"S’il y a bien un scandale dans ce livre, c'est la question de la femme comme malheur des hommes"

Alors que paraît aujourd'hui en librairie le dernier roman de Michel Houellebecq intitulé "Soumission", François Bayrou a dénoncé "le scandale" de la thèse de "la femme comme malheur des hommes" imprégnant ce livre.

Bonjour François Bayrou.

Bonjour.

Président du MoDem, maire de Pau et président de la communauté d’agglomération Pau-Pyrénées, vous êtes aujourd’hui notre invité pour nous projeter dans une France de 2015. Vous avez fait vos vœux il y a quelques jours.

Homme fort du Centre, on le sait, depuis deux décennies, vous avez appelé les Français à un devoir d’optimisme et vous dites croire que, je vous cite encore, « la France peut s’en sortir et peut se reconstruire ». Alors deux élections - départementales en mars et régionales en décembre - se profilent, 2015 sera-t-elle l’année où le Centre va se reconstruire en tant qu’alternative politique ? Quel poids espère peser votre parti aux élections départementales ? Et l’union entre MoDem et UDI va-t-elle mener à un Centre unifié ou s’agit-il simplement d’une alliance de circonstance, d’alliance électorale ? Quelle place va tenir le Centre dans un jeu politique marqué par les alliances ?

Et puis aussi, vous êtes notre invité pour connaître votre décryptage de l’actualité. D’un coté vous avez vu la Une des Echos, Emmanuel Macron décrit sa politique et parle d’un véritable tournant, tandis que Le Figaro du jour nous informe que, hier, la France a perdu sa place de 5e économie mondiale et passe ainsi derrière la Grande-Bretagne qui voit son PIB plus fort que celui de la France.

Mais François Bayrou, il ne vous aura pas échappé qu’aujourd’hui, ce 7 janvier, sort un livre qui vous fait le Premier Ministre d’une France gouvernée par un parti islamique, c’est le nouveau roman de Michel Houellebecq, « Soumission ». Il sort chez Flammarion et vous décrit au fond comme celui qui serait le seul à faire consensus pour battre le Front national avec l’UMP, le Parti socialiste et une alliance avec cette Fraternité islamique pour diriger le pays. Personnage de fiction, Premier Ministre enfin, c’est la gloire, François Bayrou. Vous l’avez lu ?

Oui, je l’ai lu hier soir. Le livre qui consacre, à ma modeste personne, trois ou quatre paragraphes en tout et qui me décrit comme un nul pour simplifier.

Mais ce n’est pas le sujet. Ce qui est frappant – il faut identifier le sujet dont nous parlons - c’est qu’il s’agit d’une opération commerciale soigneusement montée, Chapeau Flammarion, faite pour vendre.

Un coup de maitre.

Un coup, un de plus. C’est fait pour vendre à partir d’une recette éprouvée qui est : « créons un scandale, créons une polémique, surfons sur les sujets qui sont les plus brûlants, les plus agressifs ; faisons semblant d’ajouter du crédit à cette question ». Je dis « faisons semblant » parce que si vous avez vu ce pauvre M. Houellebecq, hier soir à la télévision, il n’arrivait même pas à faire semblant. En effet, tout ce dont nous parlons là n’est en rien le sujet du livre. Le sujet est beaucoup plus désespérant, apparemment secondaire et, en réalité, très profond, c’est l’impuissance amoureuse et sexuelle d’un héros qui, tout au long du livre, n’arrive pas à avoir une relation amoureuse, évidemment, et chaque fois qu’il est sur le point d’en avoir une, les filles le quittent. Puis impuissance sexuelle parce que même avec des prostituées, même quand il est plongé dans les actes sexuels, il n’éprouve rien. Et la seule réponse proposée à tout cela, c’est la soumission.

Il y a une page très intéressante qui dit ce qu’est la soumission et le rôle que vient jouer l’Islam là-dedans. Il dit, au fond, que ce que l’on cherche à atteindre est la soumission de l’homme à Dieu comme la femme est soumise à l’homme. Cette idée de la double soumission, la femme à l’homme, qui est la seule qui puisse donner du plaisir, et l’homme à Dieu, qui est la seule qui puisse rétablir un ordre social, il est inimaginable que tant de dizaines de commentateurs, qui depuis des jours, nous ensevelissent sous les pages, l’encre ou les déclarations salivaires ne puissent pas apercevoir ce que cela a de profondément désespérant, absolument contraire à ce que nous sommes. Je ne dis même pas à ce que nous croyons, mais à ce que nous sommes.

En êtes-vous bien sûr ? Je vous suis. Si l’on prend cet aspect du livre au sérieux, après tout, justement en tant que fable, que pensez-vous du constat que fait l’écrivain d’une société française prête effectivement à se soumettre fictionnellement à un parti islamique, tandis que dans la réalité, si l’on inverse la proposition du roman, on voit bien qu’il y a une France qui n’est pas très loin de vouloir accepter de se soumettre, qui sait, à un parti d’extrême-droite ?

Il faut qu’un psychanalyste décrypte avec nous ce qu’est ce lien qui, au fond, unit ces livres qui font scandales en ce moment, à cette époque.

Vous pensez à quoi ? É. Zemmour, V. Trierweiler ?

Je parle d’É. Zemmour essentiellement. Le lien entre ces livres qui, tous, traitent une question qui est la déstabilisation de notre société, est la place excessive qu’on donne à la femme. Voilà ce qu’ils nous disent. C’est tout le malheur de l’Occident qui a commencé avec le fait que l’on traite les femmes comme des égales des hommes. Je trouve qu’en face de cette soumission-là, il est nécessaire qu’il y ait un certain nombre de révoltes et de gens qui disent qu’ils sont alors profondément en guerre avec cette espèce de retour d’un refoulé qui est extraordinairement choquant pour beaucoup d’entre nous, en tout cas pour moi, pour ma femme, mes filles, leurs amies, leurs proches, les miens. C’est là qu’est le scandale. S’il y a scandale dans ce livre, il n’y en a qu’un dont on ne parle pas : la question de la femme comme malheur des hommes.

Vous rejoignez la valise du très bon papier qu’a signé Eric Conan dans Marianne sur le livre de Michel Houellebecq, qui signale, d’ailleurs, les erreurs de ceux qui ont fait croire l’avoir lu - et qui ne l’ont pas lu – ainsi que les erreurs de Michel Houellebecq. Notamment sur cette question de la femme, c’est même la conclusion de l’article d’Eric Conan. Il dit que M. Houellebecq se trompe, si telle était la vérité de ce qui devait arriver avec un parti au pouvoir qui interdirait et qui réduirait le droit des femmes, il y aurait insoumission de fait des femmes et il faudrait compter avec une part active de la société qui se manifesterait comme on voit en Allemagne ceux qui manifestent contre les « anti-islamistes ».

Excusez-moi, ce ne serait pas seulement les femmes qui se révolteraient contre cela. Qu’est-ce que c’est que cette catégorisation. Je suis de ceux, femmes et hommes, qui se révoltent contre cette manière de présenter une réalité de déstabilisation de la société à partir du droit élémentaire des femmes à être – je ne veux pas employer de grands mots – respectées, aimées, dans tous les sens du terme, écoutées, entendues, d’avoir une place qui soit une place pas seulement de citoyen mais d’être humain dans une société. Un des personnages de M. Houellebecq me cible parce que je suis « humaniste » dit-il, le beta.

Grand pacificateur du dialogue religieux, façon Henri IV.

Oui, j’ai écrit un livre sur Henri IV, qui comme vous le savez, a reçu un grand accueil par les lecteurs. Pourquoi ? Parce qu’Henri IV est celui qui a fait faire à la société un pas absolument inouï en libérant de la question religieuse la question civique. J’emploie des mots modernes et pas les mots de l’Edit de Nantes. C’est cela la question. Dans le royaume, on était des citoyens de plein exercice quelle que fut sa religion. C’est un pas d’une modernité absolument inouïe, tellement moderne que 90 ans après Louis XIV a révoqué l’édit de Nantes. Au fond tout cela c’est la même chose : la question dont il s’agit est celle de l’émancipation : émancipation par rapport à la religion, émancipation par rapport à l’origine, émancipation par rapport au sexe. C’est même la base de notre pays, de notre société, de notre civilisation, de notre projet d’être reconnu en tant qu’être humain de plein exercice, et pas en tant que musulman,  pas en tant que chrétien – ce dont je suis accusé à juste titre dans le livre et je l’assume – pas en tant que juif, rien de tout ça !

Ce livre n’est absolument pas commenté sur sa nature, sur son fond, même pas sur son histoire. Les personnages n’existent pas, ils n’ont aucune épaisseur, y compris le Président - on ne sait pas ce qu’il pense, on ne sait pas ce qu’il veut – et le personnage qui porte mon nom évidemment. La seule chose qui existe, c’est le face-à-face entre le héros et son impuissance. Que cette impuissance, amoureuse, sexuelle, civique, intellectuelle nous conduise à la remise en cause de ce que nous avons de plus précieux, je vous assure qu’il n’y a pas que les femmes qui s’y opposeront !

Frédéric Métézeau - C’est aussi le livre d’une impuissance politique quand le peuple se retrouve à choisir entre l’extrême-droite et un parti d’inspiration religieuse. On est très loin de la grande majorité centrale que vous appelez de vos vœux… Aujourd’hui, nous ne sommes peut-être pas très loin de cette impuissance politique ?

Comme vous le savez, c’est le combat de ma vie depuis 15 ans que de dire où nous allons. Michel Houellebecq dit – c’est une des remarques justes – que les personnes de la communauté musulmane ne sont pas représentées dans nos institutions. Mais les femmes ne sont pas très représentées non plus, les extrêmes non plus et le centre encore moins ! On a le monopole de la représentation par deux partis politiques aujourd’hui complètement ruinés de l’intérieur qui sont le PS et l’UMP dont la vision du monde – en tout cas pour le PS – vient de montrer qu’elle ne correspondait pas à la réalité. Ces deux partis et leurs vassaux – parce que si vous faites acte de vassalité, si vous allez vous courber devant les puissants, on vous donne quelques sièges pour faire un groupe pour mémoire – sont une des causes de l’absence de réflexion, de débat, d’émulation, d’intelligence à laquelle les Français assistent désespérés, les bras ballants, et se détournent et s’en vont ! Il y a, à la situation dans laquelle nous sommes, des causes. Elles ont été, pour beaucoup d’entre elles, parfaitement identifiées. Permettez-moi de le dire, puisque j’ai mené trois campagnes présidentielles sur ces causes. C’est l’inadaptation de l’État sous toutes ses formes : l’impuissance publique, l’impasse dans laquelle nous conduit le fait d’être incapable de regarder la question des finances publiques en France et le défaut des institutions et de la représentation. Les institutions sont organisées pour que nous n’ayons qu’un seul débat politique, la guerre de deux camps, lesquels n’existent plus ! Il n’y a plus de droite parce que l’extrême-droite, à 25%, fait qu’il n’y a plus de droite au sens « camp » du terme et il n’y a plus de gauche pour toutes les raisons dont vous débattez à France Culture tous les jours et dont vous êtes à la fois spectateurs et animateurs. Cela n’existe plus !

Mais est-ce qu’il n’y a pas tout de même une responsabilité commune de la classe politique en général ? Est-ce que vous-même après tout, vous n’avez pas essayé de faire exploser en vol cette espèce d’inertie que vous décrivez en appelant à voter François Hollande à la dernière élection présidentielle et avec le peu de suite que l’on sait ? Qu’est-ce qui s’est passé pour que l’on en arrive là ?

C’est très simple, j’ai en effet choisi un vote à l’élection présidentielle parce que je considérais qu’il y avait dans l’élection de Nicolas Sarkozy un danger, un risque très important pour la société française. Notre pays plongeait dans des affrontements sans fin. Je ne suis pas le seul à le penser, beaucoup d’analystes l’ont pensé depuis, y compris à l’UMP. Parce que si j’entends bien les débats à l’UMP, ceux qui disent la même chose se multiplient, simplement avec deux ans de retard.

En effet j’ai fait ce choix. Le Parti Socialiste a décidé qu’il allait en profiter pour faire de la politique « business as usual », c’est-à-dire de rester dans le cadre complètement obsolète de l’union de la gauche et d’éliminer ceux qui pensaient, plaidaient pour que l’on ait une autre approche de la vie politique française, une approche plus centrée sur le projet, voulant une évolution de la société et rapprochant ceux qui avaient une vision compatible de l’avenir pour faire une vraie majorité. Il n’y a pas d’autre majorité possible ! Si vous regardez attentivement les débats, il n’y a qu’une majorité possible, une majorité pour le pays que j’ai appelée jadis « centrale », c’est-à-dire qui accepte de prendre en compte les problèmes et de les traiter. Par exemple, tout à l’heure hors micros, vous disiez « ce n’est pas possible que l’on ne traite pas la question des intermittents, cela fait 10 ans que ça dure »…

Oui, la Une des Échos nous apprend ce matin qu’après avoir eu le rapport demandé, le Premier ministre va finalement réaffirmer le bien-fondé du régime de l’assurance-chômage et surtout enterrer la réforme… Et c’est un intermittent qui vous parle.

Une des questions des intermittents c’est que les très grandes sociétés de spectacles s’appuient sur le régime des intermittents pour alléger leurs coûts ! Ce n’est pas pour aider les intermittents que l’on fait cela. On fait cela pour aider les grandes sociétés de production, privées et hélas publiques ! Et donc il y a là quelque chose d’absolument et intégralement insupportable. Je ne supporte pas que l’on nous entraine comme cela par le fond, simplement par incapacité à regarder les causes de la situation où nous sommes. Il faudra bien qu’il y ait des gens et un projet politique pour que ces causes soient identifiées, traitées et que l’on entraine un peuple à son renouveau ou à sa reconstruction.

D’accord François Bayrou, mais jusqu’à présent, vous n’êtes pas parvenu à convaincre tout le monde.

C’est vrai que j’ai connu des déboires électoraux à l’élection présidentielle et à une élection législative. Sur toute une carrière, au fond c’est assez peu. Et puis j’ai fini à Pau dans le plus beau pays du monde par faire en sorte que deux sur trois des électeurs se tournent vers ce choix-là. Pour moi, on ne juge pas une action politique uniquement à la question de la victoire électorale. Une action politique se juge à l’engagement, à la force du combat et si possible à sa justesse.

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