Université de rentrée 2010 : Discours de clôture de François Bayrou

Retrouvez le discours de clôture de François Bayrou prononcé dimanche 26 septembre, dans le cadre de l'Université de rentrée 2010 du Mouvement Démocrate à la presqu'île de Giens.

Au terme de ces trois journées qui marqueront l’esprit de tous ceux qui les auront vécues, journées organisées autour de deux mots, ceux qui manquent le plus aujourd’hui : le mot « espoir » dans un pays qui désespère, et le mot « valeurs » dans un pays où les puissants paraissent avoir tout oublié de l’éducation civique, l’éducation civique par l’exemple dont ils ont, même s’ils l’ignorent, la charge,. 

Je veux remercier non seulement ceux qui ont fait le travail, autour de Pierre-Emmanuel Portheret et de Delphine Sémavoine et le personnel formidable de « Belambra » sur la presqu’île de Giens, dans le Var, je veux remercier notre nouvelle équipe solide et organisée, qui s’est exprimée hier, à l’image des « shadow-cabinet » de la démocratie britannique, dont l’existence même dit qu’une relève se prépare, qu’un autre projet est possible, et comme l’a dit hier en conclusion de cette présentation Marielle de Sarnez, que la politique cela ne sera plus jamais pour nous s’occuper des problèmes des politiques, mais s’occuper des problèmes, humbles, concrets, de la vie des familles et des concitoyens que nous sommes. 

Je veux remercier ceux qui ont animé les dizaines d’ateliers, et ceux qui sont venus conduire avec nous les débats passionnants, époustouflants, pédagogiques de ces trois jours. Et à l’usage de ceux qui n’ont pas pu assister à tout, à l’usage de ceux qui nous écoutent ce matin sur les chaines d’information et qui auront rétrospectivement l’eau à la bouche je signale qu’ils peuvent retrouver tous ces débats en intégralité sur notre site : mouvementdemocrate.fr. 

Alors je remercie, par ordre d’entrée sur le site : Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République, Jean-François Mattéi, président de la Croix-Rouge française, qui sont venus débattre avec nous de la France qu’on ne voit pas, la France des laissés pour compte, la France des pauvres ; Jean Arthuis, président de la Commission des finances du Sénat, Henri de Bodinat, économiste et responsable d’un fonds de private equity, comme on dit, Elisabeth Lulin, présidente de Paradigmes et Cie, et membre entre autres de la Commission chargée de la définition du « Grand Emprunt », qui sont venus parler de l’état réel et des enjeux de l’économie aujourd’hui ; Danièle Karniewitcz, présidente de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, chargée donc des retraites des Français ; Jean-Christophe Ruffin, qui est venu partager avec nous son expérience multiple, benjamin des immortels de l’Académie française, prix Goncourt et prix Renaudot, et qui a été successivement ces dernières années président d’action contre la faim, et ambassadeur de France au Sénégal ; Jean Peyrelevade, notre ami qui est venu comme économiste et comme citoyen réfléchir avec nous à la croissance, aux déficits, à la dette ; Eric de Montgolfier, procureur de la République à Nice, Francis Teitgen, avocat et ancien bâtonnier du barreau de Paris, qui sont venus débattre de justice ; Jean-Pierre Rioux, le grand historien, qui est venu nous proposer un panoramique de ce que la tradition du centre a apporté à la République ; ceux qui sont venus au nom des grandes sensibilités philosophiques ou religieuses participer à notre réflexion sur les valeurs de la société française, ensemble ou séparés, Frédérique Leichter-Flack, universitaire et spécialiste de la pensée juive, le père Laurent Lemoine, dominicain, philosophe, psychanalyste, rédacteur en chef de la revue d’éthique et de morale, Ghaleb Bencheickh, physicien, président de la conférence mondiale des religions pour la paix et présentateur de l’émission « Islam » sur France 2, Jean-Luc Mouton, directeur de la revue « Réforme », Jean-Michel Quillardet, précédent grand maître du Grand Orient de France ; ce matin, autour de la question « quelles valeurs pour quel changement ? », Luc Ferry, philosophe et publiciste, ancien ministre de l’éducation nationale, éditorialiste au Figaro, Jean-Claude Casanova, président de la fondation nationale de Sciences politiques, et Jean-Baptiste de Foucauld, qui a été commissaire au plan, et qui préside la Commission démocratie et spiritualité. 

Je veux vous transmettre les grands regrets de Francesco Rutelli, ancien maire de Rome et président de l’Alliance pour l’Italie, qui au dernier moment n’a pa pu nous rejoindre –hélas- pour nous dire comment une force nouvelle, au centre, le troisième pôle, était en train de se former en Italie, bouleversant le paysage politique de nos frères latins, de l’autre côté des Alpes. 

Si j’ai voulu remercier ainsi devant vous chacun de ceux qui se sont exprimés ici à Giens, durant ces trois jours, ce n’est pas seulement par reconnaissance, c’est pour montrer l’idée que nous nous faisons du débat civique. C’est pour dire ceci : pendant que de tous côtés on semble s’ingénier à déraper et à débloquer sans contrôle, dans une espèce de débordement frénétique d’excès en tous genres et d’abord dans les mots, nous croyons qu’on peut tirer le débat, la réflexion, la conviction, non pas vers le bas mais vers le haut. Et nous affirmons même que tirer vers le haut, en éducation, comme en politique, c’est la vocation même des citoyens et particulièrement des citoyens engagés ! 

Et enfin, je veux remercier parmi vous ce matin les plus de mille participants à cette université de rentrée, plus de mille participants payants, parce qu’en tant que parti, nous ne sommes pas riches, nous sommes libres, mais pour avoir les moyens de cette liberté, chez nous, tout le monde participe et cela aussi est du civisme et de la solidarité. Permettez-moi enfin d'avoir une pensée particulière pour les militants et les cadres du Var et de l'ensemble de la région que Jean-Luc Bennahmias, Christophe Madrolle et d'autres animent avec enthousiasme, et de saluer la présence de François Carrassan, premier adjoint de la ville de Hyères. Merci à tous du fond du cœur. Enfin j’ai une pensée particulière, car les événements s'effacent trop vite, pour les victimes, les vingt-cinq morts et les sinistrés varois, à la suite des inondations du 15 juin dernier. 

Chers amis, 

Dans la vie d’un courant politique, il y a des moments difficiles. Nous en avons connu, plus que d’autres sans doute. Parce que la tâche de ceux qui veulent changer le monde est plus difficile que la tâche de ceux qui s’accommodent du monde comme il est, et qui se faufilent pour s’y faire leur place. Nous, nous n’avons jamais failli. Nous n’avons jamais plié. Nous n’avons jamais manqué à nos convictions. Nous avons résisté aux orages quand il pleuvait et ventait, sous l’averse et sous la rafale, sous le blizzard, et sous l’aquilon, et sous le mistral !... 

Ce n’est pas toujours amusant, mais parfois c’est assez drôle. Par exemple, aujourd’hui, les vocations de « centre » se multiplient. C’est comme dans le Cid : Nous partîmes cinq cents et par un prompt renfort nous nous vîmes trois mille en arrivant au port ! Que dis-je trois mille !... Vous vous souvenez, ceux qui disaient « le centre, ça n’existe pas » et qui sont allés se réfugier sous l’aile généreuse (généreuse et méprisante) du pouvoir. Ceux-là qui ne juraient que par le « centre-droit », manière que l’adjectif démente le substantif, que l’adjectif dise le contraire du nom. Puisque si vous êtes centre, c’est que vous n’acceptez pas que le monde se résume à la lutte droite contre gauche. Donc quand vous dites, centre… droit, alors vous dites blanc noir, ou noir blanc, dans le nom centre vous dites non au bipartisme, et dans l’adjectif droit vous dites oui ! Dans le nom, vous résistez, et dans l’adjectif vous signez la capitulation !... 

Il y a un proverbe africain formidable que Jean-Christophe Ruffin a placé au début de son dernier livre, qui vient de sortir, et qu'il nous a cité l'autre soir, c'est un proverbe merveilleux qui dit : « même si le chien a quatre pattes, il ne peut pas suivre deux chemins à la fois » ! Donc je vous le dis : On ne peut pas suivre à la fois, le chemin de la dépendance et le chemin de l’indépendance. On ne peut pas suivre à la fois le chemin du pouvoir et celui de l’alternance. On ne peut pas suivre à la fois le chemin du parti au pouvoir et celui du mouvement qui veut le changement. 

L'été que nous venons de vivre a été, pour beaucoup de ceux qui hésitaient, doutaient ou ne savaient pas exactement où on en était, une révélation. C’est un des résultats de cet « été meurtrier », pour reprendre le titre du sombre film de Becker qui dans les années 80 reçut une moisson de Césars, dont celui du meilleur scénario. Le moins qu’on en puisse dire, c’est que ce scénario-là ne mérite pas la distinction. 

Rien n’est plus important que de saisir la vraie nature de ce que traverse la France en ce moment. Il faut relire cet « été meurtrier » pour le comprendre. 

Tout a commencé en fait avec l’accident de l’affaire Bettencourt, et le choc de cette affaire sur la réforme des retraites. 

Il y a du hasard en histoire. Et même du hasard incroyable. Qui aurait pensé qu’un maître d’hôtel, en service auprès de la plus riche des vieilles dames françaises, à la tête d’une fortune qu’il est impossible même d’imaginer, se mettrait en tête d’enregistrer secrètement ces conversations avec ses hommes d’affaire, sur fond de conflit familial, et soupçons de détournement d’héritage et d’abus de faiblesse, de milliards distribués à des favoris flamboyants, tous les ingrédients d’un Balzac ou d’un Chabrol. 

À cette occasion improbable, on découvre deux choses, également dangereuses pour le pouvoir en place. 

La première, la plus apparente, ce sont les liaisons dangereuses entre le monde des gouvernants et le monde de l’argent : les connivences, les services réciproques, l’organisation des financements systématiques, les micro-partis qui servent à drainer les financements et donc, appelons les choses par leur nom, à tourner la loi. De ces liaisons dangereuses, ce qui est incroyable, et stupéfiant, ce n’est pas qu’ils les aient nouées : puisqu’il les ont voulues, qu’ils en ont fait un système depuis littéralement la première minute de leur pouvoir. Depuis qu’ils ont choisi de se faire les défenseurs de l’argent dans le système de « valeurs » du nouveau régime. C’est qu’ils ne comprennent pas combien, même découverts, il est dangereux, et corrosif, de s’y exposer. Qu’ils ne comprennent pas qu’on est dans le risque de prise illégale d’intérêts dès lors qu’on mélange sa fonction avec les services rendus, petits ou grands, à ceux que l’État vous donne fonction de surveiller. Et qu’il n’est qu’une attitude saine : le mur de verre, la distance, l’éloignement, l’étanchéité entre la fonction d’État et les grands obligés et les grands dépendants de la surveillance de l’État. 

Premier danger, premier risque ! 

Et puis le deuxième danger : à cette occasion, subrepticement, se trouver dévoilée une des plus grandes supercheries du régime. Tout d’un coup, au vu et au su de quiconque veut bien prendre une calculatrice, sans qu’il soit besoin d’être polytechnicien ou inspecteur des impôts, se découvre la vraie dimension et la vraie nature de la rupture d’égalité, de l’injustice qu’on inflige aux classes moyennes pour épargner, si j’ose dire, les plus riches. Car tout d’un coup, même si on en a fort peu parlé, finalement, est apparu avec certitude que Mme Bettencourt avec son cortège de milliards, était, et de loin, moins imposée proportionnellement qu’un petit fonctionnaire ou qu’un cadre moyen, et même moins imposée qu’un smicard. En effet toutes taxes comprises, moins de 10 pour cent, des revenus déclarés… Le syndicat des intérêts… Premier danger, premier risque ! 

Et puis le deuxième danger : à cette occasion, subrepticement, se trouver dévoilée une des plus grandes supercheries du régime. Tout d’un coup, au vu et au su de quiconque veut bien prendre une calculatrice, sans qu’il soit besoin d’être polytechnicien ou inspecteur des impôts, se découvre la vraie dimension et la vraie nature de la rupture d’égalité, de l’injustice qu’on inflige aux classes moyennes pour épargner, si j’ose dire, les plus riches. Car tout d’un coup, même si on en a fort peu parlé, finalement, est apparu avec certitude que Mme Bettencourt avec son cortège de milliards, était, et de loin, moins imposée proportionnellement qu’un petit fonctionnaire ou qu’un cadre moyen, et même moins imposée qu’un smicard. En effet toutes taxes comprises, moins de 10 pour cent, des revenus déclarés… Le syndicat des intérêts… 
En effet, toutes taxes comprises, CSG, plus CRDS, plus impôt sur le revenu, plus impôt sur la fortune, après déduction du chèque rendu par le bouclier fiscal, on arrive à moins de 10 pour cent en paiement, taxes et impôts, des revenus déclarés, ce qui signifie évidemment que le syndicat des intérêts a imposé en France quelque chose qui n'existait pas. Je connaissais, pour ma part, deux sortes de fiscalité, deux sortes d'impôts : la fiscalité plate comme disent les Anglais, flat, la même fiscalité pour tout le monde, proportionnelle, identique pour tout le monde 10 ou 20 pour cent des revenus prélevés sur tout le monde, premier type de fiscalité. 
On avait inventé avec la République la fiscalité progressive : ceux qui gagnent plus paient plus que ceux qui gagnent moins. 
On vient d'inventer là, la fiscalité dégressive où ceux qui gagnent plus paient moins que ceux qui gagnent le moins dans la société française. 

Alors, toujours le scénario de l'été, le pouvoir était naturellement perturbé et inquiété par cette cascade de révélations. Il y en avait une tous les jours. Il a donc cherché un sujet bon pour lui, présumé bon pour lui, vers lequel faire dévier le projecteur. 
Il a cherché un dérivatif. Alors, il y a eu les incidents de Grenoble avec, pour la première fois de la part d'un responsable en fonction de la République française, je ne parle pas d'un leader extrémiste, le choix stratégique d'écrire un signe « égale » entre immigration et délinquance, un signe « égal » entre immigration et sécurité. Le discours de Grenoble, personne avant Nicolas Sarkozy et ses équipes n'avait choisi ou accepté de le faire dans la République française. Pour nous en tout cas, cela a été quelque chose de lourd à découvrir, que ce choix qui est fait. Vous voyez très bien pourquoi, ainsi que tout le monde, et aussitôt après, il y a eu après cet épisode malheureux et tragique de la mort d'un jeune dans le département du Loir-et-Cher. Cette attaque de gendarmerie de la famille de ce garçon, très émue, indignée, ce n'était pas bien naturellement, mais à partir de là, on a bâti la politique ou en tout cas l'affichage de la politique sur les Roms. 
Je voudrais vous dire, si vous voulez bien, un mot des Roms et tout d'abord en recherchant la clarté. Pour ceux que le sujet intéresse et qui suivent les blogs, il y a un article formidable d'un bloggeur que je considère comme sortant de l'ordinaire, dont j'ignore absolument qui il est, mais un juriste, un avocat qui s'appelle Maître Eolas. Ceux qui connaissent, cherchent Maître Eolas sur leur moteur de recherche et découvriront sur le problème des Roms un article extrêmement bien fait. Donc si l’auteur de cet article m'écoute, je lui adresse mon salut. 
Je dis d'abord la clarté. Il y a les « gens du voyage », comme l'on dit. Ils sont Français depuis des générations, souvent depuis bien plus longtemps que ceux qui les stigmatisent aujourd'hui… mais ils ont la route dans le sang. C'est leur tradition et leur culture et ils en ont le droit. Leurs économie, quand ils en ont, ils ne les mettent pas comme nous dans le pavillon ou dans l'appartement, comme nous qui sommes des sédentaires, ils les mettent dans la caravane et la voiture. Voilà la réponse à la question de tous ceux qui disent "Ils ont des voitures formidables et des caravanes formidables". 
Je ne suis pas en train de décrire un monde idéal sur une communauté comme celle-là. Je sais très bien les limites, les difficultés qu'ont les maires quand ils ont cinquante caravanes qui débarquent sur un terrain de football ou une propriété privée. Je n'ignore rien de tout cela, mais je dis, à la question de tous ceux qui les regardent en disant "regardez les voitures et les caravanes", ce sont là leurs biens. Nous, nous avons des pavillons et des appartements et donc, pour eux, ce n'est pas le superflu, c'est le nécessaire. Alors, ils ont le cirque et les chapiteaux. Et nous pouvons le dire ici pour avoir été fiers de l’amitié, des cirques, tous les cirques, aux chapiteaux, tous les chapiteaux, de l’amitié, de la grandeur d’âme de Jojo Fanni : vous voulez que je vous dise, avec Jojo, je le dis aux siens, à ceux qui l’ont connu et aimé, et qui se seraient fait couper en morceaux pour lui, souvent nous nous sommes dit que nous pouvions partir à la guerre. Avec lui oui, avec d’autres moins ! Et Jojo était un nomade : il avait besoin de la route ! 

Et quand ils se fixent, c’est difficile. Et c’est vrai qu’il y a des problèmes d’intégration. Et c’est vrai qu’ils ont du mal à aller à l’école. Et c’est vrai qu’en matière de terrains à occuper, ils jouent aux gendarmes et aux voleurs. Et c’est vrai qu’il faut une justice, et qu’elle soit respectée. Parce que si les nomades doivent être respectés, ceux qui travaillent, entretiennent, construisent des stades, des champs, des espaces doivent être respectés aussi. Et s’il y a des trafics, comme tous les trafics, ils doivent être découverts et réprimés. C’est la loi et c’est justice. 

Et puis il y a, lointains très lointains cousins par l’origine des tziganes, des gitans, des romanichels, des voyageurs français, il y a des nouveaux venus, victimes de la misère et du mépris dans les pays où ils étaient fixés, et qu’on appelle « roms ». Ils sont roumains ou bulgares, ou hongrois. Ils ne parlent pas français. Ils n’ont rien pour vivre. Ils viennent chez nous parce qu’on dit chez eux qu’en une journée de mendicité à nos carrefours, on gagne autant qu’en une semaine d’exploitation chez eux, et peut-être plus. 

A-t-on le droit de leur appliquer la loi et de les reconduire ? Oui, bien sûr. Et tous les gouvernements le feraient. Est-on assuré qu’ils ne reviendront pas ? Certains reviendront sans doute, mais ça ne les dispensera pas de respecter la loi ! Mais d’appliquer ainsi la rigueur de la loi, ça ne veut pas dire qu’on s’en glorifie, qu’on s’en vante, qu’on en fait le point de ralliement et le drapeau, l’oriflamme, d’une politique ! Cela ne signifie pas que l’on désigne ceux-là qui sont le plus petits et les plus pauvres comme ennemis publics ! Il y a une pudeur nécessaire quand on est obligé d’appliquer à la misère la rigueur de la loi. On est un gouvernement, on a la main de justice, mais on connaît la fragilité des peuples, et on prend garde à ne pas faire flamber la haine de l’autre, de l’étranger et du pauvre. 

Et ensuite, on fait naître une vraie politique d’aide et de soutien à l’intégration, à l’éducation, au travail, dans les pays et sur les terres d’où ils viennent, en Roumanie, en Bulgarie, en Hongrie, avec les autorités bulgares, roumaines, hongroises. On ne les regarde pas de haut, sous prétexte que ce sont de petits pays, plus pauvres que nous, et nous aussi si nous avions été sous la dictature communiste pendant tant d’années, et pillés, et déshumanisés par le régime, nous serions sans doute aujourd’hui pauvres, mais nous n’en serions pas moins des hommes, des citoyens et des européens. Eux aussi, ils ont des enfants, et des jeunes brillants, et des étudiants, et des écrivains, et des chanteurs et des poètes. On oublie cette exploitation et cet écrasement de l’homme par l’homme ! Regardez l’Allemagne de l’Est et les milliers de milliards qu’il a fallu investir, avec notre aide, pour les hisser vers le niveau économique qui rattrape, un peu, qui rattrape presque, celui de l’Allemagne de l’Ouest. N’oublions pas le communisme et son bilan. 

Et que les institutions européennes aussi fassent leur travail ! Travail de contrôle, et travail d’impulsion, et que sur les Roms dans leur pays européen d’origine, la France prenne la tête, qu’elle soit proposante et amicale, et respectueuse. Oui, il y a du racisme chez eux ! Il n’y en a pas chez nous ? Le racisme, il est dans la nature humaine ! La faiblesse, et la détestation, et le mépris, pour qui n’est pas comme nous, et le ressentiment, et la jalousie, et l’animosité, et le regard de haut et la moquerie, et la dénonciation, la dénonce, comme on disait pendant la guerre, tout cela, c’est l’âme des peuples et c’est l’âme des hommes. 

Et il faut une sacrée dose de folie, une sacrée dose de rébellion, pour être malgré tout optimistes et volontaires, quand on connaît, quand on connaît bien, cette face sombre des hommes et des peuples ! Et il faut une sacrée dose de volonté pour y croire quand même. 

Et voilà ce que nous sommes : nous croyons même contre l’apparente et irrésistible noirceur, non pas des autres, mais de nous-mêmes ! 

Et voilà ce que nous sommes, nous, humanistes de tous les temps, nous qui sommes les héritiers et les fruits de cette longue chaîne qui nous a faits et que nous prolongeons : la République, et les lumières, et le christianisme, et la Bible, et au bout du bout à la racine première, Antigone, qui se lève, jeune fille, toute seule, contre la majesté du roi, qui est son oncle, contre l’immense poids des croyances de tout un temps, contre toute la cité, contre toutes les cités, de tout le monde, de tout l’univers, tout cela ensemble et elle toute seule et elle lui annonce qu’elle va lui désobéir, et qu’elle mourra, qu’elle en est d’accord, mais qu’elle ira enterrer son frère, parce que elle lance la révolution du monde « outoï sunechtein alla sumphilein ephun », je ne suis pas née pour entretenir la haine, mais pour partager l’amour ! 

Notre isolement en Europe. Le Luxembourg ! l’Allemagne ! L’Europe, c’est une famille, c’est d’abord une famille. Et dans une famille, on ne se détermine pas en considérant qui est gros ou petit, qui est riche ou pauvre, on considère que la famille donne sa place à chacun et que chacun est indispensable à la famille. 

Le résultat de ces dérapages, ne croyez pas qu’il concerne seulement la morale, les principes, les droits de l’homme. Il concerne non seulement nos principes, mais les plus précieux des intérêts nationaux. Parce que du fait de ces tensions, de cette volonté d’affrontement, de radicalisation, de bloc contre bloc, aucune réforme ne peut aboutir. 

Pour 71 pour cent des Français, l’image de la France dans le monde s’est dégradée ces dernières semaines ! 71 pour cent, contre 2 pour cent qui pensent qu’elle s’est améliorée… Je n’ai pas souvenir, à aucun moment de notre histoire, récente ou plus ancienne, d’une telle vague de conscience collective, d’un tel jugement autour de l’image de notre pays. 

Ces dérapages, en réalité, ils portent atteinte à l’intérêt national, à l’intérêt de la France et des Français. 

Je n'ai pas souvenir à aucun moment de notre histoire, récente ou plus ancienne, d'une telle vague de conscience collective, d'un tel jugement autour de l'image de notre pays. Ces dérapages portent atteinte à l'intérêt national, à l'intérêt de la France et des Français et donc la conclusion est toute simple. 
Les Français et la France méritent mieux. 
Les Français ont droit à un gouvernement honnête qui, par exemple, n'ait pas d'accointances avec Monsieur Tapie et n'organise pas le détournement du contribuable pour assurer sa fortune. Ils ont droit, les Français, à un gouvernement équitable qui considère que les riches doivent assurer leur part de la solidarité et non pas qu'ils doivent contribuer moins que les pauvres. Les Français ont droit à un Gouvernement qui leur dit la vérité et pas à un fouvernement qui leur dissimule la vérité. 
Les Français ont droit à un gouvernement qui croit à quelque chose d'autre qu'à la puissance des plus gros, au culte de l'arrogance et de l'argent. Les Français ont droit à un gouvernement qui les représente avec honneur dans le concert des Nations européenne et mondial et pas qu'il multiplie les jugements méprisant et agressif sur tous les partenaires et nos amis. Les Français ont droit à un Gouvernement équilibré et entraînant, pas à un Gouvernement qui dérape à tous les instants et qui, au bout du compte, n'obtient que l'impuissance. 
Ce gouvernement, ce projet, cet espoir, ces valeurs, nous allons les proposer aux citoyens qui veulent espérer et avancer. Ce n'est pas difficile, ce n'est pas compliqué, c'est normal, c'est civique, c'est droit et nous allons le faire. Nous allons le faire dans un esprit collectif et de rassemblement. 
Un des principaux changements que nous voulons apporter à la vie publique du pays, c'est celui-là. Nous voulons une démocratie où soit accepté le pluralisme, où les uns aient besoin des autres. Un parti qui a tous les pouvoirs à lui tout seul et qui délègue ces pouvoirs à un seul homme qui les exerce, lui tout seul, c'est ridicule, c'est une régression, c'est tribal. 
La France, ce n'est pas un seul parti omnipotent, alternativement l'UMP et le PS, guerre de clan d'un côté, guerre de courant de l'autre. La France est plus riche et plus ouverte que cela. 
Et bien, le seul courant politique en France qui dise qu'il refuse cette régression, qui refuse l'idée du parti qui a tous les pouvoirs du haut en bas et qui éventuellement le délègue à un seul homme, le seul courant politique qui refuse cette régression, c'est nous et j'affirme que, si nous pouvions avoir tous ces pouvoirs du haut en bas, et bien, ce ne serait pas sain et ce ne serait pas bon que nous les acceptions. 
La nécessité dans un pays comme le nôtre, et Jean-Claude Casanova tout à l'heure a très bien expliqué cela. Le Parti unique, un chef au sommet, tous les pouvoirs du sommet à la base, cela, c'est une organisation militaire, mais les temps que nous vivons, les retraites, la Sécurité Sociale, la fiscalité, cela impose que l'on tienne compte et que l'on entende les sensibilités différentes, que l'on soit capable de les faire réagir les unes sur les autres pour fabriquer, au bout du compte, de l'accord, du consensus et pour que le pays, tout d'un coup, se trouve rassemblé dans le courage, au lieu d'être divisé quand il élude les difficultés qui sont devant lui. 
Alors, nous allons nous proposer ce projet. Je voudrais d'écrire ce projet, non pas en termes de mesures, mais je voudrais décrire simplement ce que j'appelle les trois révolutions nécessaires pour que, tout d'un coup, du tout au tout, change la conception et peut-être aussi la perception de la vie publique et du pouvoir en France. 
Il y a trois révolutions et la première est la révolution de la vérité. 
De ces valeurs sur lesquelles nous ne transigeons pas, la première et la plus précieuse, tellement oubliée aujourd'hui, est la vérité. 
Il y a, au fond, deux sortes de politiques et deux sortes de citoyens. Il y a ceux qui sont prêts, pour arriver au pouvoir et pour s'y maintenir, à raconter n'importe quelle histoire, à orchestrer n'importe quelle manipulation de l'opinion, à organiser, par l'entremise de ce que l'on appelle une communication et qui n'est souvent en réalité que de la propagande, n'importe qu'elle mouvement, pourvu qu'il profite électoralement à la prise de pouvoir. Puis, il y a ceux qui considèrent qu'il n'existe qu'un socle d'abord digne de la vocation du citoyen, de la vocation civique et, ensuite, capable de porter l'action, c'est la vérité que l'on dit, la vérité d'une certaine manière de ce que l'on fait et de ce que l'on est. 
Nous avons choisi d'être du côté de la vérité. Je dis "Nous avons choisi", mais en fait, au fond de moi-même, je ne suis pas sûr que l'on choisisse. Au fond, je crois que l'on naît, du verbe « naître », d'un côté ou de l'autre. Et ceux qui sont du parti de la vérité savent bien qu'ils ne peuvent pas faire autrement. Nous sommes du côté de ceux qui ont choisi de considérer des citoyens comme des égaux et non pas comme des benêts que l'on entraîne par le bout du nez en leur racontant des histoires, mais comme des égaux, comme des intelligents et même comme des consciences. 
J'ai écouté, tout à l'heure, la très belle définition que Jean-Baptiste de Foucauld a donnée, sa définition de la démocratie. Je pensais alors à celle de Marc Sangnier qui était : "La démocratie, c'est l'organisation de la société qui permet de porter à son maximum la conscience et la responsabilité du citoyen". C'est la même chose. 
Cela veut dire qu'il y a, dans le projet de société qui est le nôtre, une manière de faire grandir toutes les femmes et tous les hommes qui participent à ce peuple et à cette volonté partagée et cela commence par la vérité. 

Ce faisant, nous nous inscrivons dans une tradition : permettez-moi de citer deux noms de ce grand courant de la vérité, Pierre Mendès-France et Raymond Barre. Tous les deux, nous les avons aimés ou admirés, avec leur côté pas vraiment facile, parfois bourru, vaguement provocateur, parce qu’ils ne cédaient jamais un pouce sur le terrain de la vérité. Vous nous demandez quelquefois où nous sommes : voilà la réponse, nous sommes du côté de ceux qui disent la vérité à leur pays et à leurs concitoyens. Nous appartenons, une fois pour toutes, au grand parti de la vérité. 

Et la vérité, ce n’est pas seulement une vertu morale, une attitude qui serait bien, par rapport à d’autres attitudes qui seraient mal. Nous croyons que la vérité est la vertu politique par excellence, contrairement à tous les cyniques, parce que nous pensons qu’elle est, en démocratie, la seule base solide pour la volonté et pour le mouvement d’un peuple. Faire face à ses problèmes, les identifier, et les ayant identifiés choisir de les résoudre, et non pas de les ignorer, de les mettre sous le tapis, en sifflotant… 

La vérité, c’est une philosophie de l’action. 

Et c’est pourquoi, sans relâche, au cours de la dernière campagne présidentielle, bien sûr, mais bien avant, j’ai dit aux Français, les yeux dans les yeux, que les déficits qu’on creusait sans le leur dire, que la dette qu’on accumulait en leur nom, était intenable, insoutenable. De tous les bords, on les berçait de la chanson de la facilité. Désormais, on sait ce qu’il en est. Le déficit de la France s’établissait, c’était déjà astronomique, à 40 milliards d’euros en 2006. Aujourd’hui, en 2010, ce déficit atteint 150 milliards ! Il a été pour ainsi dire multiplié par 4 ! La dette atteignait 65 pour cent, les deux tiers, de la totalité de la production annuelle du pays. Elle a dépassé 80 pour cent ! Elle atteindra, quoi que nous fassions, comme un immense paquebot lancé sur son élan, sur son erre, 90 et bientôt 100 pour cent dans les années qui viennent. Ce qui veut dire que nous sommes à la merci du moindre frémissement des taux d’intérêt, du moindre soupçon des financiers, du moindre mouvement sur notre notation, comme on dit. Et si les taux bougent de 1 pour cent, pour nous dont la dette va dépasser les 1600 milliards, alors, le calcul est vite fait, c’est 16 milliards d’intérêts de plus à ponctionner sur les Français, et 16 milliards, c’est une augmentation d’un tiers de l’impôt sur le revenu de toutes les familles françaises. 

C’est pourquoi la vérité est une politique ! 

Et c’est pourquoi nous n’éluderons aucune de nos responsabilités. Ce déficit, pour parler à grands traits, il a trois sources : sur 150 milliards, 30 sur les retraites, 20 sur la sécu, 100 sur le budget. 

Et c’est pourquoi, je vous le dis, comme Barre vous l’aurait dit, comme Mendès vous l’aurait dit, il faut répondre aux trois déficits. 

Et ça commence par les retraites. La question est simple : est-ce que nous voulons maintenir les retraites, ou est-ce que nous acceptons, sans le dire, d’amputer les retraites de 10 pour cent aujourd’hui, de 15 pour cent dans dix ou quinze ans, de davantage ensuite. Ou est-ce que nous voulons baisser les salaires des actifs, de 3 pour cent tout de suite, de 5 pour cent ou davantage d’ici peu d’années ? 

Si nous n’acceptons aucune de ces deux amputations, alors il faut davantage d’actifs puisqu’il y a davantage de retraités, et s’il faut davantage d’actifs, alors il faut, progressivement, travailler plus longtemps. Un peu plus longtemps. Un peu plus longtemps pour ceux qui n’ont pas commencé à travailler très tôt. Un peu plus longtemps pour ceux qui n’ont pas eu à assumer les travaux qui éprouvent la santé, ou qui éprouvent le moral. Je dis le moral, parce que la pénibilité, on n’y pense pas souvent, elle n’est pas seulement physique. 
Et vous voyez à l’énoncé de cette question, simplement à son énoncé, que la question de la réforme, elle n’est pas seulement dans les chiffres, elle est aussi, aussitôt, immédiatement, inéluctablement, dans la justice ! 

C’est pourquoi, nous qui avons dit : 1/ la réforme est vitale 2/ le glissement progressif de 60 à 62 ans de l’âge de départ à la retraite est non pas agréable, mais acceptable ; nous disons aussi, et du même mouvement : 3/ en revanche, profiter de cette nécessité pour cibler ceux qui ne peuvent pas se défendre, ceux qui ne sont pas syndiqués, ceux qu’aucun parti ne prend en charge, les travailleurs de la galère, ou les femmes qui ont arrêté leur activité professionnelle pour élever des enfants, cela est une atteinte à la justice, donc une atteinte à la viabilité de la réforme, et nous ne l’accepterons pas ! Repousser à 67 ans l’âge où les femmes, et les hommes, qui n’ont pas atteint les 41,5 annuités de cotisation, ont le droit d’obtenir une retraite proportionnelle (pas à taux plein, comme on dit, mais proportionnelle à leurs droits), c’est la double peine : non seulement vous aurez des retraites minuscules, inférieures de 40 ou 50 pour cent aux pensions moyennes, mais encore on vous obligera à les attendre deux ans de plus. J’ai été tout près, peut-être à une ou deux voix, de faire adopter à l’Assemblée l’amendement qui supprimait cette injustice. Les journaux qui comptaient les voix autant que le président de séance, ont écrit « d’extrême justesse ». Cela prouve que beaucoup, y compris dans la majorité, commencent à prendre la mesure de l’injustice. Je me tourne alors vers le Sénat. Parce que le gouvernement dit : « nous ne cèderons pas ! » Je rappelle au gouvernement qu’il n’est pas le patron ! Le patron, en République, quand il s’agit de voter la loi, c’est le parlement ! Je me tourne vers le Sénat et spécialement, particulièrement, et amicalement vers le groupe du centre au Sénat : vous avez les moyens de sauver en même temps l’honneur du parlement, qu’on bouscule, qu’on écrase, au point, à l’Assemblée, de lui faire voter, comme une chambre d’enregistrement des amendements qu’on annonce avoir été écrits à l’Elysée le matin même !, l’honneur du parlement et la justice de la réforme. Pour autant, est-ce que tout sera résolu ? Bien sûr que non ! Cette réforme est un rééquilibrage provisoire. 

La question des retraites ne sera résolue que le jour où une réforme d’ensemble aura réglé, avec les délais nécessaires, 10 ans s’il le faut, ou 15, toutes les injustices, et tous les gaspillages du système actuel. En particulier, nous ne serons satisfaits que le jour où, avec les délais nécessaires, tous les Français, sans exception, seront à égalité, sans exception, devant la retraite, c’est-à-dire pour parler franchement, que le jour où, avec les délais nécessaires, tous les régimes d’exception, tous les régimes de privilège, tous les régimes spéciaux, tous, y compris celui des parlementaires, auront été remplacés par un régime de solidarité et de droit identique pour tous ! 

Par exemple, je considère comme une insupportable inéquité que la pension de réversion traite différemment une veuve du secteur public et une veuve du secteur privé. Que pour la veuve du secteur public, et je considère cela comme normal et juste, la pension de réversion soit versée sans condition de ressources, mais que pour une pension de réversion du privé les conditions de ressource soient telles que si la femme qui vient de perdre son mari travaille, en fait, elle perd aussi la pension qui lui était due. Je considère comme une insupportable inéquité qu’ainsi il soit possible de cumuler autant qu’on veut retraite et travail, mais que pension de réversion et travail soient de fait incompatibles. 

Régime unique, transparent, par compte personnel, ou par points, permettant à chacun de choisir l’âge de son départ à la retraite en fonction des droits qu’il a acquis, géré par les partenaires sociaux pour que le pouvoir politique soit mis à l’abri de la tentation d’en jouer, c’est le seul moyen à nos yeux de sauver la retraite par répartition. Autrement, vous le verrez, peu à peu, tout le monde se détournera de ce grand système de solidarité, et ce sera le chacun pour soi, et la capitalisation chacun pour son compte, et tant pis pour les gueux ! On leur organisera la charité, à coups de déductions fiscales… 

La vérité oblige à dire que la réforme est vitale, contrairement à des multitudes de propositions hypocrites, en particulier du PS, qui défile sous les banderoles « retraite à 60 ans » mais qui, en fait, dans ses textes, préconise l’allongement continu de la durée du travail, au-delà de 42 ans, et l’augmentation drastique, presque le doublement des pénalisations, ce qui signifie non pas retraite à 60 ans, mais sous-retraite à 60 ans ! Ce qu’évidemment n’entendent pas les camarades qui défilent de concert. Et je pose une question simple : ne serait-il pas plus simple de dire la vérité ? 

En fait, il y a derrière tout cela une grande question : c’est le statut du travail. Pendant tout le débat à l’Assemblée nationale, j’ai été frappé par la manière dont on parlait du travail. On en parlait comme une épreuve, comme une usure, et c’est vrai qu’il y a, parfois, usure et épreuve, on en parlait comme une aliénation, et jamais comme ce qu’il est aussi, et peut-être ce qu’il est d’abord une émancipation et une chance de réalisation personnelle et sociale. Sans doute parce qu’il est mal organisé, que la réflexion sur l’évolution du travail au cours de la vie professionnelle, sans doute parce qu’il est devenu pression et stress, et les 35 heures n’y sont pas étrangères, même si elles n’ont pas toute la responsabilité. Par exemple, ce qui me frappe en parlant ces mois-ci avec tous les retraités que je rencontre, c’est que le passage de la vie active à la vie professionnelle est brutal, et cause d’angoisse, parfois de dépression, et que tout cela pourrait être changé par des décisions simples, et donc nécessaires. 
C'est pourquoi ceux qui pensent que la bataille des retraites est une ultime bataille, ceux-là se trompent complètement et, en réalité, déguisent la vérité pour ne pas dire qu'ils mentent. 
C'est la première des batailles que nous allons devoir livrer et, derrière, il y en a deux autres. C'est la première des batailles et ce n'est pas la plus difficile d'entre elles. Je vous le dis. Nous y penserons ensemble dans les années qui viennent. 
Cela commence par les retraites. 
La question est toute simple. Est-ce que nous voulons maintenir les retraites ou est-ce que nous acceptons, sans le dire, d'amputer progressivement et silencieusement les retraites de 10 pour cent aujourd'hui, 15 pour cent dans 10 ou 15 ans, davantage ensuite ? Ou bien est-ce que nous choisissons de baisser les salaires des actifs de 3 pour cen tout de suite ou de 5 pour cent ou davantage d'ici peu d'années ? 
Alors, et j'imagine parmi vous que c'est la quasi unanimité, si nous n'acceptons aucune de ces amputation, ni amputation des retraites ni amputation des salaires, alors cela signifie qu'il faut davantage d'actifs puisqu'il y a davantage de retraités et, s'il faut davantage d'actifs, il faut une politique pour créer des actifs, ce dont personne ne parle et dont je vous dirai un mot dans un instant. Il faut davantage d'actifs et il faut progressivement travailler plus longtemps, un peu plus longtemps, un peu plus longtemps pour ceux qui n'ont pas commencé à travailler très tôt, un peu plus longtemps pour ceux qui n'ont pas eu à assumer ces travaux qui éprouvent la santé ou qui éprouve le moral parce qu'il n'y a pas que la fatigue physique, il n'y a pas que la pénibilité physique, il y a aussi l'autre pénibilité des travaux et c'est pourquoi Jean-Baptiste de Foucauld a bien eu raison de parler de la pénibilité du travail. 
La pénibilité n'est pas seulement physique, elle est morale, lassitude, stress. Tout cela, on devrait le prendre en compte au moins dans la réflexion que nous avons à conduire sur le travail lui-même. 
Vous voyez, à l'énoncé de cette question, que la question de la réforme n'est pas seulement dans les chiffres, elle est aussi immédiatement dans la deuxième vertu qui est inséparable de la vérité depuis le début des temps qui est la justice. 
C'est pourquoi nous avons dit, et nous disons, je répète devant vous, premièrement que la réforme des retraites est vitale contrairement à ce qu'un certain nombre de gens essaient de faire croire. 
Deuxièmement, il faut avoir le courage de reconnaître que le glissement progressif de 60 à 62 ans de l'âge de départ à la retraite n'est bien sûr pas agréable. Mais qu'il est acceptable et nous disons aussi du même mouvement qu'en revanche profiter de cette nécessité pour cibler ceux qui ne peuvent pas se défendre, ceux qui ne sont pas syndiqués, ceux qu'aucun parti ne prend en charge, les travailleurs de la galère ou les femmes qui ont arrêté leur activité professionnelle pour élever des enfants, c'est une atteinte à la justice donc une atteinte à la viabilité de la réforme et nous ne l'accepterons pas. 
Repousser à 67 ans l'âge où les femmes et les hommes qui n'ont pas atteint les 41 annuités et demie de cotisation, repousser l'âge où ils ont le droit d'obtenir une retraite proportionnelle, -pas à taux plein comme on le raconte à longueur d'antenne- mais une retraite proportionnelle à leurs droits, c'est la double peine ! Faire cela, c'est la double peine. Non seulement vous aurez des retraites minuscules inférieures de 40 ou 50 pour cent aux pensions moyennes, mais encore on vous obligera à les attendre et à cotiser, pour ceux qui peuvent, deux ans de plus. 
J'ai été tout près, vraiment tout près, à une voix peut-être à deux, je ne sais pas dans quel sens, de faire adopter à l'Assemblée l'amendement qui supprimait cette injustice. 
Les journaux qui comptaient les voix, autant et à mon avis mieux que le Président de séance, ont écrit "d'extrême justesse". Cela prouve que beaucoup, y compris dans la majorité, commencent, ont commencé dans ce débat à prendre la mesure de l'injustice. 
Alors je me tourne vers le Sénat, Jean-Marie, parce que le gouvernement dit "Nous ne céderons pas". 
Je rappelle au gouvernement que ce n'est pas lui le patron. Le patron en République, quand il s'agit de voter la loi, c'est le Parlement et je me tourne vers le Sénat et spécialement et particulièrement et amicalement vers le groupe du centre au sénat. 
Vous avez les moyens de sauver en même temps la justice de la réforme et l'honneur du Parlement que l'on bouscule que l'on écrase au point, nous l'avons vu à l'Assemblée, de lui faire voter comme un chambre d'enregistrement l'après-midi les amendements que l'on annonçait avoir été écrits à l'Élysée le matin même. 
L'honneur du Parlement et la justice de la réforme sont entre vos mains. 
J'ai confiance en vous et j'espère que la confiance que je vous porte, vous la répandrez sur vos collègues, la totalité de vos collègues du groupe du centre au Sénat et qu'ils suivront la détermination que vous ne manquerez pas de créer. 
Pour autant, est-ce que tout sera résolu ? Bien sûr que non. 
Est-ce que la réforme sera entièrement financée, contrairement à ce que dit le gouvernement ? Je réponds : bien sûr que non. Cette réforme est un rééquilibrage et un rééquilibrage provisoire. 
La question des retraites ne sera résolue que le jour où une réforme d'ensemble aura réglé avec les délais nécessaires, dix ans s'il le faut ou quinze ans, toutes les injustices et tous les gaspillages du système actuel avec ses 35 régimes de retraite différents ; en particulier nous ne serons satisfaits que le jour où, avec les délais nécessaires, des années s'il le faut, tous les Français sans exception seront à égalité devant la retraite c'est-à-dire pour parler franchement, que le jour où, avec les délais nécessaires, tous les régimes d'exception, tous les régimes de privilèges, tous les régimes spéciaux, tous y compris celui des parlementaires, auront été remplacés par un régime de solidarité et de droit identique pour tous. 
Par exemple, je considère comme une insupportable inégalité et inéquité que la pension de reversion traite différemment une veuve du secteur public et une veuve du secteur privé ; que, pour la veuve du secteur public, et je trouve que c'est normal et juste, la pension de réversion soit versée sans condition de ressources, mais que pour une pension de reversion du privé, les conditions de ressources soient telles que si la femme qui vient de perdre son mari travaille, en fait, elle perd aussi la pension qui lui était due. 
C'est une insupportable inégalité. Par voie de conséquence, qu'il soit possible de cumuler autant que l'on veut retraite et travail mais que pension de réversion et travail soit de fait incompatible, c'est une inéquité. Elle est insupportable et elle ne peut se régler que si nous avons la détermination d'imposer une réforme de fond ; régime unique, transparent, comme on voudra, par compte personnel ou par point, permettant à chacun de choisir l'âge de son départ à la retraite en fonction des droits qu'il a acquis, gérée par les partenaires sociaux pour que le pouvoir politique soit mis à l'abri de la tentation de jouer des retraites, électoralement. 
C'est le seul moyen à nos yeux de sauver la retraite par répartition. Autrement, vous le verrez peu à peu, tout le monde se détournera de ce grand système de solidarité et ce sera le chacun pour soi et la capitalisation chacun pour son compte et tant pis pour les gueux. Pour eux je n'ai aucun doute, on organisera la charité à coup de déductions fiscales. 
C'est précisément ce dont nous ne voulons pas. 
La vérité oblige à dire que la réforme est vitale, contrairement aux multiples propositions hypocrites, en particulier de ce grand parti qu'est le PS qui défile sous des banderoles "Retraite à 60 ans" mais qui en fait, à voix basse, dans les textes, préconise l'allongement de la durée du travail au-delà de 42 ans et l'augmentation drastique, presque le doublement des pénalisations, ce qui signifie, pour ceux qui n'auront pas atteint, et comment vous les voulez atteindre si vous entrez dans la vie active après avoir fait des études jusqu’à 26 ou 27 ans par exemple, ce qui signifie non pas retraite à 60 ans mais sous-retraite à 60 ans, ce qu'évidemment n'entendent pas les camarades qui défilent de concert sous les mêmes banderoles et qui, eux, veulent la retraite à 60 ans, comme ils disent « à taux plein ». 
Je pose une question simple : ne serait-il pas plus simple de dire tout simplement la vérité et de confronter tout simplement les idées qui sont les nôtres puisque le problème est devant nous et que tout le monde sera obligé de le résoudre et, je le dis, de résoudre de la même manière. 

(...)

Téléchargez l'intégralité du discours de François Bayrou en cliquant ici.

Je reçois la lettre d'information du Mouvement Démocrate

Engagez-vous, soyez volontaires

A nos côtés, vous serez un acteur de nos combats pour les Français, pour la France et pour l'Europe.

Chaque engagement compte !

Votre adhésion / votre don

Valeur :

Coût réel :

20 €

6,80 €

50 €

17 €

100 €

34 €

Autres montants

Qu'est ce que la déclaration fiscale sur les dons ?
Filtrer par