Marc Fesneau sur le 49.3 : "On s'est retrouvé avec quarante et un mille amendements : on était sur une affaire de mois ou d'années"

Retrouvez l'interview de Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre chargé des Relations avec le Parlement et Vice-président du Mouvement Démocrate. Il était l'invité de Léa Salamé à 7h50, ce mardi 3 mars 2020 sur France Inter.

NICOLAS DEMORAND

Léa Salamé, votre invité ce matin est ministre auprès du Premier ministre chargé des Relations avec le Parlement.

LEA SALAME

Bonjour à vous, Marc Fesneau. Bonjour.

Merci d’être avec nous ce matin. Vous êtes bien ministre chargé des Relations avec le Parlement, c’est bien ça ? (...) Absolument. Je vous le confirme.
Il sert à quoi le Parlement, aujourd'hui ?

MARC FESNEAU

Ecoutez, contrairement à ce que certains peuvent dire, d’abord il a travaillé...J’imagine que vous parlez du texte sur les retraites, mais en général il sert à débattre d’un texte, à, par la voie de l’amendement, essayer de le modifier, de l’amodier, pour ceux qui sont dans l’opposition de poser leurs propres propositions, et c'est comme ça qu’il devrait fonctionner. La vérité, c'est que dans le débat que nous avons eu sur les retraites, il a donné le sentiment en tout cas pour deux groupes de l’opposition qu’ils n’étaient que dans une stratégie d’obstruction sans réelles propositions parce que, je répète au risque d'être, pardon, répétitif c'est quand vous remplacez "annuellement" par "chaque année" ou "chaque année" par "annuellement" je ne suis pas sûr que ce soit le rôle du Parlement. C’est le droit d’une opposition de faire de l'obstruction de cette façon-là. Mais normalement, il sert à essayer d'améliorer un texte et à essayer pour une opposition de porter un projet qui soit différent.

LEA SALAME

Alors pourquoi vous ne l’avez pas fait ? Pourquoi si vous dites que c’est justement le lieu du débat, le lieu de l’opposition, le lieu de la confrontation politique, est-ce que ce n'était pas votre job, pour employer un terme cher à la macronie ? Est-ce que ce n'était pas votre job d'aller jusqu'au bout et de défendre votre texte ?

MARC FESNEAU

Mais nous l’avons fait. D’ailleurs nous nous sommes mis en situation de pouvoir débattre de ce texte puisqu'il était prévu quinze jours de débat et nous avions prévu de faire éventuellement trois semaines ; qu’il a été ouvert les week-ends et les soirées, ce qui est normal dans un texte qui est comme celui-là, pour avoir le temps nécessaire. Simplement au bout de quatorze jours de débat, nous en étions à l'article 8, il y avait soixante-cinq articles et manifestement ceux qui avaient décidé la voie de l'obstruction - ce qui n'est pas le cas de tous les groupes : le groupe LR, le groupe PS n'avaient pas fait ce choix-là - ceux qui avaient décidé de faire l'obstruction, ils étaient partis sur un pas de temps qui n'était pas une ou deux semaines de plus, mais qui était deux, trois, quatre ou cinq mois de plus. Mais pas avec la volonté de faire évoluer le texte, avec la volonté d'empêcher que le texte puisse être débattu.

LEA SALAME

Marc Fesneau, je voudrais aller au bout parce qu’au fond, votre texte va passer cet après-midi donc débattons-en une dernière fois. Pourquoi ne pas oser rester quinze jours de plus, un mois de plus, un mois et demi de plus, deux mois s’il le faut pour un texte aussi capital pour les Français ? On n'arrive pas à comprendre cette urgence, pourquoi au bout de quatorze jours vous dites : "C'est bon, on a donné quatorze jours, c’est terminé. 49-3"

MARC FESNEAU

Au risque d'être un peu dans la logistique comme on dit, pardon de vous dire que le texte il est voté cet après-midi et le processus ne s'interrompt pas. Première chose, le texte il est voté cet après-midi avec la prise en compte de trois cent cinquante amendements qui n'étaient pas dans le texte originel. Donc le texte qui va sortir cet après-midi de l'Assemblée n'est pas le texte qui va rentrer de l’Assemblée nationale.

LEA SALAME

C'est vrai, c’est vrai. Mais les députés ne savent pas ce que vous avez écrit. Ils ne savent pas ce que vous avez rajouté.

MARC FESNEAU

C’est inexact. C’est inexact puisqu'il y a la liste des amendements qui sont repris.

LEA SALAME

Mais ce que vous avez écrit hier.

MARC FESNEAU

Non, pas du tout. Non, il faut être très précis dans ces affaires-là. Sont repris seulement les amendements qui avaient déjà été déposés, soit par le gouvernement, soit par des groupes de la majorité, soit par des groupes de l'opposition. Les amendements qui sont repris, c'est des amendements qui étaient sur la table, qui malheureusement du fait de l'obstruction n'ont pas pu être débattus. Par ailleurs, le texte va partir au Sénat pour la première lecture, puis après il reviendra à l'Assemblée nationale pour une nouvelle lecture, puis au Sénat pour une nouvelle lecture, puis une lecture définitive à l'Assemblée. Alors si vous trouvez que le processus s'arrête aujourd'hui, je crois qu'on fait une erreur en disant que le processus s'arrête aujourd'hui. Factuellement et réellement, il ne s’arrête pas.

LEA SALAME

Vous savez que vous pouvez réutiliser le 49-3 sur la deuxième lecture à l’Assemblée nationale.

MARC FESNEAU

Je répète ce que j’avais dit à l’époque : nous ne souhaitons pas et nous ne souhaitions pas utiliser le 49-3. Simplement nous étions dans une manœuvre d'obstruction. Alors j'entends monsieur Mélenchon me dire qu'il ne faisait pas d'obstruction, il peut dire aussi que la Terre est plate quand bien même elle serait ronde. Il peut dire qu'il ne fait pas d'obstruction alors qu'il en a fait. Il a fait un choix d'obstruction. On va voir très vite d'ailleurs puisque nous examinons à partir de demain le projet de loi organique qui ne compte celui-là que cinq articles qui est sur un certain nombre de grands principes, notamment le fait de faire rentrer les parlementaires dans le giron du système universel. On verra s'il continue ses manœuvres d'obstruction. En tout cas la volonté de la majorité, et je le dis parce qu'il faut être honnête intellectuellement, d'une partie de l'opposition c'était d'aller au fond du débat et j'espère qu'on ira au fond du débat sur cette partie-là.

LEA SALAME

En quarante-huit heures, deux députés et un sénateur de La République en Marche ont quitté le groupe, d'autres y pensent, on l'a entendu sur l'antenne. Ils disent en substance : utiliser le 49-3, adopter un texte sans vote du Parlement pour une réforme aussi cruciale, c'est inacceptable. Ils parlent - et ils viennent de votre groupe - de cynisme, d'incompétence politique. Vous leur répondez quoi, ce matin ?

MARC FESNEAU

Ni cynisme, ni incompétence politique. Après tout, je respecte leur position. Je reconnais que les deux députés avaient fait part de leur réticence à l'utilisation du 49-3. Après j'ai un désaccord de fond avec eux, et ça peut se dire aussi tranquillement sans acrimonie, c'est que 1 : la plupart des amendements qui étaient portés par le groupe LREM sont repris dans le texte qui est finalement présenté au Parlement aujourd'hui. Une partie des amendements qu'ils avaient cosignés eux-mêmes et donc ça ne s’est pas fait par-dessus le Parlement. Et c'est d'ailleurs d'une certaine façon l'originalité de ce 49-3, puisqu'il se fait non pas contre une majorité, non pas d'ailleurs contre ceux qui dans l'opposition voulaient apporter des éléments puisqu'on les intègre dans le texte. Et puis 2 : je pense que sur la forme, on ne peut pas dire à la fois ce qu'ils disent d'ailleurs, je crois, dans leurs attendus qui sont contre l'obstruction et dire simplement "il n’y avait qu'à faire une semaine de plus". Nous n’étions pas dans cette disposition d'esprit. On s'est retrouvé avec quarante et un mille amendements et sur chaque amendement, la volonté de mettre des sous-amendements, donc on n'était pas sur une affaire de semaines : on était sur une affaire de mois ou d'années. Donc à un moment, je pense que ça peut s'entendre aussi qu'il fallait sortir de la situation d'obstruction, au fond de non-débat.

LEA SALAME

Oui. Il y en a d'autres qui vont partir ?

MARC FESNEAU

Je ne sais pas. Dans une majorité et dans un groupe qui se constitue comme celui qui s'est constitué en 2017, il est normal qu'il y ait des mouvements. Il n’y a rien de très dramatique, je ne jette l'opprobre sur personne dès lors que ça se fait avec la liberté d'esprit et aussi la lucidité qu'il faut. Il n’y a pas de difficulté majeure. Il y a trois cents parlementaires LREM, il y a quarante-six parlementaires MoDem, il y a des députés Agir UDI qui sont dans la majorité aussi. La majorité est suffisamment large pour qu'elle puisse supporter aussi que certains aient fait des choix individuels, mais ça se respecte aussi.

LEA SALAME

Oui, vous avez raison. La majorité est tellement large que les deux motions de censure, celle de droite et celle de gauche, vont être rejetées cet après-midi. Vous y allez dans quel état d'esprit ? Confiant, relax, détendu ?

MARC FESNEAU

Aucun de ces mots-là. Sur une motion de censure... Si quelqu'un peut aller dans une motion de censure confiant, relax, détendu, d'abord je crois que c'est le moment aussi. Ça va permettre à ceux qui avaient des choses à dire dans l'opposition de dire quels étaient leurs points de vue et puis à ce que nous avons intégré dans le texte au Premier ministre de dire ce que nous avons intégré dans le texte. Donc ni confiant, ni relax, ni détendu, plutôt avec le souci que ce moment soit un moment de ponctuation, si je peux dire, et de fin d'une obstruction et qu'on ouvre aussi les étapes suivantes. Il y a la conférence de financement, il y a un certain nombre d'éléments qui vont être mis sur la table.

LEA SALAME

Alors justement, le texte va arriver au Sénat. Le président du Sénat Gérard Larcher a demandé à Edouard Philippe de décaler le débat à début mai, après la fin de la conférence de financement, estimant que c'est logique. On veut savoir comment on finance un texte avant de le voter, c'est ce que dit Gérard Larcher. Vous lui répondez quoi ?

MARC FESNEAU

On va regarder les choses. On essaye toujours de travailler, parce que moi je suis défenseur du bicamérisme, réellement. On va essayer de regarder les choses qui sont possibles. Dans le calendrier qui est le nôtre, qui n’est pas lié d'ailleurs, contrairement à ce que certains ont pu dire, aux affaires de municipales, qui est dû au fait qu'à partir au 6-8 juillet, le Parlement interrompt ses travaux et qu'il faut qu'on soit dans cette cale de ce calendrier-là. Donc on va regarder avec le président Larcher, on va essayer de trouver les voies et les moyens. J’entendais monsieur Retailleau, je crois qu'il est votre invité tout à l’heure...

LEA SALAME

Oui.

MARC FESNEAU

Qui disait : au fond, on va refaire un texte. Donc au fond, ce qu’on y écrit nous-mêmes n'a pas l'air d'avoir grande importance, mais enfin ceci dit on donnera les éléments au président Larcher - on va lui répondre - pour essayer de regarder comment on peut faire et nouer un débat qui soit un débat de qualité. Je ne doute pas qu'on y arrive.

LEA SALAME

Pardon. Vous ne dites pas non pour changer le calendrier ?

MARC FESNEAU

Je ne dis pas non, je ne dis pas oui. Il faut toujours essayer de travailler sur les questions de calendrier. Il faut que nous essayions d'écouter le calendrier du Sénat et que le Sénat essaye d'écouter notre calendrier et qu'on essaie de trouver un point d'atterrissage. On verra.

LEA SALAME

Justement, la conférence de financement, vous en parliez. FO a claqué la porte hier. Une réaction ?

MARC FESNEAU

Non. Je trouve que le motif qu'ils donnent qui est celui du 49-3 n'a rien à voir puisque c’est une question de procédure et c'est une question aussi de lutte contre l'obstruction. Je le regrette. Mais au fond depuis le début, FO est vent debout contre cette réforme mais contre son principe même. Et donc après tout, il y a une logique d'une certaine façon. Même si ça peut regretter parce que je trouve que dans la vie politique, dans la vie syndicale, on a toujours intérêt, même quand les désaccords sont très profonds, à les mettre autour de la table et à l'exprimer autour d'une table plutôt que de sortir de la table. Mais enfin, bon.

LEA SALAME

Sur la conférence de financement, le gouvernement dit qu'il faut trouver douze milliards d'euros pour financer les retraites d'ici 2027.

MARC FESNEAU

Dans le système actuel, oui.

LEA SALAME

Ce chiffre de douze milliards est un chiffre que contestent les syndicats. Il semblerait que vous seriez d'accord pour vous mettre d'accord autour d'un chiffre qui serait plutôt de neuf milliards. Est-ce que ce compromis de neuf milliards à trouver d'ici 2027 est effectivement sur la table ?

MARC FESNEAU

On verra mais ça fait partie du débat. Parce qu'effectivement, les chiffres d’évaluation, on sait comme c'est compliqué d'évaluer, le comité d'orientation des retraites avait donné des chiffres il y a trois ans qui ne sont plus les mêmes aujourd'hui. Donc c'est difficile d'évaluer mais ça peut être un terrain aussi de compromis de regarder si l'on est d'accord sur le déficit qui se creuse et comment on essaie de gérer ce déficit.

LEA SALAME

Pour rassurer Dominique Seux, c'est pour quand le simulateur sur Internet ? Pour qu'on sache exactement tous combien on va toucher pour nos retraites ?

MARC FESNEAU

Je vois la demande. Alors c'est étonnant parce que dans le système actuel, personne n'a jamais demandé un simulateur et c'est compliqué de le faire. Je pense qu'on a besoin effectivement d'un simulateur et je comprends la demande qui a été faite par Dominique Seux qui me regarde pendant que je parle...

LEA SALAME

Oui, oui. Rassurez-le parce que là, vous ne le rassurez pas tellement. Il lève les yeux au ciel.

MARC FESNEAU

Je vois bien son inquiétude. Je vois bien que je ne le rassure pas. La question d’un simulateur, je pense que pour disposer d'un simulateur il faut qu'il soit crédible et qu'il fonctionne bien. Il ne vaut mieux pas confondre vitesse et précipitation et, effectivement, je pense que les éléments du simulateur sont donnés à un moment ou à un autre mais il faut qu'ils soient suffisamment précis pour rassurer les gens et pas encore les inquiéter inutilement.

Thématiques associées

Je reçois la lettre d'information du Mouvement Démocrate

Engagez-vous, soyez volontaires

A nos côtés, vous serez un acteur de nos combats pour les Français, pour la France et pour l'Europe.

Chaque engagement compte !

Votre adhésion / votre don

Valeur :

Coût réel :

20 €

6,80 €

50 €

17 €

100 €

34 €

Autres montants

Qu'est ce que la déclaration fiscale sur les dons ?
Filtrer par