Interview de François Bayrou dans Le Monde

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Retrouvez ci-dessous l'entretien accordé par François Bayrou au journal Le Monde.

Propos recueillis par Cédric Pietralunga et Olivier Faye

Le regain de violences de samedi montre que la crise des « gilets jaunes », pour Emmanuel Macron, n’est pas derrière lui mais devant lui. En avait-il conscience ?

François Bayrou : Il a toujours eu conscience de la nature complexe de cette crise. Car il y a deux crises en une. L’une représente une atteinte intolérable à notre société, des bandes et des individus qui ont l’obsession de détruire, de brûler, de casser, de mettre à sac. Face à cette volonté d’abattre notre mode de vie, notre pays a le devoir de mobiliser sans aucune faiblesse ses forces de sécurité. L’autre crise est une crise de nature sociale et démocratique, qui fait s’exprimer des frustrations qui fermentaient depuis 30 ans au cœur de la société française. Celle-là mérite des réponses profondes.

Emmanuel Macron a déclaré que « tous ceux qui étaient » sur les Champs-Elysées samedi « se sont rendus complices » des violences ? Vous êtes d’accord avec ça ?

Les casseurs se servent des manifestations pour trouver un prétexte et un alibi. Et il est vrai qu’il y a très peu de réactions de la part des manifestants non-casseurs pour condamner et chasser ces casseurs.

Y a-t-il un problème de maintien de l’ordre ? L’action de Christophe Castaner semble entachée…

Le souci constant de tous les gouvernements à toutes les époques devant les questions de maintien de l’ordre c’est d’éviter autant que possible les accidents de personnes. La stratégie qui en découle est-elle aujourd’hui adaptée aux bandes destructrices ? Ce n’est évidemment plus le cas. Des décisions s’imposent et elles sont en train d’être prises.

Le grand débat national devait en théorie permettre de sortir de cette crise…

Les destructeurs ne doivent pas nous détourner d’apporter des réponses à la hauteur de l’attente des Français qui s’est exprimée au long du grand débat. Il y a au moins trois types de frustrations. Frustration sociale, autour de la question du niveau de vie et des inégalités. Frustration de représentation, car de très nombreux citoyens se sentent exclus du fonctionnement des institutions. Frustration démocratique, parce que les sujets qui surgissent lors de chaque campagne présidentielle paraissent aussitôt oubliés.

Ce grand débat est une idée-clé, sans précédent dans les démocraties du monde. Une idée si originale que, dans les milieux de pouvoir ou médiatiques, personne n’y croyait ! Mais le président de la République a puissamment ressenti la vraie signification de cet orage de frustrations et de colères. C’est pour cela qu’il est allé personnellement au contact direct des Français, à hauteur d’homme.

Ce sera un nouveau départ. D’habitude, c’est l’élection présidentielle qui offre une telle occasion. Cette fois nous allons pouvoir trouver cette chance en dehors de la pression, des passions et des illusions propres aux séquences électorales. Voilà l’exigence : la redéfinition du projet national de la France et des Français. Nous sommes un grand peuple politique, qui a profondément besoin d’être réuni autour d’un projet, d’une vision de l’avenir, avec des choix concrets, mais aussi une part d’idéal national.

Mais ce projet, Emmanuel Macron l’avait présenté au moment de l’élection présidentielle…

Pendant la campagne, Emmanuel Macron a profondément senti l’attente d’un changement. D’un changement d’inspiration pour l’action et d’un changement de gouvernance du pays. Mais ce qu’ont ressenti les Français, une fois Emmanuel Macron entré à l’Elysée et ses équipes constituées, c’est qu’en réalité rien n’a vraiment changé dans la culture du pouvoir. Cette culture – centralisée, technicienne, gestionnaire –, qui est celle de l’Etat depuis des décennies et explique beaucoup de nos échecs, a naturellement repris son cours traditionnel. Le renouvellement de l’Etat, la créativité, la novation, la simplicité, le partage d’un nouveau souffle avec les Français, tout cela n’a plus été perceptible. Le grand souffle du changement ne s’est plus fait sentir.

Le président a été trop jupitérien ?

Pas du tout. Toutes les sociétés aujourd’hui ont besoin d’un chef identifié, qui ne se défile pas devant les décisions. Mais la France étant ce qu’elle est, nos institutions exigent qu’il soit aussi la voix de tous les Français. Dans la Rome antique, il y avait deux pôles du pouvoir : le consul était le chef institutionnel, et le tribun de la plèbe représentait la base, jusqu’à disposer d’un droit de veto. C’est la vocation du président de la VRépublique d’unifier ces deux fonctions. Et c’est cette exigence qui prend corps dans les dizaines d’heures de dialogue direct avec les Français.

Se dirige-t-on vers un changement de méthode de gouvernance et pas du fond de la politique ?

Les deux se tiennent. Ce sont deux faces d’une seule médaille. Le nouveau contrat pour la France a besoin à la fois d’une inspiration nouvelle ou réaffirmée, et d’une reconstruction de la gouvernance en direction d’une société de confiance, d’une société de fluidité sociale. Il faut ouvrir les cercles de pouvoir ! Ne pas les limiter à des milieux socialement clos ! Il faut un changement profond de culture et de méthode.

Qu’a-t-il manqué au président de la République pour éviter la crise des « gilets jaunes » ?

La crise se préparait depuis des décennies, il était très difficile de l’empêcher d’éclater. Il aurait fallu rompre dès l’élection avec trente années de pratique traditionnelle du pouvoir. Car l’élection portait cette promesse de changement radical. Mais après l’élection, il faut gouverner. Il faut s’installer au pouvoir et pour cela il faut bien sûr des équipes qui ont l’expérience de l’Etat. On retrouve donc naturellement les pratiques classiques : on prend des textes qu’on écrit comme on les a toujours écrits, les conseillers conseillent comme ils ont toujours conseillé. Tout cela est humain et normal, mais s’accommode peu de l’exigence des grands changements !

Le gouvernement actuel est-il l’incarnation de ce système de pouvoir ?

Le gouvernement, c’est le président qui l’a choisi, nommé et dirigé. C’est un gouvernement compétent, irréprochable du point de vue de la technique, du respect des règles, des « réformes ». Simplement, dans toutes ces réformes de gestion, dès l’ISF, les APL, la CSG, l’inspiration du projet de société n’est presque plus apparue. Or, une réforme dont on perd le sens perd le soutien des citoyens.

Quelles mesures vous semblent prioritaires aujourd’hui ?

Je ne raisonne pas d’abord en termes de mesures. Les mesures doivent suivre le projet et non pas le remplacer, comme on le fait dans les programmes électoraux. Cela posé, quels sont les grands sujets ? Il y en a un autour de la démocratie et de la place des citoyens dans les institutions, y compris entre deux élections. Comment l’information et l’influence sur les décisions peuvent-elles se partager ? La démocratie élective doit profondément se renouveler pour échapper à sa caricature.

Le nombre des parlementaires est évidemment en question, tout comme peut-être celle de leur statut. La réforme de la vie parlementaire me paraît par ailleurs indispensable. Est-il acceptable que sur n’importe quel texte banal l’Assemblée nationale débatte à 4 heures du matin ? Il faudrait supprimer la délégation de vote, obliger les députés à être présents quand ils votent. Concernant la règle électorale aux élections législatives, l’idée que la proportionnelle ne concerne que 15 % des sièges, moins d’un député sur six, paraît désormais parfaitement déplacée. Si proportionnelle il y a, il faut qu’elle soit conséquente. Enfin, le vote blanc, qui est ressenti comme un besoin de légitimation, doit être reconnu.

Et concernant le référendum ?

Les seuils actuellement définis pour déclencher un référendum d’initiative citoyenne sont trop hauts, on doit y réfléchir. Enfin, je trouve que la Constitution devrait pouvoir être modifiée par référendum, comme l’avait fait le général de Gaulle, tout en mettant à l’abri le bloc de constitutionnalité, les droits fondamentaux.

Vous avez évoqué l’hypothèse de l’extension du référendum aux sujets sociétaux. La réforme de la PMA devrait en passer par là ?

Pourquoi pas ? Les référendums optionnels sur les grands sujets de conscience, si conflictuels, représentent une voie possible pour l’avenir. Affirmer que, parce que les sujets sont sensibles, on ne peut en sortir qu’en imposant les changements par le haut, cela accentue les conflits et la rancœur. L’Irlande a résolu paisiblement la question de l’IVG par le référendum, or, s’il y avait un pays dans lequel ce sujet était sensible, c’est bien celui-là.

Plaidez-vous en faveur d’une remise à plat de la fiscalité ?

La fiscalité est ressentie comme privée de sens. Toujours trop lourde pour ceux qui paient les impôts, inéquitable pour tous, et en réalité sans consentement réel. Il faut réaffirmer les principes. Il y a par exemple absolument besoin d’un travail sérieux et partagé avec les Français sur l’évasion fiscale. Certes, il y a beaucoup de fantasmes, car je ne crois pas qu’il y ait 100 milliards d’euros d’évasion fiscale. Mais le seul fait que les citoyens le croient crée une rupture avec l’Etat. De la même manière, il y a une réflexion à avoir sur la fiscalité locale. Il y a un besoin de remettre à plat la fiscalité et en même temps que le président de la République définisse, au nom du pays, les principes que l’on va suivre désormais.

Etes-vous favorable à une suppression de la TVA sur les produits de première nécessité ?

Je veux bien qu’on supprime tous les impôts, mais alors il faut tailler à la serpe dans les dépenses de l’Etat.

La question du virage social revient régulièrement…

On a eu un virage social en décembre. Dix milliards d’euros, c’est beaucoup d’argent. Beaucoup de Français en ont bénéficié, même s’ils ne le disent pas. Je pense aussi que l’indexation des retraites du bas et du moyen de l’échelle sur la croissance ou l’inflation est fondée. Mais on ne doit pas oublier la réforme générale des retraites. Sur tous ces sujets il faut une vision de ce qui va se passer, mais la mise au point devra aller bien au-delà des élections européennes et de l’été.

Les retraités ont-ils été maltraités depuis le début du quinquennat ?

Je trouvais que la hausse de CSG touchait des retraites réellement trop modestes. J’ai été heureux que l’une des premières décisions prises en décembre ait été de relever significativement ce seuil.

L’acte 2 du quinquennat doit-il s’incarner par un remaniement du gouvernement ?

Nos institutions sont faites pour des gouvernements qui durent. Une fois une équipe installée, la logique veut qu’elle reste en place, sauf s’il y a divergence ou crise. Le président de la République a tous les moyens d’orienter l’action du gouvernement. C’est sa mission. Et il n’est pas nécessaire que le premier ministre soit un calque. Je n’ai jamais aimé l’idée de « collaborateur ». Les deux fonctions de l’exécutif, pleinement assumées, sont nécessaires à son équilibre.

Dans une tribune à la presse européenne, M. Macron évoque le projet d’une Europe qui protège. C’est la bonne direction ?

On ne s’est pas rendu compte à quel point la tribune du président de la République est profondément novatrice. Un chef d’Etat européen qui s’adresse aux citoyens européens, c’est la naissance d’une vie politique européenne, de l’échange d’idées non pas sous une forme diplomatique mais démocratique. La proposition de reprendre Schengen pour avoir une politique de protection et d’asile unique, c’est une novation importante. L’affirmation qu’il faut cesser d’être naïfs dans les échanges commerciaux internationaux, c’est très important. La décision prise par la France sur la taxation des GAFA, c’est une avant-garde. La question principale des peuples aujourd’hui, c’est la souveraineté, reprendre le contrôle de son propre destin. C’est comme cela qu’on va contrecarrer les nationalismes.

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