là, qui est un instant de rencontre - tous ceux qui l'ont vécu pourront vous le dire -, qui est de rencontre quasi amoureuse, avec cette communauté humaine, ces personnes, ces foules.

Pour un certain nombre des hommes politiques qui l'entourent, cela à l'air d'être le mot. C'est même Christophe Castaner qui l'avait évoqué.

Moi, je vous parle de ce que je vois.

Quand vous êtes dans cet instant-là, si vous êtes sans affect, vous êtes mort. Ne croyez pas que l'élection présidentielle soit un truc facile, médiatique, de plateaux de télé. L'élection présidentielle, c'est la rencontre chair à chair, peau contre peau, avec un être mystérieux qui est formé de millions d'autres êtres, mais qui existe, avec un peuple qui a son inconscient, sa mémoire, ses souvenirs, des choses profondes, y compris ce qu'il a oublié, mais qui est terriblement fort.

Comme pour vous et moi, l'inconscient, les psychanalystes ont dit cela, une fois pour toutes, l'inconscient, c'est extrêmement puissant.

Eh bien c'est la même chose pour un peuple. S'il était sans affect, d'abord il n'aurait franchement pas été élu et, aujourd'hui, il n'en serait pas là.

Un mot, car nous allons revenir là-dessus, je vais vous demander comment peut-il nous présenter une nouvelle histoire pour 2022, mais, d'abord, je voulais finir sur le thème de la réconciliation.

Il y a une réconciliation qui a été tellement inattendue, tellement surprenante, c'est celle que vous avez eue avec Bernard Tapie, qui est décédé hier.

C'est une histoire très émouvante.

Je me souviens bien que vous étiez parmi ceux qui avaient dit que l'affaire du Crédit Lyonnais était une affaire d'État et qui avaient mené la bataille contre l'arbitrage, contre la décision de Nicolas Sarkozy, contre l'arbitrage qui l'a mené à des années de combat judiciaire et des années de souffrance.

D'abord, juste pour l'histoire, la première phrase de la partie de livre que j'ai écrit, qui s'appelait Abus de pouvoir, qui était consacré à l'affaire Tapie, la première phrase c'est : "Il n'y a pas d'affaire Tapie, il y a une affaire d'État, de Gouvernement". C'est tout à fait autre chose et c'est sur ce plan ce que je me suis battu, mais laissons cela de côté, car, en effet, j'ai été…

En pointe là-dessus.

… Avec Bernard Tapie dans une confrontation qu'il prenait pour lui et qui, pour moi, était contre ces méthodes de gouvernement, les méthodes de gouvernement qui avaient amené cette affaire…

Donc celles de Nicolas Sarkozy.

… Qui ont été jugées, mais tout ceci est derrière nous.

Puis, il s'est passé quelque chose d'absolument inattendu. J'aime la vie, car elle offre des coups de théâtre incroyables et tout ce que nous croyons impossible, en réalité, si vous regardez bien, c'est probablement possible.

Le jour où son cancer a été diagnostiqué, Bernard Tapie m'a envoyé un message au canon qui disait à peu près que c'était à cause de moi qu'il était malade. Je crois possible que les grands affrontements comme cela, que les affaires judiciaires atteignent si profondément.

Il m'a donc écrit cela et je m'apprêtais à lui répondre, quand arrive un deuxième message, car, en réalité, il avait envoyé copie du message qu'il m'avait adressé à un de ses amis - je ne sais pas qui c'est, mais, si je cherche, je pourrais trouver -, dans lequel il disait : "Regarde ce que je viens d'écrire à ce fumier".

J'ai reçu le deuxième message et je lui ai répondu ceci, qui m'est venu spontanément. J'ai dit : "J'ai reçu votre premier message et je vous souhaite du courage, car c'est un combat aussi dur, et peut-être plus dur qu'aucun de ceux que vous avez menés jusqu'à maintenant, mais je crois que vous pouvez vous battre. Quant au deuxième message, je ne l'ai pas lu".

Dans la minute, le téléphone a sonné et il m'a dit : "Je me suis complètement trompé sur vous, je viens de le dire à Dominique - sa femme, avec qui il avait une telle proximité -, je viens de lui dire "je me suis trompé sur ce type, ce n'est pas du tout ce que je croyais ce qu'il était". Accepteriez-vous de déjeuner avec moi ?".

À partir de ce moment-là, s'est construit cette relation paradoxale, mais cela dit aussi quelque chose de lui, des coups de passion, des coups qu'il vivait et qu'il assumait. Nous avons beaucoup, beaucoup parlé, par écrit, dans des rencontres et dans des déjeuners de la vie, de la mort, de l'amour, de Dieu, enfin de toutes ces choses que l'on rencontre dans ces moments suprêmes et qui sont, au fond, plus importantes que les autres.

Un jour, il m'a écrit un truc incroyable. Il m'a écrit : "Une heure de conversation avec vous, pour moi, c'est plus important qu'une chimio".

Pourtant, nous nous étions affrontés honnêtement, publiquement, de manière absolument enflammée.

Vous voyez, c'était cela et c'était quelque chose d'autre que je trouve personnellement formidable, c'était une bombe atomique d'énergie et de fidélité aux siens.

À sa famille notamment, il en a été beaucoup question hier.

C'était Bernard Tapie !

Confidence sur une rencontre improbable !

Je reviens sur ce que vous disiez sur l'affect, la rencontre avec un peuple - on n’en est pas du tout là -, mais quand vous voyez le sondage IFOP pour LCI aujourd'hui, Emmanuel Macron arrive en tête, Marine Le Pen est au second tour, elle est à 18, mais elle a beaucoup baissé, Xavier Bertrand est devant Éric Zemmour, mais Éric Zemmour continue cette dynamique qu'il a entamée depuis la fin du mois d'août. Yannick Jadot est en tête de la gauche, suivi de près par Mélenchon, Hidalgo est en bas de tableau à cette heure-ci dans ce sondage, dans cette configuration.

Il y a un phénomène Éric Zemmour. Vous croyez qu'il y a une rencontre ? Il n'est pas candidat, mais est-ce que vous croyez qu'il y a une rencontre ?

Il y a beaucoup de sujets politiques que j'accepte de commenter, d'analyser et il y en a d'autres en face desquels mon attitude n'est pas du tout la même.

Le sujet politique, c'est dans le cadre de la démocratie classique.

Éric Zemmour n'est pas dans la démocratie ?

Ce qu’Éric Zemmour porte, propose aux Français, c'est du poison.

C'est le pire des poisons qu'un journaliste ou un responsable politique puisse porter au contact d'un peuple.

On peut ne pas s'en relever de ce genre de poison.

À partir du moment où vous vous mettez à considérer les gens en fonction de leur origine, de leur religion, vous vous mêlez de vouloir interdire des prénoms, vous savez ce que c'est un prénom ?

Vous avez des enfants, vous savez ce que c'est un prénom, vous donnez ce que vous avez de plus cher et de plus précieux.

François Bayrou, vous êtes assez expérimenté politiquement pour comprendre ou pour voir qu'il se passe quelque chose.

Vous dites : je ne veux pas, ou je n'aime pas, ou je crois que c'est un poison, mais qu'est-ce qui se passe et comment y répondre ?

Non, ce n'est pas ce que je dis.

Il y a des circonstances où il faut être en situation de refus, il faut être en situation inébranlable. Ce qui est en jeu, là, dans cette exacerbation des sentiments les plus dangereux, des remugles qui existent au fond des sociétés, comme au fond des hommes…

Les livres sont vendus, les conférences il y a du monde.

Cela vous épate vous ?

C'est plus compliqué !

Mettons, vous, générique, les journalistes, cela les épate. Les observateurs, cela les épate, les hommes politiques, cela les épate parce que les sondages, les hommes politiques, c'est l'alpha et l'oméga. C'est comme cela que commence et que finit leur journée dans la considération des sondages.

Moi, je ne suis pas dans cette attitude-là et je pense qu'il faut être intraitable,

Il ne faut pas débattre avec lui ?

Ceci est autre chose. Dans l'attitude, les gogos qui sont épatés sont, d'une certaine manière, des vaincus et, moi, je ne veux pas être dans cette attitude-là. Je ne suis pas épaté, je suis, comme Français, profondément atteint. Quand je pense qu'ils ont organisé une journée qui s'appelle des « conservateurs », ils ne conservent pas, ils détruisent.

Ils sont la trahison même de ce que la France est. Vous savez ce que c'est la France ? C'est une adhésion.

Une adhésion à quoi ? Une adhésion au fait que l'on a choisi de vivre ensemble avec comme sommet des valeurs : la fraternité.

Les phrases de Renan, lui aussi les cite.

Non, il ne peut pas…

Si, il le cite aussi.

On s'arrête, rien qu’une seconde. C'est de l'histoire philosophique.

Renan, sa définition de la nation, c'est une définition de refus de la nation par l'origine, de la nation par la naissance, de la nation par le sang et il dit : « une nation, c'est des morts et des valeurs de vivants. »

Et il met évidemment la fraternité au nombre de ces valeurs-là.

Et donc, ce qui est fait là, c'est une attitude de déstabilisation de ce que nous avons de plus précieux.

Nous connaissons, vous et moi, Éric Zemmour depuis longtemps, depuis 30 ans. On l'a vu jeune journaliste débutant, on l'a fréquenté.

Oui, aujourd’hui, il sera candidat vraisemblablement et, du coup, j'ai envie de vous dire : Mais, est-ce qu’il se prépare, Emmanuel Macron, à cette candidature ?

Là, le sondage le donne favori, il est au deuxième tour, il l'emporte dans tous les cas, etc.

Est-ce que, premièrement il réfléchit à Éric Zemmour en disant : « tiens, qu'est-ce qui va se passer » et comment est-ce qu’il gère cette position de favori ?

Vous savez, je ne raconte jamais rien de mes conversations.

Je sais bien !

Mais, quand vous êtes un Président de la République digne de ce nom, vous avez à chaque instant vos antennes déployées et ce sont des antennes affectives.

Donc il comprend, il sent, il ressent ce qui se passe.

Vous êtes en tension.

Oui, surtout quand on est en campagne, parce qu’on l’a vu, allez ! aussi, comme tous les présidents qui sont sortants.

Il est tout à fait normal qu'il aille à la rencontre des gens parce qu’autrement le sujet du débat et les questions que vous me poseriez c'est : Mais, Monsieur Bayrou, est-ce que vous ne trouvez pas que, quand même, c'est tout à fait anormal qu'il reste enfermé dans son palais, sourd à ce qui se passe, il ne s'occupe pas de la vie des gens et des problèmes…

Non, il leur donne beaucoup d'argent. Mais on va y revenir. Juste un mot : de quelle façon il y pense et comment il s'y prépare ?

Je pense à cette fameuse Maison commune qui a été évoquée tout ce week-end à Avignon avec La République en Marche, avec vous, pendant un dîner la semaine dernière à l’Élysée, avec Jean Castex, avec Gérard Darmanin, avec Christophe Castaner et avec Édouard Philippe.

C'est cela, je dirai la contre-offensive. C'était un embryon de réflexion qui avait commencé depuis de nombreux mois, mais est-ce que, cela, c'est une réponse qui est de dire, dans le fond, on est centraux, on rassemble au milieu, au centre, de tous les côtés et on peut essayer d'être majoritaires comme cela.

Vous dites : c'est une réponse immédiate. Quant à moi, c'est une réponse que j'ai portée dans la vie politique française depuis 20 ans.

D'accord, mais là je parle d’Emmanuel Macron candidat… 

Vous voyez, l’élection présidentielle, ce n'est pas le seul sujet qui entraîne cette réflexion. Vous voyez la désaffection des partis politiques, vous voyez l'explosion en continu, perpétuelle. Cela n'arrête pas d'exploser, de se détester, d'être concurrents…

Et donc, vous voulez faire un nouveau parti politique ?

…autour des egos. Cela passe son temps à cela la vie politique et, là, tout le monde voit bien qu’il manque une grande formation politique ou une grande organisation politique, comme vous voulez, qui ne soit pas perpétuellement divisée en chapelles, qui ne passe pas son temps à se contredire ou en tout cas à être en chicaya les uns avec les autres. Cela fait quatre ans et demi que l'on partage la responsabilité de la majorité parlementaire, il n'y a pas eu une dispute.

Quelle forme cela peut prendre, concrètement ?

Une organisation politique dans laquelle on sera chacun avec son histoire, chacun avec sa philosophie - et on n'aura pas de mal parce que la philosophie est là même, ou à peu près - où il sera très facile pour les Français d'entrer, de partager un engagement.

C’est-à-dire en attirant…

Sans avoir la nécessité de choisir une chapelle et qui se présentera sous une unité de dénomination, de communication, de marque, d’affirmation.

Le Parti démocrate, le Parti comment ? Le Parti du président ?

D’affirmation d’identité et qui soit le grand mouvement central dont la vie politique française a besoin pour être équilibrée, pour être stable.

Plus de Modem, plus de la République en Marche ?

Chacun vient avec son histoire et garde…

Dès que l'on met les points sur les i, c'est plus compliqué.

Non pas du tout. L’idée que je m'en fais c'est une coopérative. Quand des agriculteurs veulent conquérir des marchés, ils se mettent ensemble, ils font une coopérative, personne ne vend sa ferme, mais on apporte à la coopérative.

On vend les mêmes produits.

On apporte à la coopérative toute sa production, on fabrique les produits ensemble et on les vend sous la même marque, c'est déjà pas si mal. Pour une raison très importante, c’est que l’on n’a pas la même histoire, on n’a probablement pas les mêmes habitudes, mais on a les mêmes idées.

Les mêmes objectifs.

Et ce sont les idées qui comptent.

Est-ce que, dans cette coopérative, vous mettez Édouard Philippe qui lance son parti à la fin de semaine et qui en fait la promotion sur Twitter, dans une vidéo qu'il a faite à Avignon devant la République En Marche.

Il y est dans cette coopérative, pour vous ?

S'il le souhaite, oui, bien sûr. C'est à lui de faire ce choix-là.

Tout de suite, en même temps que vous ou peut-être un peu plus tard dans l'année ?

C'est lui qui va répondre à cette question, mais on aura des débats, naturellement.

C'est-à-dire, vous n'êtes pas tout à fait pour ?

Non, je pensais à tout à fait autre chose, ce sont des propositions politiques qui vont être faites sur les sujets économiques et sociaux.

On aura des débats.

Justement, Édouard Philippe a dit : attention, alerte rouge sur la dette et sur les déficits.

Moi je me souviens que s'il y en a un qui incarne la question de la dette, c'est vous, à chaque campagne électorale ; il vous a donc pris votre fonds de commerce ?

Non pas du tout. Je parlais de débats économiques et sociaux et il y en a un qui a beaucoup agité les esprits ces derniers temps, c'est la proposition de retraite à 67 ans.

Parce qu'il dit : comme il faut de l'argent, comme on a une dette importante, comme on a un déficit important et qu'à un moment donné il faudra la rembourser l’une des solutions est d’augmenter l'âge de départ à la retraite et il va jusqu'à 64, 65 et 67 ans.

Ma vision n'est pas du tout celle-là et je ne pourrais pas soutenir une proposition comme celle-là, car une proposition comme cela supposerait que tout le monde est égal devant la retraite et je peux vous dire lorsque vous êtes dans la vraie vie, les femmes qui travaillent dans les EHPAD, qui ont à lever des personnes âgées avec le poids que cela représente, les efforts que cela représente et qui ont le dos « bousillé » à 50 ans souvent. Vous leur dites « excusez-nous, c'est dans 17 ans maintenant la retraite ! ».

J'y pense chaque fois que je passe sur les trottoirs de Paris où l’on voit très souvent ces personnes qui bouchent les trous dans les trottoirs avec du bitume fondu et talochent le bitume comme cela. Vous allez leur dire que la retraite est à 67 ans ! Savez-vous ce que c'est ?

Savez-vous ce que sont les personnes que le travail a si profondément usées qu'il leur reste peu d'espérance de vie ? Et bien je ne serai pas celui qui dira ce genre de chose et si j'ai tellement défendu la retraite à points dans ma vie, c'est parce qu’elle permettait de traiter différemment des situations professionnelles différentes.

Des personnes qui avaient la possibilité de poursuivre et de continuer, qui en avait l’envie et l'énergie, à ceux-là, il faut la leur offrir et la favoriser à mon avis. Cependant, mais les autres personnes qui sont dans cette usure-là, je ne vais pas, moi, les regarder en disant : « excusez-nous, vous allez faire cinq ans de plus. ». Je ne ferai pas cela.

Donc on ne change rien sur la retraite aujourd'hui ? La réforme de la retraite à points était passée à l'Assemblée Nationale et placée sous le boisseau à cause du Covid-19. Nous n'en parlons plus ou alors vous pensez que nous pouvons la remettre sur l’établi d'ici la présidentielle ?

Je pense que c'était une bonne idée et d'ailleurs, de grandes organisations syndicales la partageait. Je pense aussi qu’elle a été traitée de manière beaucoup trop compliquée.

On a le temps d'en refaire une d'ici l'élection ? On ne fait plus rien sur la retraite d'ici l'élection présidentielle ?

Ce n'est pas ne rien faire. Je pense que la retraite sera un des sujets importants de l'élection présidentielle et qu'il faudra que chacun dise ses principes. En tout cas, pour moi, cela ne peut pas être cette atteinte au contrat social du pays.

Ce que dit Édouard Philippe est une atteinte au contrat social du pays ?

Ne me mettez pas en affrontement, ce n'est pas mon but. Celui-ci est de dire que, oui, il est possible de rétablir les équilibres et si cela vous dit, je vous dirai pourquoi je le pense.

Oui, nous pouvons faire que désormais, nous ayons des comptes sociaux et des réformes importantes, mais que ce n'est pas en détruisant le contrat social que nous allons y arriver. Sur ce point, j'espère que vous sentez que c'est toutes mes fibres qui disent cela.

Alors pourquoi pouvons-nous y arriver ? Je vais vous dire sur la dette, pourquoi est-ce que la dette d'aujourd'hui n'est pas la dette d’hier ? Car aujourd'hui nous empruntons à 0 %.

Les taux sont très bas, mais ils peuvent remonter.

Oui, mais tant qu’ils sont bas, cela veut dire que dès l'instant où vous avez une croissance qui est plus haute que les taux d'intérêt de la dette, au fond vous gagnez de l'argent et vous équipez le pays. De ce fait, la dette n'est pas la même, selon qu’à l'époque où je me battais, les taux devaient être à 4 ou 5 % et la croissance était à 1.

Cela veut dire que plus vous alourdissiez, plus vous empruntiez et plus vous alourdissiez l'avenir.

Je finis sur Édouard Philippe : vous iriez au Havre la semaine prochaine, car il a invité tout le monde à y aller ?

Je pense qu'il est bien et bon que chacun vive ses aventures ou ses entreprises. Je ne suis pas pour le mélange des genres.

Ce que je sens tout de même, c'est que si Emmanuel Macron souhaite cette fameuse maison commune d'Édouard Philippe à François Bayrou, ce sera compliqué ?

Non.

Vous ferez ce qu'il faut pour y arriver ?

Oui.

Par exemple, dans les points qui vous rassembleraient, il n’y aurait pas cette retraite à 67 ans.

Moi, je ne voterai jamais cela.

C'est certainement un peu plus complexe avec de la pénibilité et d'autres données ; on ne peut pas penser que c'est 67 ans comme cela du jour au lendemain.

C'est 5 ans de plus qu’aujourd’hui.

D'ailleurs les personnes ne partent pas à 62 ans, ils partent à 63 ans et demi ou quelque chose comme cela. Il est tout à fait possible de l’allonger, on peut encourager à allonger et encourager les individus à rester au travail, on peut les aider à ce qu'ils gagnent plus s'ils choisissent de rester. Cela, je crois qu'on peut le faire.

Mais pas d'âge couperet ?

Le fond est que l'on ne peut pas traiter de la même manière des situations aussi différentes et que lorsque quelqu'un est usé, c'est lui manquer de respect que de lui dire que l’on va aller jusqu'à 67 ans. Et pourquoi pas encore plus loin ? Il y a des pays qui le font, mais ce n’est pas la France.

67 ans, c'est l'Allemagne.

Deux questions brèves pour finir. Aujourd'hui Emmanuel Macron a annoncé… En fait nous avons appris que le Président de la République voulait développer la technologie des petits réacteurs modulaires, les small modular reactors. Ceux-ci sont méconnus en France mais existent en Chine. Ils sont préparés en Grande-Bretagne et sont dans d'autres pays. Emmanuel Macron juge cela plein de promesses. Qu’en pensez-vous ? n'est-ce pas contradictoire avec la réduction de la part du nucléaire à 50 % d’ici 2035 qui était son engagement en 2018 ?

Sur la première question, le nucléaire est-il indispensable ou pas ? Comme vous le savez, vous y  faisiez allusion, j'ai publié une note du Haut-commissaire au Plan sur cette question et dont la conclusion est sans ambiguïté.

Si l’on veut tenir notre promesse d'avoir de l'énergie sans émission de gaz à effet de serre, il n'y a aucune possibilité de le faire sans nucléaire.

On peut aller vers une augmentation du renouvelable - cela va faire débat, car l'éolien fait débat et que le photovoltaïque ce seraient des hectares et des milliers d'hectares recouverts par des panneaux photovoltaïques, ce qui est aussi une artificialisation des sols. Il y a des débats, des questions de réseaux, comment aller chercher cette énergie, mais en tout état de cause, il y a une certitude, c'est que cette énergie renouvelable est intermittente. Vous en avez, s'il y a du soleil ou s’il y a du vent.

Donc sur le nucléaire, Emmanuel Macron sera un président qui défendra le nucléaire.

Cela, vous le lui demanderez. Je vous dis ce que je pense et ce que je conclus des études.

Je disais que cette énergie renouvelable est intermittente et pour la compenser dans les moments où il n'y a ni soleil ni vent, alors il faut une énergie que l'on appelle « pilotable » et la seule, sans émission de gaz à effet de serre, c'est le nucléaire.

Ce que les Allemands ont fait est - je ne veux pas me fâcher avec le Gouvernement allemand - est une trahison cet esprit, car ils ont remplacé le nucléaire qu'ils ont supprimé par du charbon, c'est-à-dire la pire des énergies polluantes et du gaz russe ; suivez mon regard. Il y a donc la quelque chose qui est une grande question nationale.

De plus, c'est nous qui en avons la compétence, c’est un patrimoine de la France. Si, car c'est adaptable. Nous avons choisi, à tort ou à raison, de très gros réacteurs, les EPR, avec les difficultés que l'on sait ; les petits et moyens réacteurs n'ont pas ces inconvénients-là.

Une dernière question. Demain il y a une manifestation à l'appel de la CGT notamment, pour les salaires, contre la réforme des retraites, contre la réforme de l'assurance-chômage. Qu'est-ce vous dites à ceux qui vont manifester ?

C'est un fait et d’abord tout le monde a le droit de manifester, mais vous voyez bien que ce sont perpétuellement les mêmes slogans. Je crois qu'il faut profondément renouveler le modèle.

Comment produit-on plus et mieux ? Comment réussit-on à créer des richesses qui permettront de les répartir beaucoup mieux que nous ne le faisons ? Vous en connaissez beaucoup des pays qui ont l'école gratuite, la santé gratuite, la solidarité au moment du chômage, systématique qui ont aidé chaque restaurateur, chaque bistrot français, chaque petit artisan au moment de cette épidémie et de cette pandémie-là.

Vous en connaissez beaucoup de ces pays ? Et si vous regardez les autres, alors vous mesurez qu’en raison de la politique qui a été suivie en France, cela repart très vite, alors que chez les autres moins.

Regardez ce qu’il se passe en Grande-Bretagne avec le Brexit.

Bien sûr.

Comment il peut faire Emmanuel Macron face aux radicalités : presque 45 % dans les sondages à Droite, des discours chez les écologistes finalement dépassés Yannick Jadot, mais enfin très radicaux. En un mot, comment est-ce qu’ils regardent, comment est-ce qu’il peut s'imposer face à la radicalité et à la demande de radicalité sans doute ?

On dit cela, mais je ne partage pas tout à fait… Cependant, ce n'est pas important.

Je dirais trois choses : tout d’abord, la sensibilité. Je peux attester, car je le vois, c'est quelqu'un de sensible. Puis en second et troisième, car ce sont deux mots en même temps, il faut être passionnément équilibré, passionnément !

C'est-à-dire qu'il faut accepter l'émotion, accepter l'engagement, accepter les mots qui rassemblent et profondément équilibré sur le fond. En effet, un pays comme le nôtre, dans des tempêtes comme celles qu'il traverse, a besoin d'avoir à sa tête pour l'incarner, quelqu'un qui soit profondément équilibré, profondément enraciné.

Merci beaucoup.

Seul le prononcé fait foi.

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