Réforme du baccalauréat, malaise enseignant, égalité des chances à l'École : analyse de la députée Géraldine Bannier

Géraldine Bannier
(© Assemblée nationale)

Géraldine Bannier, députée de la Mayenne, membre de la commission des affaires culturelles et de l'éducation à l'Assemblée nationale, a mené, avec le député LR Frédéric Reiss, une mission "flash" sur la mise en place de la carte des spécialités dans le cadre de la réforme du lycée dont l’idée est de donner plus de liberté de choix aux élèves. Interview.

Mouvement Démocrate - Durant votre enquête, qu’est-ce qui vous a le plus frappée ?

Géraldine Bannier -  En réalité, les réactions sur le terrain se focalisaient bien davantage sur l’attente des "attendus du supérieur", la très nécessaire ouverture des établissements du supérieur à des profils plus diversifiés, ainsi que sur les modalités pratiques des épreuves du nouveau bac, le fonctionnement des conseils, qu’à strictement parler sur la "carte des spécialités" ; il y a bien des améliorations à apporter dans l’offre des spécialités, que nous avons relevées, mais ce n’était pas là que se concentraient les premières attentes…

Vous préconisez notamment une répartition des spécialités en fonction de critères géographiques et sociaux. Comment déterminer ces critères au plus juste ?

La Depp (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) au Ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse nous a expliqué ne pas disposer de diagnostics très fins sur la corrélation entre spécialités offertes et spécificités d’établissements, telles que ceux qui recrutent majoritairement dans des collèges ruraux avec temps de déplacement important pour les élèves et restriction corrélée du choix de lycée possible ou ceux qui affichent une mixité sociale moindre avec une proportion d’élèves d’origine populaire plus importante. Il paraît essentiel que l’offre soit particulièrement large en termes de spécialités pour ces établissements ; une attention a évidemment été portée sur ces établissements du fait du pilotage de la carte par les rectorats mais il faut en mesurer plus précisément l’application.  

Comment améliorer l’offre de spécialités dans les zones rurales ?

Tous les départements doivent proposer l’ensemble des spécialités ; ce n’est pas le cas pour la spécialité LLCA (Littérature, langues et cultures de l’Antiquité), du fait des difficultés de recrutement de professeurs dans ces disciplines, ce que compensent en partie les options mais ça ne suffit pas, car c’est potentiellement priver d’heures de cours un élève "rural" par rapport à son voisin souvent "urbain" du département voisin. Il faut aussi améliorer l’offre CNED, notamment en outre-mer, et permettre aux lycéens qui ne peuvent pas changer d’établissement pour suivre une spécialité de la suivre via le CNED, avec accompagnement d’un enseignant dans son établissement. Enfin, les conventionnements entre établissements ont une marge de progrès importante ;  des expérimentations sont très intéressantes, telles la visioconférence quand la ressource humaine n’est pas là, ou la pratique sur journées complètes, sur un lieu central, de spécialités "rares" telles Arts. 

Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a annoncé quelques ajustements pour la réforme du bac : l’évolution des conseils de classes, l’allègement des textes étudiés en français et les groupes de niveaux en mathématiques, les épreuves d’anglais moins littéraires, vous semblent-elles des mesures allant dans le bon sens ?

Cela correspond tout à fait aux attentes que nous avions fait remonter ; partout, ces mêmes sujets sont revenus ; j’ai été particulièrement interpellée et sensible, vu mon passé, à l’exigence souhaitable des programmes mais un peu éloignée du niveau actuel des élèves en français. Il y avait pour l’anglais, des élèves qui exprimaient une certaine surprise lorsqu’ils avaient découvert le contenu des programmes, très "littéraire", lorsqu’ils pensaient orienter leur apprentissage davantage vers la "communication". Pour les mathématiques, les enseignants ont des difficultés avec l’hétérogénéité de leurs groupes. L’ensemble des ajustements va permettre une meilleure adaptation au niveau des élèves, sans perdre l’exigence de vue, et une meilleure efficacité des apprentissages.

Vous étiez professeure de Lettres : quel est votre point de vue sur la situation des enseignants aujourd’hui ? Comprenez-vous leur colère ?

Il y a, depuis des années, un "malaise enseignant". On exige beaucoup d’eux et je constate que presque chaque projet de loi à l’assemblée renforce étrangement ces exigences. Il faut initier les élèves au gaspillage alimentaire, à l’économie circulaire, à la lutte contre la haine, au harcèlement scolaire… À croire que l’on est parfaitement inconscient de ces problèmes quand on enseigne le français ou les mathématiques.

C’est normal qu’on exige beaucoup de notre système éducatif mais les enseignants sont en manque de reconnaissance. Ils sont encore suspects dans l’opinion publique par rapport aux vacances, aux heures de cours qui seraient insuffisantes quand on oublie que la semaine d’un enseignant, ce sont aussi de trop nombreuses réunions, des préparations de cours, des corrections et une préoccupation en continu par rapport aux difficultés multiples des élèves qu’ils ont en face d’eux. Leur salaire est gelé depuis longtemps par la stagnation du point d’indice et, la réalité, vécue, c’est que même les élèves relaient ce que tout le monde sait : "Prof, ça ne paie pas". La société, les parents même, ont un rôle à jouer dans la reconquête de la "confiance" voulue par le gouvernement. On doit avoir confiance dans la transmission du savoir, respecter les acteurs de cette transmission, qui sont d’abord dans l’accompagnement, le soutien, sous peine de mettre en péril- ce qui est déjà le cas- les compétences des futures générations.

Quel serait, selon vous, le meilleur moyen pour renforcer l’égalité des chances à l’école ?

Il faut ouvrir la définition de la réussite, de l’ "excellence". Elle peut être l’excellence mathématique, littéraire, mais aussi sportive, pratique ou artistique. Un élève qui présente des aptitudes manuelles exceptionnelles doit être aussi valorisé dans son talent et son parcours qu’un premier de classe. Il est important, à mon avis, et même si ce n’est pas un discours académique, de ne pas faire l’autruche par rapport aux inégalités liées à la "reproduction des élites", une forme d’endogamie qui favorise les connaisseurs du système scolaire, des cartes scolaires. Pour moi, renforcer l’égalité des chances, c’est rappeler la fonction première de l’école : amener chacun au maximum de ses possibilités et le valoriser dans son talent particulier ; c’est aussi permettre à chacun, où qu’il soit, d’avoir la même possibilité de parcours qu’un autre élève et là, des dispositifs sont majeurs (bourses au mérite, internats d’excellence, accès "parallèle" aux grandes écoles, lieux d’apprentissage performants…).

Estimez-vous le système scolaire français trop élitiste ?

Clairement oui. J’ai vu de très près la différence de vécu entre un élève qui présente des facilités scolaires qui lui demandent en réalité très peu d’effort, et celui de l’élève qui galère pendant tout le parcours en situation d’effort et de stress permanent, ou parfois de renoncement. L’aptitude à s’adapter au système scolaire est très favorisée par les conditions d’éducation à la maison (qualité du sommeil, présence des livres, pratique de la musique, langage développé etc…) ce que maîtrisent bien les élites. Il faut par conséquent que l’éducation nationale permette à chacun de réussir, et sans placer jamais l’élève "en échec" par rapport à un autre. On peut ne pas mentir sur les capacités dans telle ou telle matière tout en montrant à un élève ce qui fait sa force individuelle. Tout parcours vaut un autre dès lors qu’il permet à un individu de se sentir à terme bien dans la société.

La revalorisation de l’apprentissage vous paraît-elle bien engagée ? Les lycées agricoles sont-ils bien pris en compte dans la réforme ?

Les chiffres sont bons pour l’apprentissage, et pour être d’un département qui recrute fortement, je dois dire que c’était très attendu des entreprises qui peinent à trouver des salariés. Pour les lycées agricoles, ils ont été très peu associés à la réforme et ont donc la particularité de n’offrir que trois spécialités, avec une spécifique, biologie-écologie,  au lieu des 7 majeures des autres lycées. Il y a peut-être moyen d’enrichir l’offre de spécialités (conventionnement, CNED…) pour que leur bac général ressemble davantage aux autres bac. Il faut rappeler la belle réussite de ces lycées en termes d’insertion professionnelle de leurs élèves.

L’idée de "parcours" vous paraît-elle mieux adaptée que les anciennes séries ? Plus souple ?

Bien sûr. Chaque élève peut davantage s’y retrouver ; j’ai moi-même le souvenir très difficile et cornélien du choix entre L et S ; j’aurais aujourd’hui la possibilité de faire physique-chimie, sciences de la vie et de la terre et humanités, littérature et philosophie. J’ai vu un élève qui, parce qu’il voulait entrer dans l’armée, a fait des choix inhabituels par rapport aux anciennes séries mais "de son cœur".

Le supérieur doit par contre accepter les élèves dans chacun de leurs choix de parcours. Un élève qui excelle dans une triplette arts- sciences économiques-humanités, littérature et philosophie a toutes les chances de réussir dans le supérieur…

C’est aussi pour cela qu’il est dommage de restreindre dès la terminale les spécialités au nombre de deux. La spécialisation véritable pouvait attendre l’après terminale, d’autant plus que les compétences sont malgré tout transposables d’une matière à l’autre, ce qu’on oublie trop souvent.

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