Intervention de Thierry Breton

Thierry Breton, commissaire européen, est intervenu à 15h15, le 5 décembre 2020, à l'occasion du Congrès 2020 du Mouvement Démocrate. 

Chers amis, bonjour à tous, vous ne pouvez pas savoir le plaisir que cela me fait d'être ici aujourd'hui, au Siège de votre parti.

Vous savez que je n'ai pas le droit de parler de politique nationale, mais François sait très que je me sens vraiment chez moi ici. Quand François m'a proposé de venir, il m'a dit : "Tu peux faire une vidéo" ?

J'ai répondu que non, que je venais, car je voulais être présent parmi vous, même si c'est avec les moyens que nous devons tous respecter. Je tenais vraiment à être là cet après-midi, d'abord pour partager avec vous ma première année de Commissaire européen. Vous avez un Commissaire européen qui partage vos valeurs donc il me paraissait important de vous faire part de ce petit bilan.

C'est, pour moi, l'occasion de vous retrouver, de retrouver François que je n'ai jamais véritablement quitté. Cela va faire bientôt 40 ans que l'on se connaît avec François et que l'on ne s'est pas quitté.

La fidélité, c'est aussi une des valeurs cardinales que vous partagez, que nous partageons tous.

Un petit mot aussi avant de commencer évidemment pour celui qui nous a quittés, qui a été un très grand Président, un grand réformateur. Je n'oublie pas le rôle qu'il a joué pour notre pays, qu'il a joué aussi pour l'UDF, en en faisant le parti dont nous sommes issus, dont je suis issu.

C'est au travers de l'UDF et à travers René Monory que je vous ai rejoints. Évidemment, j'ai aussi une pensée pour René Monory aujourd'hui, puisque c'est le moment des pensées.

On va faire un petit bilan de cette première année, car il se trouve que c'est aussi le premier anniversaire, quasiment jour pour jour, dans les circonstances que vous connaissez, que j'ai été coopté, que le Parlement européen a soutenu ma candidature en tant que Commissaire européen concernant le marché intérieur et un peu plus.

Le Président de la République avait souhaité avoir, pour la ou le Commissaire français, un portefeuille assez large.

Je reconnais qu'il est assez large : le marché intérieur, évidemment l'industrie, le numérique, la défense, l'espace, le tourisme, les médias.

C'est un portefeuille large et, je crois, à la dimension des enjeux qui nous attendent.

Je vais y revenir dans un petit instant.

Si l'on veut faire ce bilan, car c'est important pour nous projeter sur les années qui vont venir et notamment les années électorales, j'attire le regard comme nous tous sur l'impact de la crise. La crise est encore là.

On a maintenant suffisamment de recul pour tirer un certain nombre de conclusions ; déjà cette première vague.

Comment l'a-t-on vécu à Bruxelles ? Évidemment, on l'a vécu, et je l'ai vécu en tant que Commissaire au marché intérieur, de plein fouet.

Je ne vous cache pas que, dès les premières apparitions de cette crise tellement inédite et soudaine, l'Europe a donné un visage qui n'est pas le visage que l'on veut pour l'Europe.

L'Europe s'est refermée sur elle-même pendant quelques jours. C'était la sidération, la crainte de ne pas avoir suffisamment de médicaments, pas suffisamment de matériel de protection pour les personnels de santé et, un par un, c'est ma responsabilité, car je suis chargé de faire fonctionner le marché intérieur, j'ai appelé l'ensemble des ministres de la santé, de l'industrie et, en quelques jours, les frontières se sont rouvertes.

En quelques jours, nous avons re-compris qu'il était absolument essentiel de partager et, en quelques jours, nous avons vraiment vu que ce qui était nécessaire pour une crise de cette nature, c'était évidemment qu'on puisse la traiter au niveau d'un continent, au niveau de notre continent.

C'est très fort pour moi, ce moment. J'ai dit à mes collaborateurs, au fond, le mot qui va ressortir de cette crise, va être la solidarité.

C'était, avant le plan de relance, c'était avant tout ce que l'on a fait sur les vaccins. J'ai senti très vite que c'était ce mot qui allait faire la différence, qui allait vraiment nous permettre de nous faire prendre conscience - nous, on le sait, on est des Européens convaincus, mais même pour ceux qui le sont moins que nous - que c'est finalement à travers ce mot que l'Europe existait.

Puis, on a commencé à mettre en commun nos ressources, nos forces. L'Europe, comme tous les autres continents du monde et tous les autres pays de façon générale, était insuffisamment préparée.

Je me souviens par parenthèse que c'est moi qui ai conseillé à Ursula Von der Leyen d'envoyer des masques de protection aux Chinois qui le demandaient, car ils n'étaient pas préparés eux-mêmes, dans le cadre de nos accords de coopération. Personne n'était préparé.

En l'espace de trois ou quatre mois, les industriels européens se sont mobilisés, on a été auto-suffisant et il y a eu ce plan de relance qui a ancré, au plus profond désormais de notre ADN, la solidarité, le principe de solidarité, le fait que, dans cette crise, tous les pays, les 27 États membres devraient être égaux devant cette nécessité de s'endetter, car évidemment, pas un seul des États du monde n'avait le premier euro, le premier dollar pour faire face à cette crise ; tous ont dû procéder à l'endettement.

Un petit point là-dessus.

François connaît mon aversion à la dette. Nous la partageons cher François, en tout cas c'est un sujet absolument essentiel, mais enfin pour cette crise-là, on a oublié ce que l'on se disait et on s'est dit, toi et moi, que c'était absolument essentiel de donner à l'ensemble des pays européens une capacité identique à procéder à l'endettement, puisque l'Allemagne a dû s'endetter, les Pays-Bas ont dû s'endetter, la France devait s'endetter, l'Espagne, l'Italie, la Grèce, le Portugal, tous les pays européens ont dû s'endetter.

Fallait-il encore qu'ils puissent le faire dans des conditions identiques.

Cela a été ce fameux plan de relance, évidemment qui a ancré la solidarité pour lequel, on l'a bien vu et c'est une réalité, je crois que l'on peut dire historique, le président de la République, Emmanuel Macron et la chancelière Merkel, ont vraiment pesé de tout leur poids. C'était bien préparé par la Commission je dois le dire, mais politiquement, il n'y aurait pas eu leur poids, je ne suis pas sûr que l'on ait pu y arriver.

Une démonstration de plus que c'est vraiment le couple le moteur franco-allemand qui est si important.

Au fur et à mesure où l'on a avancé, un petit point que je voulais partager avec vous car je l'ai ressenti assez fortement, au fond, on a tous vécu dans les combats que nous menons de là où nous sommes le fait que l'Europe doit être défendue, doit être partagée, expliquée et moi en tout cas, de là où je suis, je peux vous dire que ce n'est pas pour moins d'Europe que l'on est venu nous chercher, nous interpeller, c'était au contraire pour plus d'Europe.

On veut plus d'Europe.

On veut partager davantage, on veut acheter des vaccins ensemble, on veut avoir une politique où on puisse avoir des stocks à partager. On veut avoir une capacité à s'endetter ensemble.

Au fond, si je retiens politiquement un des éléments importants de la première partie de cette année, et de ce qui se passe à l'automne, c'est qu'il est vrai que, pour nos 456 millions de citoyens européens, tout le monde a aujourd'hui compris - chacun se situe là où il est sur son propre échiquier politique -, mais, au fond, chacun a compris qu'une crise comme celle-ci ne pouvait être traitée qu'au niveau d'un continent et qu'au fond, l'évolution du monde imposait aujourd'hui d'avoir une logique "continent", une Europe continent et ce sont les valeurs que nous défendons.

Les populistes sont toujours là. Il faut être attentif, mais on ne les a pas beaucoup entendus pendant cette crise, partout. En outre, ceux qui étaient aux affaires ont démontré ce qu'ils étaient malheureusement pour leurs mandants capables de faire ou, plus précisément, de ne pas faire.

C'est une leçon dont il faudra se rappeler et se souvenir, mais, croyez-moi, nos concitoyens et nos compatriotes l'ont, je crois, bien intégré.

Deuxième élément : une Europe plus efficace.

Il est vrai que l'on veut plus d'efficacité, il est vrai qu'il faut mutualiser nos capacités d'intervention en commun. Il est également vrai que l'on se rend compte que, dans les enjeux géopolitiques qui vont dessiner le monde - il est d'ailleurs formidable que François soit désormais Haut-Commissaire -, il est absolument essentiel d'avoir une capacité à avoir une projection du temps long et, dans celle-ci, il va évidemment réfléchir à comment nous positionner, la France et l'Europe, dans la confrontation qui sera désormais durable entre les États-Unis d'un côté, la Chine de l'autre côté et, nous, l'Europe, laquelle doit, de plus en plus, prendre son destin en mains, de façon plus solidaire, en s'appuyant sur nos valeurs, ce qui fonde notre socle, notre différence, car c'est tellement important pour nous.

Quand nous regardons comment la situation évolue, que ce soit à l'Est de notre continent ou à l'Ouest, je pense que nous pouvons dire que nous sommes la plus grande, la plus vieille et la plus forte démocratie du monde.

En tout cas, c'est clairement comme cela que je vois les choses.

Il n'en demeure pas moins que, dans l'affrontement, les confrontations qui vont, n'en doutons pas, se poursuivre, notamment entre la Chine et les États-Unis, l'Europe doit, de plus en plus, trouver sa voie, être autonome, souveraine diront certains et, dans certains domaines, cela commence à paraître comme une évidence et c'est une bonne chose pour, tout simplement, permette de poursuivre, de continuer à être ce que nous sommes.

Troisième enseignement : dans des crises de cette nature, je dirai que, bien souvent, les tendances s'accélèrent.

Je ne voudrais évidemment pas ne pas vous parler, vous le comprendrez, de tout ce que nous sommes en train de faire sur la réforme, la régulation des grandes plates-formes, de ce que j'appelle moi-même l'espace numérique, l'espace informationnel.

Au fond, dans les grandes crises comme celle-ci, les tendances sont bien souvent accélérées. On l'avait vu lors de la crise des subprimes de 2008-2009 avec un impact sur les grandes banques et une réforme du système financier qui était devenue indispensable.

Certaines banques se considéraient tellement importantes qu'au fond, elles estimaient qu'elles étaient plus importantes que les États et qu'elles étaient to big to fail, trop importantes pour pouvoir tomber, qu'elles pourraient finalement éviter la régulation. Non, les États ont fait ce qu'il fallait et cela a été bien, on a augmenté les fonds propres, on leur a donné beaucoup plus d'obligations, notamment en matière d'éthique, mais également de respect du droit, des règles, y compris concernant le comportement de leurs membres de Comités exécutifs ou Directions générales, etc., et cela a été une bonne chose.

Dans cette crise, on a vu bien sûr de façon évidente et de plus en plus notre dépendance à cet espace informationnel, cet espace numérique et les grandes plates-formes qui l'occupent.

Au cours de la première phase et encore maintenant, oui, on a été de plus en plus contraints, obligés à travailler dans cet espace informationnel. On y travaille, on y télétravaille, on y apprend, on y e-apprend. 

On s'y distrait, on a des contacts sociaux, pour le meilleur ou pour le pire, on y consomme bien entendu de la culture.

Enfin, on vit dans cet espace informationnel et, au fond, on a tous conscience que, d'abord, on a une grande dépendance et qu'ensuite, on peut y voir et souvent y faire un peu tout et n'importe quoi. Or, cela, c'est totalement intolérable.

C'est évidemment un sentiment, une perception, une dynamique qui a été accrue par cette crise. On a donc "pris le taureau par les cornes" et, comme vous le savez, je me suis vraiment penché sur cette question et, après d'un an de travail, nous allons présenter, avec ma collègue Margrethe Vestager, une régulation, une refonte extrêmement profonde, la première, je crois, depuis 2000, puisque la première était la directive "e-Commerce". 

Cela faisait 20 ans que l'on n'avait pas régulé cet espace, d'où, du reste, ce sentiment d'impunité, voire, pardon cette expression, de farwest, de zone de non droit. 

Envers et contre tout, car les lobbies sont évidemment puissants, mais, François, on n'est pas nés de la dernière pluie, je le rappelais tout à l'heure, on voit tout cela, on va présenter deux grands actes législatifs le 15 décembre, l'un pour donner des obligations désormais extrêmement fortes aux plates-formes, en délégation de moyens et de résultats, notamment pour avoir une meilleure régulation de tous les contenus, avec un principe de base : au fond, tout ce qui est autorisé dans l'espace physique doit l'être ou peut l'être dans l'espace numérique. 

En revanche, tout ce qui est interdit dans l'espace physique doit aussi l'être dans l'espace numérique. On n'a pas le droit d'insulter son voisin dans l'espace physique, on n'a pas le droit de l'insulter non plus dans l'espace numérique.

On va présenter cela.

On a un deuxième volet qui sera très important, je le dis car on aura vraiment besoin de votre soutien, c'est le fait qu'il faut aussi réguler et organiser un peu mieux cet espace numérique, avec des acteurs extrêmement dominants. Je ne vais pas les citer, vous les avez tous en tête. Il faut les réguler, il faut mettre un peu d'équité, il faut limiter leurs effets de goulets d'étranglement. On dit en anglais gate keepers, cela veut bien dire ce que cela veut dire.

Tout ceci a donc donné lieu à des centaines d'heures de travail et les propositions seront faites le 15 décembre. J'espère, encore une fois, que non seulement cela répondra à ce que je sais être vos aspirations, mais que, de là où vous êtes, vous nous donnerez un écho favorable, car on aura besoin de se battre sur ces textes qui vont être absolument essentiels.

Quand on voit que le dernier, c'était il y a vingt ans, on voit l'importance entre nos mains pour, sans doute, les dix ou vingt prochaines années et, quand on voit l'importance du numérique, y compris pour nos valeurs, pour notre démocratie, pour l'état de droit, je compte sur vous.

Voilà ce que je voulais vous dire à cette occasion pour vous remercier du fond du cœur de ce que vous faites. Vous passez beaucoup de temps, chacune, chacun, chacun dans vos villes, dans vos villages, dans vos départements, dans vos régions, au Parlement, moi, de mon côté à la Commission. Je sais ce que c'est que cette envie de contribuer, d'apporter, de participer.

Vous exprimez un courant de pensée qui est un courant extrêmement important de notre pays et dont je mesure tous les jours qu'il sera, j'en suis absolument convaincu, le courant de pensée de notre continent européen.

On va avoir un rôle très important à jouer.

Je compte sur vous et je vous remercie.

Seul le prononcé fait foi.

Thierry Breton, Commissaire européen au Marché intérieur

Classé à trois reprises (2010, 2017 et 2018) parmi les 100 patrons les plus performants au monde selon le classement de la Harvard Business Review, Thierry Breton a une grande expérience dans le milieu de la direction d’entreprises et de l’administration de sociétés. Il a été Vice-président de Bull (1996-1997), président-directeur général de Thomson (1997-2002) puis de France Télécom (2002-2005), avant d’occuper le rôle de président-directeur général du groupe Atos de 2009 à 2019. Il est également président de l'Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT) et membre élu de l'Académie des technologies. Thierry Breton possède également une grande expérience en politique puisqu’il a été Conseiller régional du Poitou-Charentes de 1986 à 1992, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie de 2005 à 2007 et a été nommé Commissaire européen au Marché intérieur en décembre 2019.

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