Congrès de Paris 2010 : Discours de clôture de François Bayrou

Visionnez le discours prononcé par François Bayrou, président du Mouvement Démocrate, à l'occasion de la clôture du congrès du parti, dimanche 12 décembre après-midi, à Paris.

J'ai beaucoup de gratitude à exprimer. Je veux commencer par vous dire merci pour votre présence, la confiance que vous me faites, pour le chemin que nous allons faire ensemble qui est un chemin d'enthousiasme et d'entraînement, je le crois. 

Je veux remercier la formidable équipe qui est à la tribune autour de Marielle, car, je vous le dis sans aucune forme d'exagération, c'est l'équipe la plus soudée, la plus solide qui existe aujourd'hui dans la vie politique française et c'est l'équipe la plus soudée et la plus solide qui n'ait jamais incarné la famille politique que nous portons aujourd'hui ensemble. 

Je veux dire ma gratitude à Francesco Rutelli, et pas seulement pour l'amitié que vous sentez qui est réelle, qui est ancienne : je veux lui dire ma gratitude pour ce qu'il est en train de faire et de conduire en Italie. Vous savez bien qu'il y a une formule classique en français, dans l'histoire française, on dit : l'Italie, c'est notre sœur latine. 

Il y a beaucoup de ressemblances entre la pâte humaine de la vie politique italienne et la pâte humaine de la vie politique française, beaucoup. Et si vous regardez l'histoire récente, vous verrez des choses où nous étions les deux seuls pays à avoir un parti communiste, à 25 pour chez nous et à 35 pour chez eux, il y a une marque de la tradition, de la culture dans notre histoire, de la culture chrétienne, il y a des rejets de la culture chrétienne, des choix de laïcité polémique, il y a beaucoup de ressemblances entre l'Italie et la France, et ce qu'il est en train de faire est formidable. 

Je veux formuler deux commentaires. Il a parlé de Wikileaks et de la vision de la politique et de son organisation. C'est, à mon sens, une chose très importante. Il y a eu beaucoup d'émotion, de colère, de condamnation. Je comprends que l'on ne puisse pas et qu'il ne faille pas tout mettre sur la place publique. Cependant, je vous le dis comme je le sens, et peut-être m'en fera-t-on le reproche : j'ai senti, à la lecture de ces documents, comme un air de vérité et de liberté, quelque chose qui révélait des choses importantes. 

Bien sûr, il y a des informations sensibles, mais je sais aussi que ceux qui les ont éditées feront attention, peut-être encore plus qu'ils ne l'ont fait. 

Il y a un télégramme qui m'a vraiment fait rire... Enfin rire... qui m'a plongé dans un sentiment d'amertume, comme si quelque chose se levait. C'est le prince Andrew qui est en visite au Kirghizstan et, alors qu'il est à la table avec un représentant officiel, des ambassadeurs lui ont décrit la situation au Kirghizstan en lui disant : "Ici, tout s'achète et tout se vend, les décisions politiques sont des décisions très souvent influencées par des lobbies". Le prince Andrew avec l'imprudence de son jeune âge regarde la table et dit : "Mais, alors, c'est exactement comme en France..." 

Rires... 

C'est un télégramme diplomatique officiel de Wikileaks ! 

Je ne vous dis pas qu'il avait raison, mais l'impensable, pour nous, responsables politiques français, c'est qu'il l'ait dit, parce que cela traduit quelque chose de l'image cruelle, je crois excessive, mais pas toujours erronée que notre pays est en train d'acquérir dans le monde. Voilà à quoi il faut faire attention, première observation. 

Deuxième observation : Francesco a parlé de l'organisation de la vie politique dans les pays européens. Je ne vous parlerai même pas de pluralisme et de ces valeurs. J'en dirai un mot dans le texte dans lequel je vais rentrer. 

Je voudrais vous soumettre une loi politique que j'ai appelée la loi de François Bayrou !... 

Rires... 

C'est une loi politique très simple qu'il faut constamment avoir à l'esprit, chaque fois que l'on vous propose de dénaturer votre action pour aller rejoindre des courants qui ne sont pas les vôtres, et vous reconnaîtrez des débats qui ont eu lieu en notre sein pendant des années, depuis 2002, depuis la création de l'UMP. 

La loi de François Bayrou dit quelque chose de très simple, et ne l'interprétez pas mal, même si cela vous fait sourire dans sa formulation. Elle dit : Les partis se tiennent par leurs noyaux durs. 

Rires... 

Je ne sais pas ce que ces rires veulent dire... Franchement !.... 

Les partis se tiennent par leurs noyaux durs... Si vous allez vous installer dans une alliance à droite, ne vous étonnez pas que les noyaux durs de la droite prennent, reprennent, conservent, imposent leur influence déterminante et, si vous allez vous allier dans des alliances que vous ne maîtrisez pas, ce que Francesco a fait avec la gauche italienne, il s'est aperçu que ce sont les noyaux durs de la gauche italienne. 

Si vous avez une autre idée, si vous pensez que ces deux visions sont erronées, si vous pensez que certains disent : "Au Centre, nous, nous avons une vision, non seulement centrale, mais également plus large, démocrate", comme nous le disons, si vous pensez que c'est au centre qu'il faut gouverner, alors faites des regroupements au Centre. 

Le seul mouvement qui se tienne par les noyaux durs du centre, c'est le Centre, et pas tout autre montage qui ne peut que dénaturer, et ceci, cher Francesco, est une loi, selon moi, mais j'accepte qu'en Italie tu l'appelles la loi de Rutelli, désormais ! 

Francesco Rutelli : 

La loi Bayrou est approuvée ! 

Rires... 

Applaudissements…. 

François Bayrou : 

Mes chers amis, je ne sais pas si vous avez regardé, ce matin, le calendrier. Je vois que vous ne l'avez pas fait. Mais je l'ai fait pour vous, parce que je vous dois bien ce genre de service, puisqu'en me confiant la responsabilité de notre mouvement, vous m'avez demandé, en votre nom, de veiller à l'essentiel et, donc, de veiller au temps : aujourd'hui même, dimanche 12 décembre 2010, jour pour jour, nous entrons dans la période des 500 jours, puisque c'est dans 500 jours exactement que la France a rendez-vous avec le plus important de ses choix. 

Le premier tour de l'élection présidentielle de 2012, c'est dans 500 jours exactement. 

Ne voyez dans cette affirmation aucune obsession... Rires... liée à la compétition politique. Simplement la prise de conscience d'un fait politique majeur : pour qui veut changer en profondeur la vie politique de notre pays, sa vie économique, sa vie sociale, il n'y a qu'un rendez-vous déterminant, c'est l'élection présidentielle. C'est le seul rendez-vous qui rende possible un changement en profondeur, et j'emploie les deux mots : changement, et en profondeur. 

La première question que nous avons devant nous est : sommes-nous de ceux qui veulent un changement en profondeur ? Car la question n'est pas seulement celle d'un changement de pouvoir. La question est celle d'un changement d'époque, de projet pour un pays tout entier, pour les générations qui le forment et qui en ont la responsabilité. 

Vous le savez, certains d'entre vous s'en souviennent, je n'ai pas voté pour Nicolas Sarkozy en 2007. Il ne m'a pas échappé que beaucoup me l'avaient reproché. Même parmi mes amis les plus proches, des gens qui m'aimaient beaucoup, certains en ont été perturbés. Je le sais bien, certains l'ont dit, d'autres, je l'ai lu dans leurs yeux, et la phrase était toujours la même : « pourquoi, me disaient-ils, pourquoi prendre de tels risques ? Il te suffisait de te taire, tu aurais été idéalement placé pour la suite… ». J'entends ce commentaire, partout. Je l'ai entendu et vous l'avez entendu. 

J'ai jugé, à cette époque, que ce silence eût été une trahison, non pas trahison de parti - notre sort en tant que parti eût été plus facile- ou de camp ou d'amis : mais trahison de l'essentiel, trahison de valeurs et trahison de l'avenir. Et, parce que j'ai jugé que ce silence était une trahison, je n'ai pas choisi le silence. Simplement pour que la France et les Français sachent que nous n'étions pas parties prenantes, que nous n'acceptions pas à l'avance ce que nous voyons arriver et qui allait se passer pour notre pays. 

C'est me semble-t-il la grandeur de la politique ou la noblesse de l'engagement de pouvoir prendre des risques au service de ce que l'on croit être le plus précieux. 

Alors, je n'ai pas l'intention de prononcer devant vous le Nième réquisitoire contre le président de la République dans l'exercice de sa fonction. Je l'ai fait quand le temps l'exigeait. Je l'ai fait et peut-être, à cette époque, fallait-il quelque courage pour le faire, tant l'approbation, l'applaudissement ou le silence étaient, à ce moment-là, au moment de l'édition de « Abus de pouvoir », la loi générale. Ce que j'ai écrit alors est écrit pour les temps à venir. Je n'ai ni un mot ni un adjectif à y changer. 

Ce qui était annoncé s'est réalisé. Je ne m'en réjouis pas. Je vois l'état de notre pays, ses difficultés économiques et sociales, même si toutes ne sont pas de la responsabilité du pouvoir le plus récent. Je vois l'enlisement de tous les problèmes sans exception hier présentés comme brûlants. Je vois la difficulté pour ne citer qu'elles des banlieues, de l'intégration, même de la sécurité, et je vois le découragement, la stagnation, par exemple, de l'école. Je vois l'état moral et, comme je l'ai dit ce matin, l'état de démoralisation morale, où le moral et la morale sont ébranlés en même temps. 

Je vois les privilèges des uns, et la difficulté à vivre des autres. 

Je ne dis pas que rien n'ait été fait. Sûrement, on peut trouver, ici ou là, des décisions, heureusement, qui toutes ne sont pas mauvaises. J'en signalerai une ou deux dans le courant de mon propos. Mais l'équilibre général a été plus d'injustice que de justice, plus d'aggravations que de progrès, et, de surcroît, avec un exercice du pouvoir dont tout le monde voit à quel point il est partisan et clanique. La tragi-comédie du remaniement a été, pour qui en doutait encore, la plus cruelle des confirmations... 

Je n'ai pas besoin d'insister : ce tableau, tout le monde l'a sous les yeux !... Et ce n'est plus du passé qu'il s'agit, c'est de l'avenir. 

C'est d'avenir que je veux vous parler à cette tribune. 

Je veux commencer par une déclaration de volonté et d'optimisme. Il n'est plus temps de faire Cassandre, qui annonçait le malheur des temps, et plus elle voyait juste et moins on la croyait. Nous avons averti, quand il fallait avertir, nous avons vu quand il fallait voir. Maintenant, nous avons un immense enjeu devant nous : il nous faut rendre l'espoir à notre pays qui n'en a plus, ou plus guère, il nous faut dire et défendre l'optimisme, un optimisme nouveau, à un peuple, aujourd'hui désabusé. Il nous faut remplir cette mission d'espérance quand l'espérance a déserté. 

Les peuples, particulièrement le peuple français, souffrent trop quand ils se trouvent abandonnés au scepticisme. La mission des politiques, c'est la lucidité, et après la lucidité, c'est d'entraîner vers le redressement. 

Alors le moment est venu de dire quelque chose à la France : « Nous allons nous en sortir ! » Le chemin existe, il est exigeant, mais il existe ! Il ne nécessite pas, ce chemin, de grands congrès, d'experts internationaux ! Il ne nécessite pas d'avoir fait de profondes études et de grandes écoles ! Ce n'est pas un chemin pour les experts ! C'est un chemin pour un peuple, un chemin de bon sens et de bonne volonté, à portée d'un peuple comme le nôtre, d'un pays comme le nôtre. 

Nous allons nous en sortir. Le choix qui est le nôtre, c'est le choix de cet optimisme-là. Il existe un chemin pour que la France retrouve son équilibre, sa santé et son rayonnement. 

Notre pays a des atouts comme peu de pays peuvent en avancer. Nous avons une grande histoire, une grande langue, et voyez-vous, je crois que, la langue, cela compte. Nous avons des équipements collectifs, des routes, des voies de TGV, des aéroports. Dès que vous survolez la France, si vous avez la chance de le faire venant de l'étranger, vous découvrez, dans l'admirable glacis des villes et des champs, une marqueterie de la civilisation vivante. Nous avons des enfants -nous sommes un peuple qui fait des enfants- alors que les autres n'en ont plus. Dans les décennies qui viennent, la population de l'Allemagne va baisser de vingt millions, la population du Japon de trente millions, la population de la Chine va considérablement vieillir, et nous, au contraire, nous allons continuer à grandir. Nous avons des savants, des mathématiciens, des chimistes, des scientifiques, des juristes, des médecins. Nous avons un remarquable système de santé, même s'il est aujourd'hui trop souvent plongé dans le doute. Le temps de la France ne demande qu'à revenir ! 

Mais il y a des conditions impératives. C'est de ces conditions impératives que je voudrais vous dire un mot. Premièrement, il faut réinscrire la France dans son projet national, dans son histoire à elle, dans ses valeurs républicaines. Nul ne réussira -on a essayé- à faire de la France un pays qui se rapproche d'un état américain ou d'un pays du Commonwealth, même si ces pays étaient formidables, et croyez-moi ils sont loin de l'être. J'affirme qu'il y a beaucoup de pays dans le monde ont à envier à notre France si souvent décriée, et décriée par ceux qui s'identifient eux-mêmes comme ses élites ! 

En particulier, il faut cesser d'ajouter foi et de plaider, tout haut ou tout bas, cette idée que ce sont nos valeurs, le modèle de solidarité, le modèle de républicain français, l'idéal d'égalité qui nous freinent. Il y a là une idéologie sournoise qui s'est exprimée sans cesse, et souvent sans que nous nous en apercevions, même quelquefois dans nos rangs ou des rangs proches, l'idée que les autres valaient mieux que nous, et que c'était chez les autres qu'il fallait aller chercher nos repères ! L'idée, par exemple, si répandue que nos acquis sociaux sont notre handicap... 

Je crois que c'est exactement le contraire : c'est parce que nous ne savons pas faire vivre ces valeurs, sereinement, avec fierté, que nous sommes freinés, pas parce qu'elles existent, mais parce que trop souvent les décisions prises sont en rupture ou en contradiction avec elles. Je crois que tous les peuples ont leur histoire et leur système de valeurs. Je crois que, ce système de valeurs, il faut l'assumer, surtout quand il est bon et juste et qu'il forme un idéal, surtout dans l'époque du monde où nous sommes parce que, ce matin, a été si souvent évoquée à cette tribune l'idée qu'il y avait une dynamique malsaine qui était à l'oeuvre sur la planète, tout en rapport de forces, tout en financiers, les puissants qui imposent leur loi aux plus faibles, parmi les pays, parmi les entreprises. 

Face à cette dérive d'un système dont on a mesuré par la crise le caractère vain et les fragilités, au contraire, le système français est en résistance. Nous avons pu, à la fois, assumer le progrès, progrès technique, progrès scientifique, et conserver nos propres valeurs. Je suis persuadé que c'est le chemin que nous devons suivre. C'est ce que l'on dit au rugby. On dit : "Jouez sur vos points forts, retrouvez vos fondamentaux". 

Ce sont ces fondamentaux de l'histoire, de notre histoire et de notre projet républicain français, qu'il est maintenant nécessaire de retrouver si l'on veut qu'une nouvelle époque s'ouvre pour la France. 

Retrouver nos fondamentaux, retrouver nos valeurs ! 

Nous voulons que s'ouvre une époque nouvelle. Nous voulons un pouvoir nouveau, un gouvernement nouveau, une majorité nouvelle, ce qui signifie que nous voulons changer le pouvoir, changer le gouvernement, changer la majorité. Je vous livre là un critère d'analyse extrêmement efficace en face de toutes les tentatives diverses et variées qui tentent de revêtir le visage ou le masque du "centre". Je dis entre guillemets centre, car que je n'ai pas observé, ces dernières années que ceux-là qui aujourd'hui s'en font les voyageurs de commerce aient été très assidus à défendre son existence... Mais enfin… Comme vous l'avez observé, je me suis tenu, nous nous sommes tenus aussi loin que possible de cette confusion. Qui en est, qui n'en est pas, et "je me dis du centre, mais j'appartiens à la droite", et "je prétends que je suis indépendant, mais je suis un adhérent de l'UMP", tous ces micmacs, toutes ces manœuvres, ne vous trompez pas, télécommandées, il était important de s'en tenir éloignés. 

Il est cependant utile de mettre un peu de clarté et un peu d'ordre dans ce bazar soigneusement entretenu. 

Disons au moins ceci, qui est simplement de définition : on ne peut pas s'appeler "centre" quand on a choisi d'être toujours du même côté. François Mitterrand disait cruellement : "Ce centre, c'est ni à gauche, ni à gauche !". Cela voulait dire simplement qu'il n'assumait plus l'identité politique, l'identité j'allais dire « éthique » qui fonde une famille politique indépendante. Or vous aurez observé que toutes les déclarations entendues récemment concluent toujours dans le même sens : nous sommes à l'UMP, disent les uns, nous y restons, nous sommes au gouvernement, nous y restons, nous voulons la victoire de la majorité à laquelle nous appartenons, et il nous est impossible d'envisager un autre équilibre ou une autre alliance quelle qu'elle soit.

Alors, à quoi servez-vous ? À gonfler les roues de secours ? À cirer le cuir des strapontins ? 

Nous, notre but n'est pas la continuité et le maintien du pouvoir actuel, mais un pouvoir nouveau, une majorité nouvelle et, le jour venu, un président de la République nouveau. 

De sorte que, quand vous entendrez utiliser les mêmes mots, posez-vous une seule question : ceux qui nous parlent, en fait, veulent-ils imposer le changement ou travaillent-ils en réalité pour que le pouvoir actuel reste au pouvoir, si possible en y obtenant, au passage, quelques avantages supplémentaires ? Se préparent-ils à être des combattants ou ne cherchent-ils qu'à être des rabatteurs de voix ? 

Et quand vous aurez la réponse à cette question, vous n'aurez plus de question ! 

Alors, j'ai un message pour ceux qui sont de bonne foi, pour ceux qui auraient réfléchi, pour ceux qui auraient choisi d'adopter une attitude nouvelle, pas une attitude de dépendance, pas une attitude de service à l'égard de ceux qui assument -et c'est bien leur droit- le pouvoir actuel : notre porte est ouverte, notre maison est une grande maison, tout le monde peut y trouver sa place. À l'instant même où vous renoncerez... -je vais le dire autrement- à l'instant même où vous renonceriez à être instrumentalisés, à être soumis, à l'instant même où vous direz : "oui nous nous sommes trompés, oui la liberté que vous, la famille que vous êtes, avez si chèrement conquise et défendue, sans nous et -diraient-ils s'ils sont véridiques- parfois contre nous, elle est un bien précieux, et elle peut être un bien précieux pour nous aussi, et maintenant ayant réfléchi nous sommes décidés à la défendre avec vous, oui nous renonçons à être soumis, à être dépendant, financièrement comme électoralement", à cet instant même, le pas sera franchi. Nous n'avons pas d'autre condition à poser pour les rassemblements. Nous sommes déterminés à rassembler pourvu que ce soit en vérité, et c'est cette vérité-là que nous exigeons. 

Message à vous qui formez la maison : bien sûr pour beaucoup d'entre nous, nous avons des racines au centre de la vie politique française, mais ceux qui se rassemblent ici, ce n'est pas seulement ceux qui viennent du centre. C'est bien au-delà, c'est le courant démocrate français. Il y a des écologistes, il y a des libéraux de progrès, il y a des sociaux démocrates. Mais tous ceux qui sont là récusent, d'un seul mouvement, ce simplisme et cette absurdité dont notre pays souffre tant, et cette inanité d'une vie politique qui se résumerait au choc de deu simplismes, celui de droite contre celui de gauche. Tous, ils pensent que la vie publique, ce n'est pas une affaire de bords, ce n'est pas une affaire de rives, c'est le courant qui compte. Tous ceux qui sont ici savent qu'entre les rives il y a un fleuve et que c'est le fleuve qui fait la vie et que c'est le fleuve qui fertilise. 

Et si nous avons fait ce choix, ce n'est pas par humeur, ce n'est pas parce que nous avons du mal à nous entendre avec les uns ou avec les autres, c'est parce que notre projet est différent, en confrontation et souvent en opposition avec les projets des deux autres forces principales, conservatrices, d'un côté, et socialistes, de l'autre. 

Notre projet est un projet alternatif. Ce n'est ni le même chemin, ni les mêmes moyens, ni le même cap. 

Pour prendre en charge l'optimisme français, il faut que nous assumions la première mission d'un grand peuple, d'un peuple qui traverse des difficultés et qui veut retrouver sa force, sa grandeur et son rayonnement. Sa première mission, c'est la lucidité. 

Je vous ai dit tout à l'heure le fond de ma pensée. Nous avons beaucoup de questions qui se posent à nous. Nous allons les résoudre, mais parmi ces questions, il y en a une, une seule qui exige beaucoup d'imagination, beaucoup d'efforts, de consensus national, une détermination qui sorte de l'ordinaire, une volonté sans faille, une force d'explication, de pédagogie de respect du citoyen qui, elle aussi, devra surmonter tous les obstacles, c'est la question des finances du pays. Quand je regarde les enfants qui sortent de l'école à midi ou à quatre heures, quand je vois le cartable qu'ils portent sur le dos, et que je me dis que, nous adultes, soi-disant responsables, en réalité nous avons mis dans leurs cartables un poids qui va les plomber pendant longtemps, bien après qu'ils seront devenus adultes, je me dis que ces filles et ces garçons devraient bien un jour faire un procès à la génération qui a laissé faire, à ceux qui ont tout justifié ! Par exemple, quand je me dis, tous les jours, que nous n'hésitons pas, toute honte bue, sans vergogne, à mettre à leur charge, à eux, les enfants, sur leur travail de demain, le remboursement de nos feuilles de sécurité sociale d'aujourd'hui, je me dis qu'il y a là quelque chose comme une trahison de génération à génération. C'est pourquoi j'ai été heureux que nos sénateurs, rejoints par d'autres sénateurs du groupe de l'union centriste, avec Jean Arthuis par exemple, aient voté pour la première fois contre le PLFSS, le projet de loi de financement de la sécurité sociale, parce qu'il reportait le remboursement de nos feuilles de sécurité sociale d'aujourd'hui sur nos enfants, quand ils seront adultes, entre 2020 et 2025. C'est une honte démocratique, c'est une honte civique ! 

Je disais lucidité et volonté. Si l'on veut construire une politique sérieuse, réaliste, prudente, de sortie du déficit et de la dette, il faut exactement prendre conscience des chiffres. Pardon de vous donner quelques chiffres rapidement, mais c'est parce que nous voulons que le réalisme soit la marque de notre projet. Nous avons un déficit cette année de 150 Milliards d’euros, l'an prochain, mécaniquement, parce que l'emprunt qui a été fait cette année, il ne faudra pas le refaire, l'an prochain, on va baisser du côté de 130 Milliards d’euros. Le but à atteindre, c'est de baisser ce déficit jusqu'à un seuil qui se situe quelque part entre 20 et 30 Milliards d’euros, c'est-à-dire un peu plus de 1 pour cent de la production totale du pays pendant un an. Pourquoi est-ce que je cite ce seuil ? Ce n'est pas un seuil fantaisiste ou arbitraire. C'est parce que c'est le seuil de stabilisation de notre dette. Au-dessus de ce seuil, la dette continue de croître. 

Mais quand on atteint ce seuil, elle est stable, donc, d'une certaine manière, on sort de ce mécanisme de surendettement qui fait que, plus on est endetté, plus on doit emprunter un peu plus chaque année, y compris pour payer les intérêts de la dette, ce qui est exactement pour les États la situation de surendettement pour les ménages. Quand on descend à ce seuil la dette devient stable. Elle ne grandit plus. Le bateau ne s'enfonce plus, on a bouché la voie d'eau, il reste à espérer que la marée va remettre le bateau à flots. Ce seuil de stabilisation est entre 20 et 30 Milliards d’euros par an. Regardons donc en face les chiffres : ce que nous avons à équilibrer, c'est de l'ordre de 90 Milliards. 

Comment ? Je vais faire les grands chapitres parce qu'il faut que les responsables publics essaient de dire des choses ciblées et réalistes. 

Premièrement, en remettant les comptes sociaux à l'équilibre, c'est à peu près, sécurité sociale retraite, de l'ordre de 40 Milliards. Remettre les comptes de la sécurité sociale en équilibre, cela se fera, en partie par économie et en partie en faisant appel à des ressources nouvelles. Je vous rappelle que, pour la retraite, j'ai refusé d'être de ceux qui demandaient que l'on augmente la CSG, car je savais bien qu'un jour ou l'autre, il faudrait que la CSG soit mise à contribution pour que les comptes sociaux reviennent à l'équilibre, donc, de ce côté-là, et c'est dire la vérité au pays, nous avons 40 Milliards d’euros dans les prochaines années à équilibrer. 

Deuxièmement, une réforme fiscale qui porte en particulier sur les niches aujourd'hui -je parle sous contrôle de Jean-Jacques Jegou- quelque chose comme 80 milliards, on peut imaginer que le gain sera de l'ordre, là encore, de 20 Milliards en économies sur les niches et 10 Milliards de mesures nouvelles qu'il faudra que tous les gouvernements prennent. Une rapide revue des interventions actuelles de l'État, de l'ordre de 60 Milliards, on peut imaginer que 10 Milliards puissent être trouvés du côté des interventions de l'Etat, si vous ajoutez 40 et 30 et 10 vous arrivez à 80 milliards. 

On s'est approché de la cible. Ne croyez pas que ce sera une affaire facile. Ne croyez pas que ce sera une affaire simple. Cela demandera beaucoup de courage de la part des gouvernements, beaucoup de désintéressement de la part des gouvernants, mais c'est me semble-t-il, le seul moyen d'exercer la responsabilité pour un pays comme le nôtre. 

Ces chiffres sont impressionnants, et c'est pourtant la mesure de notre effort national. Ils sont l'horizon de la décennie qui vient si le gouvernement est sérieux, et s'il n'est pas sérieux il sautera. 

Avoir laissé se constituer -vous vous souvenez à quel point j'ai conduit la campagne sur ce sujet- le stock de dette sur lequel nous sommes assis, c'est un stock de dynamite ! Et il y a des inconscients qui laissent des mégots allumés. Il faut que vous sachiez que le moindre mouvement sur les taux d'intérêt peut tout faire exploser et nous transformer, comme l'on dit dans les bandes dessinées, en chaleur et lumière ! 

C'est pourquoi je regarde avec stupéfaction les prises de position récentes du parti socialiste. J'ai lu les 40 pages du projet qu'ils ont adopté hier. Ce sont des promesses à chaque paragraphe : création de nouveaux services publics, extension de l'action de l'Etat, augmentation généralisée des salaires, recrutement de fonctionnaires, plafonnement du coût du transport à 1 € entre logement et travail, triplement des enfants accueillis à 2 ans à l'école maternelle, des allocations nouvelles pour le départ en vacances, une allocation d'autonomie pour les étudiants, des aides à la formation, un renforcement du soutien au chômage, j'en passe beaucoup et d'aussi lourdes. Je le dis aux citoyens de bonne foi : ceci présenté par les responsables de ce grand parti -parce que je sais ce que c'est que le parti socialiste, immense parti, réseau d'élus locaux en France- comme la base incontournable qui doit s'imposer à tous les candidats socialistes, comme l'a dit M. Hamon : "ce n'est pas le programme qui doit s'adapter au candidat, mais le candidat au programme", ceci n'est pas raisonnable. C'est au mieux une illusion, une escroquerie, au pire si c'était appliqué un risque fatal pour la France. 

Je suis de ceux -je le dis, je l'assume- qui ont cru que le parti socialiste pouvait choisir un jour un cap de responsabilité. Je l'ai cru de bonne foi. J'en ai parlé, souvent, publiquement et en privé plus souvent encore avec ses responsables. Mais le vote de ce texte me plonge dans l'inquiétude. Quand je lis ces pages, je me dis que quelque chose coupe en deux la vie politique française et que ce n'est pas la frontière droite-gauche. Ce qui coupe en deux la vie politique, c'est la ligne qui sépare ceux qui veulent dire la vérité, qui pensent que la vérité est la base de tout et ceux qui acceptent la tromperie et l'illusion, le mensonge fait aux citoyens comme moyen d'obtenir le pouvoir. Mais je veux mettre en garde : il y a eu un temps où jouer à ces jeux pouvait coûter cher, mais c'était le temps où le pays avait des réserves, il y avait eu des gens sérieux. Aujourd'hui, nous dansons sur un volcan. L'illusion autrefois a créé des déceptions. Aujourd'hui, l'illusion peut créer l'explosion, et l'explosion peut être mortelle. 

Et c'est pourquoi nous pensons, nous qui voulons cette époque nouvelle, ce pouvoir nouveau et le jour venu ce président de la République nouveau, qu'il est mieux pour la France qu'ils appartiennent au courant démocrate qui dit la vérité plutôt que du courant socialiste qui a choisi la désastreuse et dangereuse et mensongère illusion. 

Dans les domaines où la lucidité s'impose, je veux dire un mot du problème de la question de l'immigration. Il faut aborder de front cette question, d'abord parce qu'un certain nombre de forces veulent « surfer » sur les émotions qu'elles provoquent, mettant, je le crois, en danger l'équilibre de notre pays. Je veux dire deux ou trois choses sur l'immigration. La première, je suis au regret de le rappeler, mais ce que nous avons là c'est largement le résultat de notre histoire. Je n'ai jamais considéré que la question de la colonisation ou du colonialisme était une question simple, d'abord parce que, contrairement à ce que l'on essaie de nous faire croire, cette doctrine a été au moins autant une doctrine d'hommes dits de gauche qu'une doctrine d'hommes dits de droite, et c'est Jules Ferry qui s'est fait le propagandiste en termes inacceptables de cette vision. 

La phrase de Jules Ferry dans un débat célèbre dans les années 1880 était : "Le droit et le devoir des races supérieures à l'égard des races inférieures" et l'admirable réponse de Clémenceau, qui monte à la tribune et lui dit dans un discours formidable : "Monsieur, il n'y a pas de races inférieures et de races supérieures, il y a l'égale lutte pour la vie". 

À cette époque -et il n'y a pas si longtemps, mon grand-père est né en 1878, c'est une génération qui nous touche, on a l'impression de propos antédiluviens, mais c'est l'histoire de France- on allait sur les mers, au grand large, chercher des « débouchés » pour notre industrie, des matières premières, des ports pour notre marine, on allait aussi porter, croyait-on, la civilisation ! Et il y a eu des gens de bonne foi qui ont donné, dans cette aventure et peut-être dans cette catastrophe, le meilleur d'eux-mêmes, de ce qu'ils avaient et il y a des cicatrices qui ne se refermeront pas. 

Comprendre l'histoire, c'est comprendre qu'elle n'est pas si simple. Les plus flamboyantes aventures engendrent aussi de grandes tragédies, durables, de brûlantes cicatrices qui passent au travers des générations et se transmettent sans même que l'on s'en souvienne. À ceux-là, sur le continent africain en particulier, au nord et au sud du Sahara, en Afrique noire, nous avons apporté notre langue, notre familiarité en leur disant que c'était une grande chance, que nous leur apportions notre protection. On croyait peut-être qu'ils l'oublieraient ? Ils ne l'ont pas oublié. Nous leur affirmions que nous étions, nous, la France, puissance tutélaire et protectrice et que nous leur offrions cette protection ? D'une certaine manière, les enfants les plus pauvres de ces peuples ne l'ont pas oublié non plus. 

Et la décolonisation non plus, cela n'a pas été simple, pas idyllique, terrible souvent. Et nous savons de combien de guerres civiles, de corruption, de dictature sournoise ou totalitaire, la décolonisation s'est aussi payée. 

Alors, lorsque l'on a en tête cette grande tragédie et ces grandes souffrances, et lorsqu'on regarde notre peuple, et nos enfants, alors, on a le devoir de se détourner des prophètes de malheur et de les combattre ! Tous ceux qui pour se faire des succès électoraux, excitent les Français les uns contre les autres, les religions les unes contre les autres, tous ceux-là, nous avons le devoir, pas seulement de les ignorer, mais de combattre leur poison. 

Nous, nous avons la responsabilité de dire à tout le monde : "Excusez-nous, mais quoi que vous en disiez, quoi que vous fassiez et quelles que soient vos thèses et quelles que soient vos propagandes, il y a une chose qui s'impose à tout le monde, nous allons devoir vivre ensemble, à partir de maintenant et pour les générations qui viennent ! Vous et nous ! Et les enfants de nos enfants, et parfois, souvent, les enfants de vos enfants, ce seront aussi les enfants de nos enfants". Nous allons vivre ensemble, et c'est ensemble que nous allons construire notre paix. 

Construire notre pays, le projeter dans l'avenir, pas à partir de rien. C'est un pays qui n'est pas une page blanche, c'est un pays qui a ses fondations, son architecture, son histoire, ses paysages, ses mœurs, ses traditions, ses valeurs en particulier de laïcité. La France, ce n'est pas une page blanche, et c'est d'ailleurs parce qu'elle n'est pas une page blanche que nous l'aimons tous ensemble, d'où que nous venions. 

J'ai parlé de laïcité. J'en parle comme un citoyen et j'en parle comme un croyant, car la laïcité est également précieuse, que je la regarde comme citoyen ou comme croyant. Elle est ce qui permet à l'Etat, à l'école, à l'hôpital, aux services publics d'être la maison de tous. Et elle permet aussi aux religions d'être pleinement tournées vers leur vocation, c'est-à-dire vers le spirituel. Ainsi, elle permet à chacun d'être lui-même, pleinement respecté dans notre pays, et vous le verrez un jour, je le crois, cette laïcité française non seulement sera reconnue et respectée chez nous, mais elle fera également école partout dans le monde. 

La France, ensemble ! 

C'est un projet et c'est un message. 

Le combat que nous avons à conduire suppose des mots d'ordre, à condition que ce soit un petit nombre de mots d'ordre. Je vais vous proposer trois mots d'ordre pour le combat que nous avons à conduire. 

Premier mot d'ordre, même s'il se heurte à des scepticismes ou à des résistances intellectuelles, de bonne foi, d'autres qui le sont moins : nous allons produire chez nous. 

C'est un appel à la mobilisation, parce que je sais bien, et peut-être dans cette salle aussi, que beaucoup de Français croient, au fond d'eux-mêmes, que c'est impossible, que c'est fini, que c'est d'un autre temps, ils pensent qu'il y a là, sans qu'ils comprennent très bien pourquoi, une fatalité et ils se sont laissés envahir par la fatalité de la disparition en réalité ou de l'éclipse de la production chez nous. 

À tous ceux-là je dis, et les responsables ont le devoir de dire : contrairement à ce que l'on croit, la production, c'est la clef de tout, la production de biens, de techniques, de services, de programmes, de cinéma, de musique, de livres, de brevets de recherche, la création en un mot. Et je ne fais pas de différence entre ces grands secteurs que certains considèrent comme séparés : économique, social, technique ou culturel. Je considère que tout cela, c'est la création et tout cela, au bout du compte, c'est l'emploi, parce que l'emploi, dont on parle comme un sujet en soi n'est qu'une résultante : s'il y a production, il y aura emploi et, s'il n'y a pas de production, l'emploi s'étouffe et disparaît, parce qu'on n'a rien créé qui puisse aider à en assumer la charge. 

C'est la clef de tout, parce que, sans emploi, toutes les politiques sont veines. Sans production, pas d'intégration des jeunes dans la vie active, sans emploi pas de valorisation des formations quand elles existent, pas d'intégration sociale, pas d'ascenseur social, pas de rayonnement du pays. 

Or, il n'y a aucune raison, aucune, pour que la France ait accepté de déserter des pans entiers de la production. Nous ne sommes en rien moins doués, moins organisateurs, moins réactifs que les autres. Nous détaillons avec orgueil, et je suis le premier à le faire, nos succès industriels, TGV, satellites, lanceurs d'engins, Airbus, armement, centrales nucléaires, hélicoptères -même Nicolas Sarkozy s'en est aperçu…- trains d'atterrissage, moteurs, automobiles, Formule 1… Cependant, chaque année, nous souffrons davantage dans la compétition du monde, et nous sommes exclus de productions entières du textile à l'équipement de la maison qui sont d'immenses secteurs d'activité. 

Nous souffrons, nous sommes durement concurrencés, alors que nous avons comme voisin le plus proche -dans les Pyrénées, on dit « premier voisin » c'est un statut- l'exemple allemand. J'entends bien la campagne qui est en cours et à laquelle je voudrais vous demander de réfléchir. Il y a une campagne en cours qui objecte que les Allemands réputés vertueux n'ont pas augmenté leur coût du travail depuis 10 ans, alors que chez nous, c'est près de 30 pour cent d'augmentation du coût du travail que nous avons eu depuis 10 ans. Je prends ces chiffres avec précaution, car je crois, comme disait Disraéli qu'il y a trois degrés dans le mensonge : le mensonge, le satané mensonge et les statistiques ! 

Mais il y a une campagne en cours. Avant-hier, il y avait pas moins de trois articles de fond sur ce sujet dans les journaux économiques qui disaient cela avec des courbes qui montraient le gouffre qui était en train de se creuser. On expliquait que c'était pour cela que l'on perdait tout. 

En réalité, quand on fouille, et je vous propose de vérifier cette objection, on s'aperçoit que le coût du travail français reste du même niveau ou légèrement inférieur à celui du travail allemand. Il est vrai que, en France, les cotisations patronales sont supérieures à ce qu'elles sont en Allemagne, mais le salaire direct, celui que perçoit réellement le salarié est inférieur chez nous. Au total, le coût d'une heure de travail est donc plus bas en France qu'en Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, au Danemark, en Suède et au Luxembourg. Et la productivité est supérieure chez nous puisque nous avons, à l'heure de travail, la plus haute productivité du monde ! Je suis comme tout le monde, je prends les statistiques quand elles vont dans mon sens… Confessons… 

Alors où est la clef de notre disgrâce ? Il y a plusieurs pistes de réponse. Un universitaire qui est venu me voir récemment, dont c'est la spécialité -il n'y a pas beaucoup d'universitaires ayant cette spécialité, on a même du mal à trouver des chiffres- m'expliquait récemment que nous avions, nous français, choisi pour les produits de notre pays un positionnement plus faible que celui des Allemands, qu'en réalité l'industrie allemande ne produisait pas plus que l'industrie française, mais que nous nous avions choisi des produits moyens alors que nos voisins avaient choisi une gamme de produits élevés que l'on peut facturer plus cher. Et vous avez en tête toutes les marques qui illustrent cette affirmation. Il y a un problème d'image de marque. Si je dis "allemand", tout le monde entend "sérieux" et tout le monde entend "solide". Et tout concourt à cette image de marque : par exemple, quand les gouvernants allemands prouvent qu'ils luttent réellement contre les déficits, ils disent "sérieux" et ce "sérieux" s'entend aussi pour les machines à laver… 

Il y a une image de marque du pays que nous n'avons pas, me semble-t-il, suffisamment cultivée en France, et cette lacune, on peut la corriger. 

Ensuite, la production n'est pas très à la mode en France. Nous nous souvenons tous de ce grand industriel qui fixait comme objectif à son entreprise, major dans son domaine, de devenir, disait-il avec fierté, une entreprise "sans usine". Nous, nous pensons, au contraire, que c'est une force de maîtriser la production, parce que ce n'est pas seulement la production d'aujourd'hui et les emplois d'aujourd'hui, c'est aussi, si vous y réfléchissez bien, la production de demain et les emplois de demain. Quand un produit disparaît, la compétence pour le produit disparaît aussi, personne ne réfléchit plus à son évolution, personne ne réfléchit plus à son marketing, aux attentes des consommateurs, personne ne dépose plus de brevets. En réalité, le sol est stérilisé, et ce que nous voulons, c'est replanter la forêt qui nous permettra de produire. 

Pour cela, il nous faut privilégier l'investissement qui se dirige vers l'entreprise et il faut le faire, y compris fiscalement, réserver des avantages fiscaux aux comportements qui préparent l'avenir, par exemple, traiter mieux en matière d'impôt sur les sociétés les bénéfices réinvestis par rapport aux bénéfices distribués. 

Je suis pour une politique qui favorise l'entreprise, je suis pour le soutien à ceux qui innovent et je suis pour une politique de soutien aux PME, et pas seulement aux très grandes entreprises du CAC 40. Quand je vois, par exemple, ce que l'on appelle le Fonds stratégique d'investissements que nous avons créé, que l’on a doté de près de 15 Milliards d’euros de fonds, être dirigé vers les grands groupes, je me dis qu'il y aurait tant à faire et tellement mieux à faire, si l'on essayait d'équilibrer entre les grands groupes et les PME le soutien que nous devons à l'investissement en France. 

Je voudrais répondre à deux objections : je vous connais tellement bien que je sais ce que vous pensez… C'est parce que je vous connais beaucoup et que je vous aime beaucoup, que je vous entends penser aussi clairement que si j'avais devant moi une machine à décrypter les cortex. Alors, je dis ce que vous êtes en train de penser : vous pensez « protectionnisme ». Eh bien, je veux traiter de cette question et récuser cette accusation. Le protectionnisme, c'est quand on impose aux autres des obligations dont on se dispense soi-même. C'est tout le contraire, je veux que nous autres les Européens, nous décidions à faire respecter par les autres les règles que nous nous imposons à nous-mêmes. Pas toutes bien sûr : on ne va pas demander de faire respecter les 35 heures, parce que ce sont des règles que nous avons choisies nous-mêmes et on ne va naturellement pas les imposer aux autres. Mais il y a des règles élémentaires sociales minimales, par exemple, le travail des jeunes enfants, les règles environnementales qui concernent la planète tout entière par exemple, et d'abord qu'un jour nous nous décidions de ne pas laisser truquer les échanges internationaux par le truquage du cours des monnaies. Il y a des situations, je vous le dis comme je le pense, où la naïveté et le respect des usages sont une faute et ne sont pas loin d'être un crime aggravé, un crime contre ceux dont on vous a confié la charge. 

Et je vous ai entendu penser aussi, et ce sera la dernière accusation que je récuserai : pourquoi dit-il France et ne dit-il pas Europe ? Eh bien, je dis France parce que je pense juste et nécessaire que chacun s'occupe aussi de sa maison. Lorsque j'étais président du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques, je pensais à l'activité économique, aux usines, au tourisme, aux routes dans le plus beau pays du monde. C'était ma mission, et je n'aurais pas été satisfait et je n'aurais pas fait mon travail si les usines et les équipements s'étaient installés à Marseille ou à Lille. Pourtant, c'est en France… 

Je pense qu'il est légitime que le tissu des activités et des emplois soit harmonieusement équilibré sur tout le territoire, pour qu'il le soit auprès des populations, auprès des jeunes qui ont besoin de remplir ces emplois pour assumer ces activités. Je soutiendrai donc toute décision qui permettra le renforcement de l'activité partout en Europe mais je dis sans fausse honte que, pour nous Français, l'emploi, c'est en France aussi que nous en avons besoin. C'est pourquoi, quand le président de la République a fait passer un certain nombre de messages aux constructeurs automobiles, spécialement aux constructeurs dont l'Etat est actionnaire, je l'ai approuvé et je continuerai à le faire même si je sais que cela ne plaît pas tous les jours à la pensée unique. 

Deuxième mot d'ordre, et peut-être pour lequel il faudra aussi vaincre certaines résistances devant sa formulation : rendre à la France la meilleure éducation du monde. 

Vous avez entendu sur tous les médias les résultats de l'enquête régulière de l'OCDE qui s'appelle PISA. Elle dit deuxchoses très simples : dans tous les domaines où l'on mesure la compétence des élèves, la France recule depuis 10 ans. C'est vrai en compréhension de l'écrit, c'est vrai en mathématique et en sciences, c'est vrai même en discipline dans les classes. 

Deuxième élément : la France recule en particulier dans un domaine, l'écart, devenu gouffre, qui se creuse entre le haut et le bas de la pyramide scolaire, entre les bons, voire les très bons élèves et ceux qui ont le plus de mal et, comme par hasard, ceux qui ont le plus de mal sont ceux dont les origines sociales sont les moins favorisées. 

De tous les grands pays développés, la France est le pays dans lequel cet écart est désormais le plus grand. L'enquête confirme ce que nous savons, par expérience ou par instinct, l'école française est très bonne pour le sommet de la pyramide, 10 pour cent ou 15 pour cent, plutôt 10 pour cent des élèves de très bon niveau, elle donne de bon résultat pour un bon tiers des élèves. Mais ces résultats sont catastrophiques pour les élèves en grande difficulté, et cela s'aggrave puisqu'ils sont maintenant plus nombreux que dans les principaux pays partenaires de l'enquête et nettement plus nombreux qu'il y a 10 ans (25 pour cent d'augmentation des élèves depuis 10 ans). 

Et ce malgré un investissement de la nation dans les dépenses publiques d'éducation plus élevé que dans tous les autres pays comparables. 

Tous nos efforts, dans tous les domaines, dans le domaine économique, dans le domaine social, dans le domaine de la recherche, dans le domaine de l'intégration, dans le domaine de l'emploi, seront vains si nous ne redressons pas la situation et si nous ne rendons pas à la France le système éducatif qu'elle mérite. 

Et cela commence par le commencement. Pourquoi ? Le commencement, c'est l'écrit, c'est la lecture dès le plus jeune âge, car les résultats mesurés à 15 ans par l'étude PISA, ils sont acquis, élève par élève ou presque, dès la sortie de l'école primaire. 

Alors je veux vous dire ceci contre lequel je me battrai sur ce sujet contre tout scepticisme : il n'est qu'un objectif digne de la France, digne de son histoire et en particulier de son histoire scolaire : garantir la maîtrise de la lecture dès le cours préparatoire, dès le cours élémentaire, à 100 pour cent des enfants ! Tous les enfants -je dis cela même si certains d'entre vous n'y croient pas, mais je le dis en vous regardant dans les yeux- peuvent apprendre à lire, quelle que soit leur origine, quel que soit leur milieu social ou culturel ! Lire, ce n'est pas un exploit, c'est juste une technique, facile d'accès, mais qui ouvre toutes les autres, tous les savoirs et toutes les libérations. Ce qu'a fait la IIIème République avec des ardoises, des tableaux noirs, des cahiers, des crayons et des craies, nous pouvons le faire à l'ère des ordinateurs et des tableaux numériques. Et vous voyez bien l'enjeu, c'est de péril national qu'il s'agit si nous continuons à échouer, et de libération nationale si nous réussissons. 

Je dis que si un Plan Marschall est nécessaire dans un des secteurs de l'activité française, c'est là, à l'école et à l'école primaire, que ce plan est le plus urgent. 

Alors, comme je vous entends penser, vous dites : l'objectif très bien, mais comment peut-on faire ? 

La méthode à suivre est simplissime. Il y a des classes où tous les élèves réussissent, je vous dis un secret là, des maîtres ou des maîtresses qui réussissent à les entraîner tous, qui ne connaissent pas l'échec ou très peu. Ils existent, ils sont nombreux, servons-nous de leur savoir-faire. Il y a un travail pratique, scientifique et pédagogique à conduire pour mettre à la disposition de tous leurs collègues, spécialement des plus jeunes, le savoir-faire parfois de toute une vie. Enseigner, c'est un travail d'artisan, de compagnon : permettons à toutes les classes de profiter de l'excellence de ceux qui ont trouvé les clés. Donnons à tous les enseignants les pédagogies qui marchent. Identifier les réussites, les analyser, les répandre. Pas pour montrer du doigt ceux qui ont des difficultés, pas même comme le voudrait la méthode de management aujourd'hui pour donner des primes, pas à la tête du client, simplement en se laissant guider par les résultats des élèves, année après année. Il n'y a pas besoin de programmes et de théories compliqués pour apprendre à lire, il y a besoin de méthodes robustes, d'observation du réel et d'une mobilisation générale. 


Bien sûr, il faudra diriger les moyens vers ceux qui connaissent le plus de difficultés et il faudra le faire tôt parce que c'est très tôt que c'est le plus utile. Après, c'est du rattrapage, c'est très difficile, c'est très cher et assez peu efficace. 

Tout commence à la maîtrise des fondamentaux, tout passe par là, mais tout ne s'arrête pas là. 

Je vais maintenant ouvrir deux autres pistes. Il y a une immense réflexion à conduire sur l'incitation à la créativité des élèves. La reproduction, c'est nécessaire. Les exercices, c'est indispensable. Mais tous les élèves devraient pouvoir découvrir à l'école leur dons de création, leurs dons d'observation, leurs dons de déduction. Nous l'avions fait avec Georges Charpak qui vient de nous quitter lorsque nous avons mis en place en inventant, à l'époque, ce qui s'appelait "la main à la patte", qui était la science par l'expérimentation dès le plus jeune âge, par la pratique, par la découverte, cela devrait être aussi le cas en pratique culturelle, en pratique musicale, en pratique sportive. Il s'agit de tourner l'école vers la créativité de tous. Je sais bien que c'est plus difficile, curieusement, même si personne ne le croit, que d'apprendre à lire à tous les enfants. C'est une re-orientation de l'école qui prend en charge pas seulement l'enseignement, mais quelque chose d'autre, l'épanouissement de l'enfant. Mais je sais que c'est nécessaire, que c'est de longue haleine et je sais qu'il y a partout en France des enseignants qui en rêvent, qui ont de l'expérience et cette expérience peut servir à tous. 

Enfin il y a troisième réflexion à conduire, une réorientation de notre système de formation, spécialement de l'université dans son rapport avec la vie professionnelle. 

Il y a une grande ambiguïté sociologique et historique qui explique en partie la frustration d'une partie de la nation à l'égard de l'université, spécialement de la part des familles dans lesquelles c'est la première fois qu'un enfant va à l'université. 

Ces familles vivent avec une idée qui a été l'idée de toutes les familles françaises et de tous les milieux sociaux français depuis 100 ans. Cette idée qui a dominé le siècle, c'est : diplôme = emploi. C'est dans la tête de tous les parents, spécialement de ceux qui n'ont pas eu la chance d'avoir des diplômes. C'est dans tous les milieux sociaux. Je me souviens toujours avec beaucoup d'émotion de ma mère quand j'ai obtenu... il y a longtemps... ma licence. Ce n'était pas grand-chose une licence pour ceux qui savaient ce qu'était l'architecture des diplômes, mais, pour elle, licence, cela voulait dire au sens propre du terme, comme en latin : licencia… le droit d'enseigner, et pour elle, j'avais ma licence, donc j'étais d'une certaine manière tiré d'affaire, je pourrais toujours enseigner, comme elle disait. 

Mais c'est dans tous les milieux sociaux aujourd'hui et, quand les enfants ont un bac 5 ou bac 6 ou bac 7, les parents ne comprennent pas et les étudiants non plus qu'ils ne trouvent pas d'emploi avec cela. 

Dans un quartier de la circonscription dont je suis l'élu, et dont tout le monde sait, il y a une cité présentée comme l'une des plus difficiles de France. Une dame est venue me voir un jour qui était marocaine, qui n'avait pas eu la chance de faire des études ni même d'apprendre à lire. Elle m'a dit : "Vous vous rendez compte, mon fils a un doctorat en philosophie, il ne trouve pas de travail !" Et, pour elle, c'était une remise en cause fondamentale de tout ce qu'elle avait cru, et naturellement, de la société qui lui imposait cette chose insupportable. 

Eh bien, il faut lever cette ambiguïté et entrer dans le temps de l'honnêteté. Il faut qu'il devienne clair pour tout le monde que la plupart des formations universitaires sont des formations générales, très utiles, essentielles, mais auxquelles il faudra ajouter une qualification professionnelle, et que ce n'est pas la même chose. Et il faut construire, si nous voulons être véridiques, si nous voulons parler aux jeunes autrement qu'en les anesthésiant : "faites des études, continuez des études, vous trouverez un emploi". Ce n'est pas vrai. Il faut construire l'appareil de cette formation professionnelle par alternance, le plus souvent possible quand il s'agit de trouver un métier et de cette formation continue quand il s'agit d'améliorer ou de changer de métier. C'est très simple. Cela existe, par exemple pour les avocats. Vous faites une formation générale en droit et après vous entrez par concours dans la formation professionnelle du métier d'avocat. Dans cet exemple-là, en fait, c'est un tronc avec des branches. Avec le tronc, on fait la formation générale, quelle qu'elle soit, avec les branches, on fait la qualification professionnelle. Il reste à bâtir les branches de ce grand arbre que nous avons besoin de construire. Je le dis pour les universités. Si nous faisons cela, cela va être passionnant. 

Voilà pour le deuxième mot d'ordre : la meilleure école du monde. 

Troisième mot d'ordre, et ce sera le dernier pour aujourd'hui : l'Europe refondée. 

(...)

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