Le 18 juin 1940, le jour où le général de Gaulle rejoint son destin national

18 juin

En juin 1940, le général de Gaulle part en Angleterre, d’où il lancera, le 18 juin, l’appel à résister contre l’Allemagne. Avec cette parole vibrante, fédératrice, il entre dans l’Histoire et entame la marche vers son destin. Mais, ses écrits de jeunesse en témoignent, la vocation politique était présente en lui bien avant la guerre. Et, du discours de Bayeux de 1946 à sa conquête du pouvoir en 1958, plusieurs années de foi intime le guideront.

Dans Le Fil de l’épée, le jeune de Gaulle écrit déjà, en 1932 : "Mais il ne suffit pas au chef de lier les exécutants par une obéissance impersonnelle. C’est dans leurs âmes qu’il lui faut imprimer sa marque vivante. Frapper les volontés, s’en saisir, les animer (…) par une suggestion morale qui dépasse le raisonnement, cristalliser autour de soi tout ce qu’il y a dans les âmes de foi, d’espoir, de dévouement latents, telle est cette domination."

Dans Le Savant et le politique (1917 et 1919), Max Weber exprime une nostalgie et une impatience de l’homme d’action charismatique, avec l’ambivalence du terme Beruf, qui signifie à la fois profession et vocation. Chez Weber, dans son acception la plus stricte, la domination charismatique est en effet celle du prophète. Cette tonalité religieuse est perceptible dans certains passages du Savant et le Politique, avec l’idée qu’un homme politique véritable se distingue par sa dédication à une cause. Pour le général de Gaulle, la politique participe d’une certaine idée de la nation et ne va pas sans prestige. De Gaulle s’est donné pour mission de servir des valeurs aristocratiques de grandeur en réaction à la crise de la civilisation moderne. C’est le désenchantement du monde constaté également par Weber, visible dans les tendances générales de mécanisation et d’uniformisation. A cette perte de spiritualité du monde moderne, de Gaulle répond par une entreprise de restauration des valeurs. "La France n’est elle-même qu’avec la grandeur" a t-il ainsi écrit dans les Mémoires de guerre. Il est intéressant de remarquer que Hannah Arendt a précisément critiqué cette atomisation, cette mécanisation de la société comme terreau du totalitarisme. Or, examiner la logique de de Gaulle, c’est voir comment une pensée incarnative très forte a pu coexister avec la logique représentative, dans le respect du pluralisme.

La logique d’incarnation de de Gaulle a ceci de spécifique qu’elle se fonde sur des valeurs (le prestige, la grandeur, l’héroïsme) dont on pouvait croire que la Révolution, puis l’acclimatation au régime représentatif, avaient signé la disparition. Ainsi trouve-t-on chez Tocqueville cette idée que l’égalisation des conditions entraîne une perte du prestige de la nation: "Si votre objet n’est point de créer des vertus héroïques (...) si l’objet principal du gouvernement n’est point de donner au corps entier de la nation le plus de force ou le plus de gloire possible, alors constituez le gouvernement de la démocratie." (II, 7, tome I, p.238)

De Gaulle conçoit une forme de régime originale, véritable monarchie élective, qui se rattacherait ainsi directement à l’Ancien régime pour asseoir sa légitimité. Le respect de la légalité est essentiel, pour autant, dans son esprit la légitimité excède le seul cadre légal. Aussi, selon la constitution de 1958, y aura-t-il bien séparation des pouvoirs, maintien des instances représentatives : mais les trois institutions politiques, Président, gouvernement et Parlement ne sauraient être placées sur le même plan. Le pouvoir de représentation parlementaire n’a pas le même poids que le pouvoir présidentiel, dont il dépend, puisque le Président dispose du droit de dissoudre l’Assemblée sans contreseing. Qualifié de semi-présidentiel, tenant à une double logique, le régime accentue néanmoins fortement le pouvoir présidentiel par rapport au pouvoir parlementaire. Conçu sur la prééminence de la logique incarnative, le régime ne se confond pour autant pas avec un idéal type wébérien. Si de Gaulle s’identifie à l’Etat, et conçoit l’Etat comme inventeur de l’intérêt général, il laisse s’exprimer la logique représentative dans la reconnaissance du rôle des partis et du pouvoir de délibération et de contrôle institué par la Constitution. La logique d’incarnation ne s’est sans doute d’ailleurs pleinement déployée que durant les premières années du gaullisme, entrant ensuite avec la logique représentative des partis et du Parlement dans une sorte d’épreuve de force. La crise de 1962, au moment du référendum devant consacrer l’élection du Président au suffrage universel (source de légitimité cf. Napoléon III: "Plus de 7 M. de suffrages viennent de m’absoudre") permet en effet à l’opposition de s’unifier contre ce qui apparaît comme la manifestation d’un pouvoir personnel. Le but du référendum était de renforcer encore la domination charismatique du Président, en lui donnant une assise pleinement démocratique, et si le oui l’a emporté, le climat d’opposition et le score relativement décevant sont bien le signe que la logique incarnative trouve ses limites.

De fait, si pour de Gaulle la représentation morcelle et divise une société que le chef de l’Etat peut seul unifier, il lui faut composer avec la logique représentative et le pluralisme. La logique incarnative est dans les faits tolérée par le respect des divergences et de l’altérité. Progressivement, après la crise de 1962, le gaullisme apparaît ainsi plus comme une des forces du système politique que comme l’incarnation d’un principe recteur. On sait que de Gaulle était contre la formation d’un mouvement partisan, et le terme même de gaullisme (mouvement législatif et majoritaire) indique que l’unité première sera peu à peu amenée à se dissoudre dans le jeu des partis.

La logique de l’incarnation politique telle que la concevait de Gaulle puisait sa force dans la parole. Il s’agissait pour le Président guide de la nation d’insuffler au peuple un idéal de grandeur, des valeurs héroïques, et l’on peut dire qu’en un sens, cette parole s’est révélée performative puisqu’elle a eu un écho dans la population. Le 18 juin 1940, le général de Gaulle a saisi le kaïros pour accomplir un destin qu’il pressentait depuis longtemps déjà.

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